L'URSS
Pour l'URSS la politique de la détente
était une occasion pour augmenter son influence dans
les régions extra-européennes mais elle avait
besoin du calme dans sa sphère d'influence. Le résultat
tchécoslovaque était exactement le contraire de
ce qu'elle attendait de la détente en Europe. La perte
de la Tchécoslovaquie ne serait que le début d'un
processus où elle perdrait même ses autres alliés
et implicitement même sa position dominante privilégiée
garantie par le monde bipolaire.
Le processus de renaissance en Tchécoslovaquie
n'évoquait pas au début une désapprobation
ouverte de l'URSS et de ses alliés qui ne voyaient pas
encore le danger du Printemps de Prague. Ils croyaient qu'il
ne peut en aucun cas porter l'atteinte à la stabilité
du rôle dirigeant du Parti, au principe du " centralisme
démocratique " et à la cohésion
du pacte de Varsovie. Ils croyaient seulement à un changement
de hauts fonctionnaires du Parti et de l'Etat. Mais les projets
de réformes économiques, les considérations
sur le retour vers le système politique pluraliste, les
contacts se dévéloppant à l'Ouest et surtout
la liberté de la presse, tout cela était un abandon
dramatique du pricipe du rôle dirigeant du Parti - son
absence affaiblirait la capacité de l'URSS à suivre
et à contrôler le développement politique
en Tchécoslovaquie. Un tournant dans la position prise
par Moscou s'effectue à partir du 15 mars 1968.
Une rencontre des dirigeants de l'URSS,
de la Tchécoslovaquie, de la RDA, de la Pologne, de la
Bulgarie et de la Hongrie est organisée à Dresde
le 23 mars 1968. En avril le PC perd son rôle dirigeant
dans le pays. Le 4 mai les dirigeants tchécoslovaques
sont invités à Moscou où ils admettent
que " le développement politique intérieur
de la tchécoslovaquie dépasse les limites de nos
affaires purement intérieures et concerne les pays frères,
par exemple l'URSS ". C'est à ce moment là
que la décision d'effectuer des manoeuvres militaires
sur le territoire tchécoslovaque est prise par le Kremlin
même si Brejnev sait que l'envoi de troupes provoquera
des protestations de la presse internationale et tchécoslovaque.
On évoque également la nécessité
d'envoyer des troupes des autres pays du Pacte et de réagir
le plus vite possible- " le temps joue contre nous
". Une collaboration avec les " forces saines
" du PCT et l'intimidation de Dubcek sont les idées
majeures dans les débats au Bureau politique. Tout d'abord
il faut obtenir l'accord des Tchèques pour faire venir
les troupes sur leur territoire - la partie tchèque donne
cet accord. Moscou apprend que l'armée tchècoslovaque
est près de l'effondrement. Des voix demandant la révision
de la place de la Tchécoslovaquie dans le pacte de Varsovie
et celle de sa conception politique et militaire s'élèvent
au niveau le plus élévé de l'armée
tchécoslovaque.
Les débats au Bureau politiques
sont très vifs, loin des déclarations "monolithiques"
émises par la direction, qui portent surtout sur les
moyens de parvenir à ramener la Tchécoslovaquie
dans l'ordre. Brejnev reste prudent mais approuve l'exercice
de la pression sur la Tchécoslovaquie. Les préparatifs
à l'intervention se poursuivent tout au long du mois
de juillet. " Si nous perdons la Tchécoslovaquie,
la tentation sera forte pour d'autres. Si nous la gardons -
cela ne fera que renforcer notre position ".
Le 22 juillet les Soviétiques
ont l'assurance que les Américains ne vont pas intervenir.
Le 29 juillet se tiennent à Cierna
des négociations avec les dirigeants tchécoslovaques.
Il leur est soumise une liste des exigences, un véritable
ultimatum, qui contiennent: l'interdiction des activités
de toutes les organisations, partis, clubs politiques opposés
au communisme, la mainmise du Parti sur la presse, le rétablissement
du rôle dirigeant du PC et la démission des ministres
tchèques. Ce n'est que la réalisation de ces exigeances
en actions qui évitera de recourir aux " mesures
extrêmes ". Les dirigeants tchécoslovaques
acceptent de sérieuses concessions, chose tout à
fait inattendue.
Le 3 août a lieu une réunion
des dirigeants communistes à Bratislava. Les négociations
aboutissent à un compromis mais les obligations mutuelles
restent verbales, sans aucun document signé. La menace
d'une invasion armée s'atténue. Le 13 août
Brejnev communique à Dubcek que le Bureau politique estime
que les accords de Cierná ont étaient violés
de manière complète, ce qui impliquera la prise
de " nouvelles mesures indépendantes ".
Brejnev n'adopte l'idée de l'intervention
militaire qu'au dernier moment. L'échec de celle-ci fut
causé par la persuasion de la direction soviétique
de l'existence des " forces saines " au sein du PCT,
plus puissantes et plus efficaces qu'il en fut la réalité.
La population civile résiste aux envahisseurs. Il apparaît
nécessaire de négocier avec Dubcek et de former
un gouvernement révolutionnaire. Il faut également
changer de stratégie, on opte pour celle de comprommetre
les personnalités influentes en Tchécoslovaquie
(Dubcek et ses proches) qui devraient par la suite perdre leur
popularité. L'idée de la " normalisation
" emportera la primauté dans les actions à
venir et déterminera les prochaines trente années.
L'intervention soviétique témoigne
de la réalité que l'URSS dirige encore toujours
sa politique dans le sens des accords de Yalta imposant des
blocs en Europe - ce qui déplaît à la France
en particulier. Le Printemps de Prague a provoqué comme
une rupture à l'intérieur de la sphère
d'influence soviétique.
Tous les régimes communistes
furent en effet très fragiles, la tentation révisionniste
restant toujours présente. Mais ce révisionnisme
ne pouvait provenir que d'en haut car tout mouvement à
la base serait étouffé. C'est effectivement l'un
des principes fondamentaux qui présente la plus grande
menace aux régimes communistes: le monolithisme, qui
a un rôle d'accélérateur dans ces processus.
Dans ces régimes la discipline et la soumission totale
au secrétaire général sont obligatoires.
Cette réalité implique qu'il suffit que le sécrétaire
général ait une idée un peu différente
et veuille sortir du système pour que le système
soit condamné.
On peut considérer l'échec
du Printemps de Prague, sur le plan des idées, comme
le début de l'ébranlement et de la fin du communisme
en Europe, ayant également une importance indéniable
pour la perestroïka soviétique. Dubcek a fait en
six mois ce que Gorbatchev en deux ans, la Tchécoslovaquie
de juillet 1968 se trouve là ou la Russie de l'été
1989. Dans les deux pays ce furent les intellectuels et les
journalistes, presque tous communistes, qui déclenchent
le proccesus.
LES ETATS-UNIS
Depuis 1956 la première occupation
des Etats-Unis comme celle de l'Allemagne était d'éviter
une confrontation directe avec l'URSS et l'escalade nucléaire.
La priorité de l'administration Johnson était
la détente.
Le 18 juillet Dean Rusk, secrétaire
d'Etat, a démenti un article du New York Times selon
lequel il aurait affirmé qu'une intervention armée
en Tchécoslovaquie mettrait en danger l'amélioration
des relations soviéto-américaines. L'ambassadeur
Lucet précise que les Etats-Unis sont " gravement
préoccuppés par la perspective d'une intervention
soviétique en Tchécoslovaquie mais ils attachent
une importance considérable au maintien du contact avec
Moscou et
ils ne veulent absolument pas être impliqué
dans les événements et cela depuis le début
". C'est une affaire des Tchèques et aussi celle
des pays du pacte de Varsovie. Les Américains essaient
d'obtenir, quant à eux, un accord sur le désarmement.
Aujourd'hui il existe un sentiment fréquent
dans les pays de l'Europe de l'Est que les Etats-Unis auraient
" trahi " les peuples de cette région
en évitant de s'opposer à l'invasion soviétique
en Tchécoslovaquie. Mais une opposition à l'URSS
aurait conduit les Etats-Unis, épuisés, si on
pêut l'appeler ainsi, par la guerre au Viêt-nam
et en pleine contestation soixante-huitarde, seulement à
un désastre politique et social dans le pays. La détente
s'imposa alors comme une nécessité.
La politique de " l'édification des ponts
" de l'administration Johnson de 1966 devait servir à
éliminer les conséquences des initiatives soviétiques
extra-européennes et l'augmentation de la force militaire
de l'URSS par l'affaiblissement du contrôle soviétique
sur l'Europe orientale. Cette politique devait renforcer les
relations politiques, économiques et culturelles avec
l'Empire soviétique afin d'affaiblir sa cohésion.
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