Les tableaux parisiens
XIII/ Les cimetières
Les pyramides d'Egypte, grandioses tombeaux
de rois, ne peuvent provoquer une émotion plus grande
que les cimetières parisiens.
Dans les premières,
ce qu'on admire, ce sont seulement des blocs de pierre assemblés
par le travail humain, la toute-puissance d'un tyran - d'autant
plus étonnante qu'elle est plus artificielle et plus
repoussante - et le monument d'un moment historique, une nation
métamorphosée en pierre stupide.
Dans les seconds,
nous distinguons clairement, malgré les tombes, tout
un courant de vie, les débuts et les étapes du
grand flux d'aujourd'hui, les combattants déjà
tombés - alors que la lutte acharnée se poursuit
-, gouttes éclaboussées sur les rives tandis que
le fleuve vif et puissant se précipite en aval, se hâtant
de porter le navire humain vers la mer éternelle de la
civilisation et la liberté. Devant les pyramides, on
profère des malédictions ; ici, les prières
sont dites avec reconnaissance : des milliers de princes de
l'esprit y reposent. De toutes ces pierres entassées
sur eux, on pourrait faire une nouvelle série de pyramides.
Nous regrettons même qu'ils soient enterrés sous
ce poids énorme. Mais ces pierres ont été
apportées par le respect, la reconnaissance et l'amour
qui rendent la pierre supportable et même légère.
Et quand on sort de cette ville des morts où logent des représentants
de toutes les nations, au lieu du sable du désert, on
baigne dans une mer humaine ; et au lieu du simoun étouffant,
on respire un souffle plein de vie.
Le plus grand, le plus beau et le
plus célèbre des cimetières est. celui
du Père-Lachaise* .
- D'après le nom du confesseur de Louis XIV, le Jésuite
Lachaise, qui avait ici un pavillon.
Asseyons-nous sur le
toit d'un omnibus qui nous y mène depuis la Bastille.
Les grands et magnifiques immeubles s'espacent peu à
peu et se ratatinent en maisonnettes modestes des faubourgs.
Comme s'ils étaient à une frontière et
marquaient l'entrée d'un monde effrayant, deux fortins
se dressent ici face à face : à gauche, la prison
des jeunes détenus et, à droite, la prison de
la Roquette, où les condamnés passent leurs derniers
jours avant d'être conduits au bagne ou à la guillotine
: d'un côté le début, de l'autre la fin.
La place de la Roquette est plantée d'arbres qui s'étiolent,
un étroit chemin mène au solide portail et, au
milieu, quatre blocs de grès allongés forment
un petit carré : ici se dresse la guillotine et ici
finit Orsini (3#).
Devant les maisonnettes
qui bordent le chemin, les marbriers travaillent, sous les tonnelles
de bois ou les toits de bardeaux, aux statues et aux tombeaux
en pierre et en glaise cuite tandis que des jeunes filles cousent
et tressent les rubans noirs et blancs ou noirs et jaunes sur
d'inesthétiques couronnes mortuaires. Les yeux sont rassasiés
d'objets funéraires. Nous avons déjà rapidement
dépassé plusieurs cortèges funèbres.
Nous sommes à nouveau sur le point de doubler l'un d'eux
que dirige, en tête, un homme en frac noir et tricorne,
qui ordonne au cocher de s'arrêter. Le cocher obéit
immédiatement et nous devons descendre ; une objection
lui coûterait cher. Car l'ordre vient d'un représentant
officiel de la société Entreprise des pompes funèbres
- qui a le monopole des enterrements dans le département
de la Seine. Tout est réglé selon le tarif : il
peut être de 18 francs, mais aussi bien de 8 000.
Comme le veut l'usage devant un convoi, nous allons à
pied, tête nue. Le corbillard à découvert
surmonté d'un simple auvent sur quatre colonnes - de
telle manière qu'on peut voir tout le cercueil - pénètre
en même temps que nous dans le cimetière, le portier
donnant trois coups de sifflet stridents : il signale ainsi
que le défunt a acheté pour cinquante francs le
droit de reposer cinq ans en paix dans sa tombe. On note très
soigneusement sur les tombeaux s'il s'agit d'une concession
temporaire ou d'une concession à perpétuité
- qu'on acquiert cinq cents francs. Les demeures des paisibles
dormeurs du lieu changent vite : le portier siffle quatre-vingt
fois par jour en moyenne.
Celui qui veut rester
seul avec ses pensées et l'histoire - dont les souvenirs
se déversent ici comme une cascade qui se brise dans
l'écume de mille réflexions - ne prendra pas un
guide mais un bon plan qui le mènera à travers
le dédale de sentiers étroits couverts d'une argile
grasse et verte que le pied foule en hésitant. À droite
se trouve le cimetière juif : juste à côté
de l'entrée repose Elisa Rachel, rendue immortelle par
l'éclat éphémère du théâtre.
Au dessus de sa tombe, un caveau discrètement voûté
est précédé d'une grille par laquelle on
aperçoit une pierre quadrangulaire qui sert de porte et ferme
inexorablement sa demeure sacrée. Et comme si les visiteurs
s'étaient sentis à l'étroit dans l'antichambre
de la tragédienne, quand elle était vivante, maintenant
les cartes de visite des étrangers jonchent le sol de
la chapelle. Jetez-y aussi la vôtre et ajoutez un mot
sur la pauvreté de notre théâtre! (35) Un
pas plus loin, une cellule dépouillée, avec un
R pour tout ornement au dessus de l'entrée, indique que
les Rothschild y reposent, ces Rothschild qui, à force
de travail, ont transformé en rois des enfants d'une
rue sale du quartier juif de Francfort. Partout autour des tombes
d'hommes dont l'emblème commun est la malédiction
historique et sociale, dont la vie est consacrée au gain
et dont le gain est la raison de vivre : « Comment Schewa
n'aimerait-il pas l'argent quand personne n'aime en lui autre
chose que l'argent ? » (36)
La répétition
des inscriptions « Mayer... » caractérise
à un point caricatural la disparition d'une individualité.
Pourtant l'auteur de la maxime sur Schewa, Ludwig Boerne, qui
est bien connu chez nous et dont le berceau se trouvait à
quelques pas seulement de celui des Rothschild, est couché
à l'écart de son coreligionnaire, en haut de la
colline : David d'Angers a représenté sur son
tombeau l'union de la France et de l'Allemagne dans la liberté.
Une pléiade d'hommes illustres est réunie ici :
Voltaire, Rousseau, Lamennais, Béranger, Herder, Schiller,
Jean Paul. Paris a accordé une concession à perpétuité
à Boerne.
Sortons du cimetière
juif pour le cimetière chrétien. Comme si la religion
de l'amour voulait nous accueillir par un monument d'amour,
le magnifique tombeau du théologien Abélard et
de sa femme Héloïse se dresse devant nous. Un beau baldaquin
gothique se voûte sur les amoureux couchés côte
à côte : les « Roméo et Juliette »
des Français sont masqués par les vestiges de pierre
de l'abbaye du Paraclet fondée par Abélard ; malgré
une expérience contraire, on dit que les fleurs déposées
ici par les amants contrariés ne se fanent pas. Ces légendes
nous sont familières et nous nous sentons comme chez
nous à cet endroit, mais plus encore devant la tombe
proche sur laquelle on lit l'inscription « Antonin Reicha,
professeur de contrepoint au Conservatoire, membre de la Légion
d'honneur, né à Prague le 25 février 1770,
décédé à Paris le 28 mai 1836 ».
Ce musicien et critique tchèque qui a composé
les opéras Cagliostro, Sapho, Natalie,
doit son tombeau à ses « amis et élèves
parisiens »". Nous quittons à nouveau nos
obscurs souvenirs nationaux et un haut monument nous parle des
vagues ensanglantées de l'histoire du monde, dédié
« Aux victimes de Juin, la ville de Paris reconnaissante,
Liberté, Ordre public », sur lequel figurent
les noms des hommes et des femmes tombés en juin 1848.
Plus loin, à gauche du musicien tchèque, repose
une colonie musicale et Euterpe se penche en des attitudes diverses
sur leurs tombeaux : elle pleure sur le rêveur Chopin
et sur le chantant Wilhelm (37) ; elle couronne le buste
du doux Cherubini ; ici gît le classique Méhul
; là, une grande pierre pèse sur les cendres de
l'inoubliable Marie Milanollo : « La violoniste avait
seize printemps ! » Bellini, le compositeur de la Norma,
Boieldieu, l'auteur de La Dame Blanche, Herold, qui écrivit
Zampa, et Grétry sont voisins ; on aurait l'impression
d'errer parmi les ombres des musiciens si le nom de Denon ne
nous ramenait pas à l'Égypte de Bonaparte, Monge à
la mort de Louis XVI et à l'empire abstrait des mathématiques,
Gall à la science née du cerveau sur le cerveau
etc. Les impressions sont ici si variées, si hétérogènes,
si saisissantes, que les pensées sautent d'un grand nom
à un nom plus grand encore, d'une période glorieuse
à une période plus glorieuse. À peine passe-t-on
deux trois tombes dont les noms sont muets pour nos mémoires
- bien qu'elles soient couvertes de nombreuses couronnes mortuaires,
disposées sur des fils métalliques et couvertes
d'un globe de verre, qui témoignent de souvenirs chaleureux
- que déjà on se trouve devant un monticule qui
recouvre les cendres d'une personnalité mondialement
connue. La plume du touriste ne suffit pas là où les
in-folios manquent aux historiens et aux encyclopédistes.
Le promeneur reprendra tout seul ses esprits dans les allées
ombragées du cimetière ; l'écrivain, lui,
ne sait pas où s'arrêter pour marquer seulement la signification
universelle de la ville des morts. Que peut-on écrire,
dire et penser, par exemple, près de la petite tombe
de Chappe, l'inventeur du télégraphe optique!
Quelles pensées essentielles avoir? Ce petit angelot
grand d'un pied qui est agenouillé près du rocher
sur lequel se dresse immobile un bras télégraphique
nous émeut. Un petit début pour une grande fin
; un sémaphore immobile et maintenant une étincelle
électrique qui vole autour du globe! Quelques pas plus
loin, à côté du combatif Manuel (38) auquel
a été attribuée la célèbre
épitaphe : « J'ai annoncé que je ne cèderai
qu'à la violence, j'arrive aujourd'hui pour tenir parole »,
on a déposé le grand poète Béranger.
Des milliers de travailleurs ont gravé leurs noms, leur
hommage, des strophes de ses chansons, dans l'obélisque
de grès ; la police les a effacés, mais à
nouveau sont apparus des « à notre ami ».
Une inscription simple m'a touché : « Au bienfaiteur
de mon père, Chaplain Fils », gravée
grossièrement dans une couronne de lauriers. À nouveau
quelques pas et l'exorde latin: « Sta, viator, heroem
calcas » nous indique qu’ici est enseveli le maréchal
Ney. Puis les souvenirs de chez nous nous ressaisissent quand
nous nous tenons devant les restes du Morave Winsor, l'inventeur
de l'éclairage au gaz : "Ex fumo dare lucem!"
D'un pas lent, en
contournant les nombreux tombeaux de Polonais morts en exil,
nous arrivons à Volney et, de là, au bout de quelques
minutes, à Molière et à La Fontaine. Une
seule couronne, vieille et fanée, froufroute sur la tombe
du fabuliste qui était « in Aesopiis fabellis
condendis recentiorum unicus » ; sur la tombe du « comoediae
principis », aucun témoignage de sympathie.
Nous sommes passés auparavant devant le sculpteur David
d'Angers et le socialiste Henri Saint-Simon et nous voulons
maintenant nous hâter vers le versant est du Père-Lachaise
où le cimetière musulman - qui est clos - contient le
corps de la fameuse reine d'Oud et de son fils. A côté,
de nouveau, toute une colonie d'hommes célèbres
: la famille Ledru-Rollin, Emile Souvestre, Balzac, Delavigne.
Une belle vue s'offre de là sur le Paris des vivants
: un certain marchand Beaujour (39) s'est fait construire au
plus bel endroit - de son vivant - un gigantesque monument en
pain de sucre trop étroit par rapport à sa hauteur
: cette laide immortalité de pierre par anticipation
lui a coûté cent mille francs.
Redescendons pour rendre
visite à Alfred de Musset. Le malheureux poète
se trouve juste au bord du chemin. Un saule pleureur caresse
de son feuillage tremblant le buste de marbre, faisant à
Alfred de Musset la couche qu'il s'était souhaitée :
Mes chers amis, quand je mourrai,
Plantez un saule au cimetière.
J'aime son feuillage éploré ;
La pâleur m'en est douce et chère,
Et son ombre sera légère
À la terre où je dormirai. (40)
Nous nous tenons devant la tombe du poète
qui, tel un palmier vert, a dominé de son vivant la mer
de l'humanité et qui maintenant jouit de son propre temple
posthume ; mais au-delà nous regardons de grands champs
où les tombes se touchent et où de grandes fosses communes sont
destinées à ces « indigents qui n'excellent
en rien et n'ont même pas d'argent ». Une force
irrésistible nous attire près de ces tombes comme
si nous devions nous agenouiller dans la glaise et prier pour
ces bras recrus de travail, ces cerveaux brûlés
par les soucis et ces cœurs piétinés. On met justement
en terre un cercueil en bois blanc. Une poignée de gens
- des hommes en blouse bleue et des femmes en simple bonnet
blanc - se tient au bord de la fosse. Ce sont des indigents
que la police surveille même ici, mais ils ont le cœur
fervent et les yeux humides ; d'une large main, ils essuient
les larmes abondantes qui coulent sur leurs visages hâlés.
Les couronnes s'agglomèrent comme des champignons après
une pluie de larmes sur l'humus qui couvre d'un pied seulement
les rangées de cercueils ; des noms d'inconnus écrits
à la chaux ruissellent sur les croix simples : et on
paye pour de telles inscriptions qui sont sous la surveillance
de la police ! Allons vite plus loin, partons ailleurs avant
d'étouffer !
Regardons un autre
tableau, plus beau et plus émouvant dans sa simplicité.
Sous ce champ reposent les angelots de Dieu, les bourgeons coupés
de l'humanité. Les enfants seuls y sont enterrés
: leurs tombes sont serrées comme de fines perles l'une
contre l'autre à tel point qu'un petit pied d'enfant
pourrait à peine passer entre elles. Et sur chaque tombe,
il y a une petite vitrine - comme chez nous sur les autels -
dans laquelle se trouvent un petit caniche de coton, une poupée
de tissu, un ange de cire et un autre jouet. Pour que l'enfant
ne s'ennuie pas, on a entouré le petit tombeau des côtés
d'un berceau dont on a retiré le rond. Et même
si des larmes nous montent aux yeux, un sourire béat
naît sur nos lèvres de voir que le cœur humain
est si riche, si heureusement enfantin.
Nous arrivons vers
la sortie. Encore un instant de patience, quelques pas sur la
droite, et nous nous trouvons devant la tombe du favori de Napoléon
Ier, du premier pierrot parisien, le premier paillasse
français : ci-gît Jean Gaspard Deburau ! Son fils est
lui aussi Pierrot et il est très apprécié
; il joue en ce moment soit à Fontainebleau, soit dans
l'arène d'une petite île du bois de Boulogne, car
on lui reconstruit son célèbre Théâtre
des Funambules. Il amuse partout où il joue, mais nulle part
il ne se rappellera que son père, Jan Kašpar Dvořák,
était de sang tchèque. Nous avons donné
aux Français leurs premiers paillasses. Mais sortons maintenant,
rejoignons le courant plein de vie et de gaieté de Paris
pour que, en retour, tout son peuple nous divertisse.
Paris a aussi son petit
cimetière à lui : le cimetière de
Picpus. Sur la rive gauche de la Seine, il existe également
celui de Mont-Parnasse, dont on peut seulement dire qu’y sont
enterrés, à côté de l'entrée,
les condamnés à mort. Un autre cimetière
s'étend encore au-dessus des carrières de plâtre
de Montmartre : c'est le cimetière du Nord ou de
Montmartre qui est un peu moins grand que celui du père
Lachaise. Le Mons Martis (colline de Mars) ou Mons Martyrum
(d'après certains, c'est ici que saint Denis et ses compagnons
furent martyrisés) est une hauteur couverte de maisons
au-dessus desquelles s'élèvent les ailes des célèbres
moulins à vent, trop célèbres d'ailleurs
pour que l'émotion ne reste pas en-deçà de la
renommée. Presque tous les endroits offrent ici une belle
vue sur Paris connue par le mot historique du colonel Below
qui, après avoir amené ses dragons lituaniens
jusqu'au sommet, à cheval, répondait à
York en colère : « Je le leur ai promis à
Tilsitt et qui sait s'ils reverront Paris ? ». Le plus
beau panorama est offert par le versant est où ont été
construits un restaurant et une tour : il est possible
d’y monter pour un prix modique et elle donne véritablement
une « vue de Paris à vol d’oiseau ».
Cette tour a été baptisée tour de Malakoff,
puis tour Solferino, « une splendide tour dominant Paris »
comme le déclarent les vers acrostiches imprimés
que l’on reçoit en supplément gratuit des souvenirs de
Solferino et de dépenses de restauration élevées.
Arrivés au cimetière,
nous avons pour première obligation de rendre visite
à notre bien-aimé Heine. Pour mieux nous orienter,
nous demandons à un garde, malheureusement gris, où se
trouve la tombe du poète. Pendant un long moment, il
ne comprendra pas qui nous cherchons, puis une lueur traverse
son esprit embrumé : « Ah ! Henry Heine !
Un poète prussien ! » Nous sommes déjà
le chapeau à la main devant une pierre simple sur laquelle
le nom Henry Heine figure en marbre blanc.
Nos pieds ne peuvent
s’arracher à ce sol, notre pensée voudrait prolonger
ce jour béni, notre cœur vibre de cette poésie
profondément touchante, comme si nous assaillaient de
toute part ces chants, tels les sons d’une cloche au cœur ensanglanté,
comme si notre gorge s’amplifiait au passage de ces mots immortels,
sortis du sein d’un poète déchiré et diffamé
qu est monté aux cieux.
Nichts gesagt und nichts gesungen
Wird an meinen sterbetagen [sic]
se plaignait-il dans
le Romanzero ; mais que sont les derniers jours
d’un poète immortel ! Une couronne de fleur jaunes,
cadeau de sa veuve, se balance sur la tombe. Que nous importe
que l’œil hostile de la loi nous aperçoive ! (41) Il nous
faut à tout prix cueillir quelques-unes de ces fleurs.
Dans la patrie de la littérature « vierge »
(42), j’en offrirai à quelques amis qui ont le cœur plus
large et le cerveau plus sain : ils sauront les conserver
comme un souvenir de valeur venu d’un poète étranger
et cher.
Et que dois-je écrire
ici de cette deuxième tombe où repose le poète
Mazeppa, de Beniowski, de Lilla Weneda,
de Piast Dantyzsek, notre géant slave Juliusz
Slowacki ? Que dire à cet endroit où, à chaque
pas, on rencontre la tombe d’un Polonais mort et peut-être
même né en émigration, et pourtant Polonais
enthousiaste et fidèle ! La grande famille des exilés
polonais, riche en souffrances, dresse ici des monuments « exules
Poloni memoriae suorum » ; comment trouver quoi
dire là où les mots « exoriare aliquis nostris
ex ossibus ultor » (43) tonnent comme un prophétie
douloureuse et une plainte déchirante. Les pieds glissent
comme dans un torrent de sang et l’ouïe se recroqueville comme
si l’atteignaient les soupirs de la lointaine Pologne.
- Notes
-