C’est dans l’effervescence des années 1920,
provoquée par les espérances nationales (la Tchécoslovaquie
voit le jour au lendemain de la Première Guerre mondiale),
le goût de la nouveauté inspiré par Paris
et la mythique Amérique, contradictoirement mêlés
à l’influence esthétique et idéologique
de la nouvelle Russie soviétique, que ce touche-à-tout
génial commence à déployer son talent phénoménal
et multiple, qui fera de lui l’une des plus grandes personnalités
des avant-gardes tchèques de l’époque, sans
cesse à la recherche de formes artistiques nouvelles :
sans efforts apparents, il aura été, avec une profondeur
et une réussite égales, metteur en scène
et réalisateur, dramaturge et scénariste, compositeur,
chef d’orchestre, instrumentiste et chanteur, scénographe,
cameraman, comédien, poète, théoricien de
l’art, pédagogue et directeur de théâtre.
Au début de sa carrière, il se concentre principalement
sur la composition. Il étudie au Conservatoire de Prague,
puis auprès de Josef Bohuslav Foerster. A dix-neuf ans,
il compose l’opéra Alladine et Palomides
d’après Maurice Maeterlinck ; deux ans plus tard,
il crée au Théâtre national son second opéra,
Avant le lever du soleil, ainsi que diverses musiques
scéniques. Membre du groupe d’avant-garde Devětsil,
il fonde le célèbre Théâtre libéré
et prend part à ses activités en tant que compositeur,
instrumentiste, chanteur et comédien. Il se produit ensuite
dans les théâtres Dada et Moderní studio,
nouvellement créés. En 1924, il fonde Prítomnost
(Présence), une société pour la musique contemporaine.
En 1927, il crée le « Voice Band », un ensemble
spécial pour la récitation en chœur conçue
de façon musicale, avec lequel il remportera un vif succès
au festival ISCM (son œuvre pour Voice Band la plus connue
est probablement son adaptation du fameux poème Mai,
du romantique Karel
Hynek Mácha). Burian entame ensuite sa période
(une période débute, mais on ne débute pas
une période ?) d’organisateur et de chef d’orchestre
: en 1929, il est invité, avec le metteur en scène
Jindřich Honzl, par le Théâtre national de Brno,
dont il devient le directeur, pour y créer un studio d’avant-garde.
Après plusieurs spectacles phénoménaux (notamment
La Mandragore de Machiavelli, Le Miracle de Saint
Antoine de Maeterlinck, Cavaliers vers la mer de
J. M. Synge), le Studio est fermé pour manque de soutien
matériel et d’intérêt de la part du
public provincial de Brno. Mais Burian reste au Théâtre
national et y met en scène une série de spectacles
exceptionnels, pour lesquels il compose le plus souvent ses propres
musiques de scène (L’Opéra de Quat’sous
de B. Brecht et K. Weill, L’enfant de F. X. Šalda,
etc.). Pendant un an, il dirige le théâtre de la
ville d’Olomouc, puis retourne à Brno où il
monte notamment la pièce Les Amants du kiosque
de V. Nezval.
![](../../images/burian/P112.jpg)
Jindrich Honzl et E. F. Burian dans Les Mamelles de Tirésias
de Guillaume Apollinaire, Prague, le 23. 10. 1926. Tiré
de Adolf Kroupa (ed.), Apollinaire illustre et inconnu [Apollinaire
známý a neznámý], Prague, Odeon, 1981.
De retour à Prague, il fonde le cabaret Cervené
eso (L’As rouge), et s’y produit en tant que compositeur,
chef d’orchestre et pianiste. En 1933, il fonde à
Prague son propre théâtre, le fameux D-34. Au «
D », il présente non seulement ses propres spectacles
de théâtre conçus de façon synthétique,
mais également des soirée de récitation,
des concerts, des conférences, des débats et des
expositions. Mais l’orientation fortement anti-fasciste
du théâtre lui vaut d’être fermé
en 1941, et Burian est envoyé en camp de concentration.
Il y organise des soirées et des cabarets pour ses co-détenus.
Son magnifique Quatuor à cordes n°4, écrit au
lendemain de la guerre, dit bien le déchirement que celle-ci
a provoqué en lui. Après 1945, il mettra ses dons
au service de l’idéal communiste. Il reprend ses
activités d’homme de théâtre et participe
à la reconstruction du théâtre tchèque,
mais il se lance également dans la politique : il devient
député, dirige une émission de radio consacrée
à la politique, etc. Avec la prise de pouvoir des communistes
staliniens, il est vite ostracisé de la façon la
plus dure. Il meurt en 1959, âgé de 55 ans seulement.
Burian a également été attiré par
le cinéma, il est l’auteur de plusieurs scénarios,
a réalisé deux films et composé plusieurs
musiques de films (il remporte une médaille d’or
pour la partition de La Sirène à la Biennale
de Venise en 1947). Il est également l’auteur de
nombreuses critiques d’art et de plusieurs importants ouvrages
d’esthétique (notamment sur le folklore et sur le
jazz, dont il a été un des premiers et plus virulents
propagateurs en Tchécoslovaquie). L’œuvre de
Burian compositeur, dans le prolongement de celle d’un Stravinsky
et d’un Janáček, est extrêmement riche
et variée : sept opéras (le plus important étant
probablement Maryša), cinq suites orchestrales,
huit quatuors à cordes, plusieurs concertos, de nombreuses
pièces pour piano, pour ensembles vocaux, et une œuvre
très importante de musique de chambre.
J. G. Páleníček