Les réactions dans le monde
Les pays du pacte de Varsovie
LA RDA
Dans la presse est-allemande les événements
en Tchécoslovaquie sont considérés non
sans une certaine agressivité comme un " complot
des intellectuels ", commencé en 1963 avec le procès
sur Kafka. Il s'agit d'une tentative des " forces contre-révolutionnaires
" d'affaiblir les pays socialistes. On voit derrière
la " libéralisation " tchécoslovaque
la politique du gouvernement de Bonn. Ainsi, on y trouve très
souvent des allusions à l'année 1938 et à
l'occupation des Sudètes par l'Allemagne fédérale
(sujet délicat) afin de pouvoir justifier l'intervention
soviètique. La construction du mur de Berlin est un autre
thème qu'on trouve fréquemment dans les articles
et qui permet de concevoir l'idée des pays du bloc socialiste
comme de vrais gardiens de la paix.
LA POLOGNE
La presse polonaise a du, tout d'abord,
accuser les dirigeants tchécoslovaques de ne pas avoir
agit dans le sens des accords de Bratislava, tout en présentant
la situation qui s'empire rapidement et qui va contre le rôle
dirigeant du parti communiste et contre les bases mêmes
du socialisme. Les journaux n'hésitent pas ensuite de
souligner la menace territoriale (frontière sud avec
la Tchécoslovaquie - appel au nationalisme polonais)
en rappelant l'année 1939, quand l'armée allemande
a envahie la Pologne depuis la Tchécoslovaquie.
Les dirigeants polonais ressentent le " libéralisme
" tchécoslovaque comme une menace, surtout quant
à l'influence grandissante des intelectuels dans la politique.
Il s'agit de pousser la classe ouvrière contre les intellectuels
en leur expliquant que ces derniers veulent la priver de pouvoir.
Certains observateurs regardent le Printemps de Prague comme
une continuation des manifestations et de la répression
des intelectuels polonais de mars 1968 (comme le but de l'intervention
soviétique était avant tout de bloquer la libéralisation
en URSS).
La politique de la presse est la justification de l'intervention
soviètique en Tchécoslovaquie mais il s'agit également
d'attaquer les " révisionnistes " polonais
et les " leaders sionnistes " en Tchécoslovaquie
et en Pologne.
La société
polonaise est divisée à l'époque du Printemps
de Prague en quatre groupes :
-
Les communistes fidèles à
W. Gomulka :
Gomulka est un ennemi de la libéralisation du système
ce qu'il n'hésite pas de communiquer lors de sa rencontre
avec son homologue tchécoslovaque tout en décrivant
très concrètement les mesures qu'il a du entreprendre
contre les " forces antisocialistes " après
octobre 1956.
Une des raisons de la position prise par Gomulka est peut-être
la crainte de l'éventuelle contamination de la Pologne
par les idées tchècoslovaques. Wladislaw Gomulka
était pour une suppression ferme de toute "
contre-révolution ".
Les espoirs de Dubcek d'obtenir Gomulka du côté
de la Tchécoslovaquie était naïfs. Gomulka
approuve l'intervention millitaire et l'armée polonaise
participe à sa préparation. Plus tard il se
montre encore plus radical en suggérant d'instaurer
une dictature millitaire en Tchécoslovaquie.
-
Les réformistes non organisés
(les " révisionnistes ")
-
Les libéraux qui s'identifient
au Printemps de Prague :
La droite polonaise sympathisait avec les événements
à Prague et elle les classait à côté
des manifestations de ses propres étudiants en mars
1968, ces mouvements étant réprimés
et étouffés, une " activité antigouvernementale
" secrète était néanmoins toujours
présente.
Ruch (la seule organisation clandestine, independantiste
et anticommuniste polonaise, créé en 1962)
voyait dans la libéralisation de la Tchécoslovaquie
un espoir pour leurs contacts avec l'Ouest, l'émigration
(en 1945-48 la Tchécoslovaquie était l'un
des principaux chemins pour passer à l'Ouest) et
une aide à l'opposition polonaise par les Tchèques
et les Slovaques démocratisés.
Après l'invasion, des slogans et des tracts protestant
contre l'intervention soviétique et la participation
polonaise sont apparus notamment dans les grandes villes.
A la suite de ces protestations quelques personnes furent
arrêtées. Une dizaine de personnes protestait
aussi en rendant sa carte au Parti. Le 9 septembre Ryszard
Siwiec s'immola par le feu pendant la " fête
des Moissons " devant un stade de 100 000 en guise
de protestation, son acte est passé presque inapperçu.
-
La majorité silencieuse
qui se trouve au " milieu " (ceux qui "
n'ont pas d'avis " - la plupart des
2 100 000 membres du Parti) :
Pour le peuple polonais l'invasion de Prague signifiait
surtout les rayons vides dans les magasins.
La propagande est devenue très agressive, à
partir du mois de mars fortement antisémite et anti-intelectuelle
ravivant les souvenirs de 1938. Elle visait surtout les
étudiants en grêve, toute sorte de réformateurs
du socialisme et le Printemps de Prague qualifié
de " contre-révolution " dont la victoire
signifirait la sortie de la Tchécoslovaquie du pacte
de Varsovie avec la conséquence de la frontière
sud polonaise exposée à toute attaque de l'OTAN
et de la RFA.
LA BULGARIE
Vu l'attitude fraternelle du peuple
et notamment des intellectuels bulgares envers le peuple tchécoslovaque,
la presse et les dirigeants bulgares se sont abstenus dès
le début de l'année 1968 des commentaires sur
les événements en Tchécoslovaquie, ils
se contentent de citer leurs confrères étrangers.
Néanmoins, le Printemps de Prague crée certains
soucis aux dirigeants bulgares qui veulent poursuivre la politique
de la détente dans les Balkans qui maintenant, à
cause des événements en cours en Tchécoslovaquie
et à cause du soutien de la Yougoslavie à leur
égard, risque d'être compromise.
Pour la première fois, une critique
violente dirigée contre les dirigeants tchécoslovaques
est publiée par la presse après la lettre adressée
par les " Cinq " de Varsovie aux Tchécoslovaques.
Ensuite après les négociations de Cierná
et de Bratislava les journaux changent d'attitude. L'invasion
est annoncée sans commentaire, elle déclenche
des discussions où le soutien est apporté mais
sans accuser nominalement. En ce qui concerne la Yougoslavie
est sa position à l'égard de la Tchécoslovaquie,
la critique est déjà plus accérée.
Ce n'est que le discours du Premier secrétaire, M. Jivkov,
du 26 août que la critique lève complètement
les barrières.
LA HONGRIE
On peut ressentir un certain malaise
des mass médias à l'égard des événements
en Tchécoslovaquie. Depuis le début le PCH a sympathisé
avec les réformes socialistes tchécoslovaques
(malgré les mises en garde permanentes des dirigeants
hongrois sur les conséquences d'une libéralisation
trop rapide en argumentant avec l'expérience hongroise
de 1956) et M. Kádár avec d'autres dirigeants
souhaitaient leur réussite.
Mais il y a encore un autre élément
relatif à la position des Hongrois par rapport aux événements
en Tchécoslovaquie. Il s'agit d'une vaste région
peuplée en actuelle Slovaquie du Sud dont l'Etat tchécoslovaque
s'est emparé en 1918-19 (même si la Hongrie l'a
recupéré en 1938 grâce aux accords de Munich
et reperdu en 1945). La situation de la minorité hongroise
en Slovaquie du Sud, empirée après 1945, n'a pas
amélioré le problème. La Tchécoslovaquie
a même voulu expulser la minorité hongroise pour
en finir avec leur problème de la même manière
comme elle a réglé le problème des Allemands
des Sudètes. Après l'opposition des Alliés
à cette " solution ", la Tchécoslovaquie
a imposé un " échange de population "
très discutable, comprenant 200 milles Hongrois. L'image
de la Tchécoslovaquie ne s'est pas améliorée
dans les yeux des Hongrois après 1945.
Quant aux événements de
1956 (l'insurrection hongroise), les Tchèques et les
Slovaques manifestaient une hostilité active ce qui a
influencé l'attitude, en particulier de la Hongrie "
profonde ", vis-à-vis des événements
tchécoslovaques.
La presse ne publie que des commentaires
modérés sans s'être jamais mise du côté
de la critique anti-tchécoslovaque. Pourtant elle s'est
montrée pessimiste vis-à-vis de l'aboutissement
de l'expérience tchécoslovaque. Dans les premiers
jours de l'invasion les journaux n'ont publié aucun commentaire,
correspondance ni dépêche.
Après la signature des accords
de Moscou ils commencent au fur et à mesure à
insister sur les progrès de la " normalisation ".
La présence militaire hongroise en Tchécoslovaquie
est minimisée. Les dirigeants tentent d'apporter au reste
du monde, le plus discrètement possible, le message de
la volonté de poursuivre la détente pour réaliser
sa propre réforme, essentielle pour l' avenir du pays,
et étaient donc mêlés dans l'affaire de
l'invasion contre leur gré.
Les réactions
à l'égard du Printemps de Prague et de l'invasion
soviétique peuvent êtres distinguées selon
l'appartenance de différents éléments de
la société hongroise en quatre groupes :
-
La Hongrie " officielle "
de János Kádár:
La position de M. Kádár n'est pas tout à
fait claire. Pourtant, c'est justement lui qui a compris
le mieux de tous les dilemmes de Dubcek: qu'est-ce qui est
plus important -la volonté de la nation ou bien les
intérêts du mouvement international communiste?
Kádár se posait les mêmes questions
en 1956 et il a vite compris que c'était effectivement
le mouvement communiste international qui avait la priorité.
Et il savait également que c'est un processus révolutionnaire
contre lequel il faut engager toutes les forces. Dès
le début de la crise Kádár jouait le
rôle de l'intermédiaire entre Moscou et Prague
et celui d'un certain expert mandaté par le Kremlin.
Il est utile de préciser que Kádár
a subi une blessure particulièrement douloureuse
quand Literární Listy (l'un des principaux
protagonistes du Printemps de Prague) a évoqué
comme précurseur tragique de la réforme du
socialisme l'ex-compagnon de Kádár, à
savoir Imre Nagy. Depuis, sa colère s'est mêlée
à la méfiance initiale.
Kádár encourage très tôt les
mesures de force, il devient le principal " consultant
" de Moscou pour y conseiller dans les marches à
suivre. Pourquoi cette prise de position extrême ?
La peur des informations compromettantes sur sa personne
pendant la " contre-révolution hongroise "
dans les archives à Prague et une éventuelle
ouverture de leur porte? Ou voulait-il éliminer un
concurrent potentiel dans le rôle de " réformiste
" qu'il prétendait assurer seul dans le monde
communiste? Ou bien la manipulation à distance par
son protecteur soviétique depuis 1956, à savoir
Iouri Andropov- chef du KGB?
La fin brutale du Printemps de Prague a également
suscité des critiques dans les rangs du Parti communiste
hongrois (comme le premier ministre hongrois de 1955-56,
Andres Hagedus), le parti de Kádár. Le régime
contre-révolutionnaire de Kádár s'est
constitué sur les bases antirévisionnistes,
antinationalistes mais également sur des éléments
antistaliniens. Les réformistes prenaient la déstalinisation
au sérieux et sympathisaient avec les tentatives
de la direction Dubcek de réformer en douceur.
-
La Hongrie " semi-officielle
" :
1/ Les militaires :
Parmi les partisans militaires de la Hongrie " semi-officielle
" les événements historiques jouaient
un rôle important pour rester à l'écart
lors d'une intervention militaire en Tchécoslovaquie.
Ils savaient qu' une fois avoir franchi la frontière
slovaque, la situation serait plus que délicate.
La veille de l'invasion l'ambassade tchécoslovaque
à Budapest en a été informé
par un appel d'un officier hongrois anonyme.
2/ Les économistes :
Les économistes étaient par contre plus que
concernés par les événements tchécoslovaques
car leur réforme ressemblait beaucoup à celle
de l'équipe d'Ota ik. Il y avait des échanges
intellectuels entre les deux milieux. La Hongrie des économistes
était heureuse d'avoir des alliés précieux
dans un pays frère voisin.
Après l'invasion, les économistes hongrois
s'attendaient que leur réforme terminerait aussi
catastrophiquement que la réforme tchécoslovaque.
Mais contre toutes les espérences, la réforme
hongroise, protégée par la politique opportuniste
de János Kádár, a pu continuer pendant
des années. Elle a du adopter un caractère
strictement technique sans changement politiques mais au
moins elle a pu continuer dans son existence.
-
La Hongrie " profonde ":
1/ Les apolitiques et les indifférénts
:
A cause des souvenirs historiques de caractère territorial
le peuple manifestait peu de sympathie envers la Tchécoslovaquie.
Il éprouvait de l'inquiétude et de l'irritation
envers les événements qui pourraient entraîner
des problèmes même dans les autres pays socialistes,
en particulier en Hongrie.
2/ Les " rebelles " (minorité) :
Ce milieu vivait dur la fin qui était mise à
l'insurrection hongroise de 1956. Elle a crée des
complexes qui se manifestent par le manque d'envie de s'engager
à nouveau dans une vie politique.
Les rebelles ressentent beaucoup de sympathie envers le
Printemps de Prague et l'intervention soviétique
considerent comme leur propre défaite, un deuxième
novembre 1956.
3/ La jeunesse de 1968 :
Pour les jeunes Hongrois l'année 1968 est devenue
l'année de la rupture avec le marxisme officiel.
Ils sont séduits par les nouveautés qui se
font sentir dans les autres pays. C'est cette génération
qui commence dix ans plus tard à former une opposition
politique. Et c'est justement içi qu'on trouve le
maillon entre 1968 et 1989.
LA ROUMANIE
Nicolas Ceausescu, depuis 1965 sécrétaire
général du PCR, est un partisan de la politique
du national-communisme (version roumaine du " socialisme
à visage humain " tchécoslovaque) visant
l'autonomie et l'indépendance du PCR par rapport au PCUS.
Depuis 1960 la Roumanie, pays de l'orthodoxie du socialisme,
a connu une tardive déstalinisation, accompagnée
d'une dérussification des institutions et d'une ouverture
vers l'Occident.
Le 16 août un nouveau " traité
d'amitié, collaboration et association mutuelle "
entre la Roumanie et la Tchécoslovaquie est signé
à Prague. Le PCR soutenait le PCT pendant le Printemps
de Prague, il en voit des alliés potentiels représentant
le même genre de socialisme comme celui de la Roumanie.
Dès le début de la crise
la réaction de la presse roumaine est celle de la réprobation
de l'intervention, de l'angoisse et elle fait appel aux instances
internationales (appel du président à l'ONU pour
qu'elle condamne l'intervention). Vu la défense active
et le soutien de la Tchécoslovaquie, Ceausescu est tenu
à l'écart des réunions des Cinq et des
préparatifs militaires. La Roumanie ne participe pas
à l'intervention soviétiques aux côtés
des autres pays du pacte de Varsovie et il ressort que la direction
du PCR n'était même pas au courant de l'imminence
de l'intervention. La Tchécoslovaquie fait appel à
la Roumanie comme à un pays du pacte de Varsovie pour
qu'elle " fasse quelque chose ". Dans son discours
du 21 août, le président Ceauscescu condamne l'invasion
comme une violation de la souveraineté nationale et exprime
la crainte qu'une intervention pareille pourraît être
faite demain en Roumanie sous le voile d'une soi-disante "
contre-révolution ". Il annonce également
la création des gardes patriotriques armés prêts
de défendre leur patrie, la paix et le socialisme en
Europe. Les journaux développent la justesse de la crainte
exprimée par le président et ils continuent à
surveiller les événements de près.
Avec le souci de tout faire pour que
la menace (la Roumanie est convaincue de son existence) ne se
concrétise pas, la situation en Tchécoslovaquie
n'est passé qu'au deuxième point sur l'ordre du
jour. La Roumanie et la Yougoslavie s'assurent de la confiance,
de la coopération et d'un aide mutuel entre les deux
pays en cas d'une événtuelle attaque soviétiétique
- la crainte principale de ces deux pays à l'époque
de l'invasion de la Tchécoslovaquie. Certes, la Roumanie
comme la Yougoslavie demandent le retrait des troupes des Cinq
mais surtout, elles s'efforcent de faire tout le possible pour
prévenir une attaque dans leurs pays. Ils maintiennent
" en principe " l'appui à Dubcek, réélu
par le congrès du PC.
M. Ceauscescu reçoit Ota ik,
ministre du gouvernement tchécoslovaque, dans la presse
ce dernier est présenté sous ses nouvelles fonctions
de membre du Présidium du Comité central ce qui
signifie implicitement que la Roumanie accepte la validité
du congrès clandestin du PCT.
Après la visite du M. A.V. Basov du 25 août, ambassadeur
soviétique, la situation se détend, l'alarme est
passé, la presse change de ton, elle souligne que la
coopération avec l'URSS est plus que jamais nécessaire
et déclare que la Roumanie ne veut plus faire l'objet
des attaques de la part de l'URSS et de ses alliés. Néanmoins,
elle continue à publier des télégrammes
de soutien à la politique du Parti et de l'Etat. Les
journaux n'attaquent plus l'URSS et ses alliés mais continuent
à insister sur la nécessité de normaliser
les relations entre la Tchécoslovaquie et les autres
pays socialistes, tout en retirant les troupes des envahisseurs
dans les " plus brefs délais ". Mais pour Ceausescu
l'affaire tchécoslovaque est déjà pratiquemment
close depuis le 25 août quand il reçoit une rassurance
à l'égard du sort de son pays.
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