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CHANT III

 

K.H. Mácha, "Mai"
Traduit du tchèque par H. Jelínek et J. Pasquier
Revue "Poésie", No 10-11, 1936

Tout droits réservés

 

Au-dessus des sombres montagnes
La rose du jour a fleuri
Et la vallée s'éveille à mai.
Tout alentour sur les forêts
S'attarde une brume de rêve.
Des sombres bois, la vapeur bleue
Monte vers le ciel rougissant...
Au-dessus du lac aux tendres nuances
Se balance un brouillard d'azur;
Loin sur ses rives, à l'ombre des collines,
Et loin dans la large vallée,
Au-delà des forêts brillent les fermes blanches.
Tout au fond, tel un roi puissant
Pareil à l'ombre de la nuit
Et dressé menaçant vers le rose du ciel,
Siège ce mont qui domine les autres.

Mais sur l'azur ténébreux des montagnes,
A peine le soleil a-t-il dardé son or,
Que tout ce qui dormait s'éveille de son rêve
Et toute créature exulte.
Voici sur le lac vert un blanc chœur de mouettes
Et la course des barques, et les rames rapides
Rayant d'un sillage empourpré
L'ombre bleue et molle des vagues.
Sur la rive du lac bruit un bois de pins
D'où monte en un psaume de gloire
Le cri du merle et des fauvettes.
A leur chant se mêle la voix
Emporte au vallon vert une fleur blanchissante,
Des fillettes qui vont à travers la vallée.
Tout ce qui voit le jour fête le jeune mai,
Et le vent matinal, suave comme un chant,
A leur chant se mêle la voix
Emporte au ballon vert une fleur blanchissante,
Guide au-dessus des bois le vol des oies sauvages
Et courbe sur les monts le jeune front des arbres.

Mais voici qu'une seule image
A dispersé le charme matinal.
Voyez-vous sur le lac, là-bas, cette île mince
D'où le reflet d'un bourg avec une tour blanche
Plonge au sein vert de l'eau ?
Entendez-vous monter dans le jeune matin
Ce bruit, ces terribles clameurs ?
Des portes de la ville une foule, se rue
De partout on accourt; le flot humain grossit,
S'enfle sans cesse, et le vacarme s'amplifie;
Toute une multitude est déjà là massée :
Le triste meurtrier va gagner l'échafaud!...
Vois! Aux portes du bourg parait un régiment.
Sa marche est lente. Il fait escorte au prisonnier
Qui s'avance entre les soldats, paré comme à l'accoutumée.
Un silence s'est fait, puis le vacarme éclate :
" C'est lui ! C'est lui ! Ces plumes et ces fleurs
Au chapeau! Et cet oeil qui lance des éclairs!
C'est son manteau! C'est lui! C'est la Terreur des Bois !...
Ainsi de toute part clame la multitude,
Et sa clameur, comme la vague sous l'orage,
Grossit. Et lentement s'avance le captif.
La troupe autour de lui roule un nuage noir
D'où le soleil, frappant l'acier, tire un éclair.
Il avance à pas lents, le regard vers la terre.
La cloche sonne au bourg - la foule pour lui prie.

Au-dessus du lac est un tertre.
L'œil y découvre un pieu surmonté d'une roue.
Tout près, une montagne abrupte
Que domine un double sommet.
Sur la plus haute pointe miroite une chapelle blanche.
Le cortège, à pas lents, s'en rapproche.
Tout le monde alors s'écarte et le meurtrier reste seul.
On l'a conduit au temple glorieux de la nature
Pour qu'il puisse apercevoir une dernière fois
Au sein des montagnes obscures
Les lieux où s'écoula sa Jeunesse enchantée,
Pour qu'une fois encore conduit sur la montagne
Au sein rose du ciel, devant l'ombre clé la chapelle blanche,
Il remercie le Maître du Ciel, le Maître de tous les mondes.
Tout bruit s'est tu - La foule immobile s'est tue.
Dans le cœur de chacun veille une flamme vive.
La pitié brille en des yeux pleins de larmes,
Tournée vers la Montagne où debout devant Dieu,
Elevant vers le ciel sa muette prière,
Guillaume contemplait le royaume du Monde

Les rouges rayons du soleil
Colorent son pâle visage
Sèchent les larmes de ses yeux
Tristement rivés au lointain.
A ses pieds s'ouvre la vallée
Que bordent les sombres montagnes,
Que couronne au loin la forêt.
Les plus belles fleurs y fleurissent,
Le lac lumineux y sommeille.
L'onde, près du bord calme et bleue,
Plus loin fleurit en lueurs vertes
Et se fond en pâle clarté.
En cercle autour de son rivage,
Les fermes lointaines blanchoient.
Sur l'eau passent des oiseaux blancs,
Des barques aux rames rapides.
On les suit jusqu'à l'horizon
Où le bleu du lac se confond
Avec l'ombre bleue des montagnes.
Les barques et les fermes blanches,
La tour, la ville et les oiseaux.
Les collines et les montagnes,
Tout se baigne au sein clair des eaux,
Tout se reflète en leur miroir.
Au lointain bleu, une falaise
Ecrase les rives fleuries.
Sur le rocher s'étale un arbre
Le tendre cri des tourterelles
Jamais plus n'y résonnera...
Tout près de là s'élève un tertre
On y voit le pieu et la roue...
Sur sa tête Guillaume entend
- Triste plainte sur la montagne -
Bruire au vent un jeune bois.
Le vallon brille de soleil Et de rosée...
Matin de mai

Une fois encore, Guillaume contemple
Tout ce qu'il lui faut aujourd'hui quitter.
Un grand désespoir s'abat sur son cœur,
Un profond soupir soulève son sein,
De ses yeux jaillissent des larmes.
Dans l'azur céleste, de blondes vapeurs s'évanouissent
Au gré d'une brise légère.
Et très haut, dans de lointains royaumes
Des nuages blancs défilent dans le ciel profond
Et le triste prisonnier leur adresse ces paroles
" 0 nuages qui, dans votre course lointaine,
" Enserrez la terre d'un bras mystérieux,
" Nuages, débris d'étoiles, ombres du firmament bleu,
" Vases d'affliction, qui saturés de tristesse
" Vous résolvez en larmes silencieuses,
" Vous, entre tous, soyez messagers
" Partout où vous voguez dans votre voyage au long cours
" Et là-bas aussi où le hâvre vous attend,
" Nuages, nuages pèlerins, saluez pour moi la Terre.
" Ma belle terre, ma Terre bien-aimée,
" La Terre, mon berceau, et ma tombe, et ma mère.
" Et seule patrie et mon seul héritage,
" Ma large Terre... Ma seule Terre.
" Et quand votre voyage vous aura conduits,
" Nuages !, près d'un lac au-dessus d'un rocher
" Où pleure une enfant triste... "

Mais il s'est tu. Ses pleurs ont ruisselé.
Déjà le régiment regagne la montagne
Entraînant le captif par un large sentier
Qu'ombrage un bois de pins. Déjà voici le tertre,
Et la foule à nouveau retient sa grande voix.
L'exécuteur est prêt, debout, avec son glaive.
Le prisonnier, au ciel lève un dernier regard.
Regarde autour de lui en soupirant, enfin
Baisse les yeux et s'apprête à mourir.
Il découvre son cou, il dénude sa poitrine blanche.
A terre s'agenouille, et le bourreau recule.
Le glaive brille, le bourreau fait un pas rapide
Le glaive tournoie, jette un éclair sur la nuque,
La tête tombe, rebondit, bondit encore,
Et le corps mutilé s'effondre vers la terre,
La belle terre, sa terre bien-aimée,
La terre, son berceau et sa tombe, et sa mère
Et sa seule patrie et son seul héritage.
Sa large terre, sa Terre unique,
La mère ! la mère a bu le sang du fils.
Et le bourreau rompit un membre, et puis un autre
Et tout le corps enlacé à la roue
Fut hissé sur le pieu on l'on cloua sa tête,
Et telle fut la fin de la Terreur des bois.
Sur le visage mort sommeille un dernier rêve.
Pour le voir, tout le long du jour, la multitude
Se presse auprès du tertre et ce fut seulement
Quant le soleil eut décliné vers l'occident
Et ri dans les yeux morts de la tête coupée,
Que la rive du lac, avec le soir, s'est tue.
Un dernier incendie embrasa les montagnes
Et puis le clair de lune envahit le silence.
Sa lueur argenta le cadavre livide
Et le tertre silencieux au bord de l'eau...
Les villes font au loin des taches de blancheur,
Comme nuages dans l'azur
Au delà d'elles, un regard mort fixe une lointaine contrée
La contrée où jadis, en son âge enfantin...
O bel âge, emporté par la fureur des temps
Son rêve est au loin comme une ombre évanouie,
Comme un reflet de blanches villes englouties,
La suprême pensée des morts,
Comme leur nom, et la rumeur des antiques batailles,
Comme une aurore boréale et sa splendeur éteinte,
Comme le son d'une harpe tordue, la plainte d'une corde rompue
Les gestes d'un siècle aboli, la lumière d'un astre mort,
La course d'une étoile errante, l'amour d'une maîtresse morte,
Comme une tombe à l'abandon, palais déchu de l'à-jamais,
La fumée d'un feu consumé, la voix d'une cloche muette...
O le beau temps que l'enfance des morts !

C'est la fin d'un soir... le deux Mai
Le temps de Mai... le temps d'aimer.
Le tendre cri des tourterelles.
" Guillaume, Guillaume, Guillaume ! "

 

- SUITE : Intermezzo II -

 

 

 

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