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MAI

 

Karel Hynek Mácha, "Mai"
Traduit du tchèque par H. Jelínek et J. Pasquier
Revue "Poésie", No 10-11,
1936
Tout droits réservés

CHANT I

C'était la fin d'un soir de Mai,
Le premier Mai, le temps d'aimer.
Le tendre appel des tourterelles
Montait dans la senteur des pins.
La mousse chuchotait de secrètes tendresses.
L'arbre en fleur lamentait un amoureux mensonge.
Le rossignol chantait son amour à la rose,
Et la rose amoureuse en parfums s'exhalait.
Le lac uni, dans l'ombre des charmilles,
Murmurait la douceur d'une peine secrète
A ses rivages, dont la courbe l'embrassait.
Les étoiles, soleils de mondes inconnus,
Erraient parmi l'azur strié de bandelettes,
Et brillaient comme autant de larmes amoureuses,
Et puis leurs univers, dans le ciel lumineux,
Montèrent, comme au temple éternel de l'amour,
Oł leurs feux pâlissants, épuisés de ferveur,
Se confondirent, tels des amants égarés...
Le beau visage de la lune
-Si pâle en sa clarté, si claire en sa pâleur -
Comme l'amante en quête de l'amant,
S'illumina d'une rose lueur,
Et dans les eaux contemplant son image,
Elle semblait mourir d'amour pour elle-même.
Des chaumières au loin se dissolvaient dans l'ombre,
Comme si, l'une étant près de l'autre attirée,
Elles voulaient obscurément se joindre
Et se blottir au sein du crépuscule,
Pour se confondre en la nuit qui montait...
L'arbre ondule vers l'arbre à l'ombre des montagnes,
Et le mélèze tend ses branches au bouleau,
Sur le ruisseau les vagues se poursuivent.
Au temps d'aimer, tout bouillonne d'amour.

~

Dans le soir rose, au pied d'un chêne,
Une jeune fille est assise.
D'un rocher, sur le bord du lac,
Son regard fuit vers l'autre rive.
A ses pieds, l'onde calme et bleue
Plus loin fleurit en lueurs vertes,
Puis se fond en sombre émeraude
Et finit en pâle clarté.
Sur l'interminable étendue
Erre en vain son regard lassé,
Sur l'interminable étendue
Rien que les astres reflétés.
Comme elle est belle ! Ange tombé,
Amarante au printemps fanée,
Sur son front, sa bouche et ses yeux,
L'heure qui l'avait dépouillée
Laissait un charme douloureux.
C'est ainsi que finit la vingtième journée...
Un rêve à pas muets marche sur la contrée.
Un dernier incendie se rallume et s'éteint
Le ciel pâlit - les monts bleuissent au lointain.
" Il ne vient pas ! Il ne reviendra plus ! "
La douleur fond sur la fille séduite,
Un grand soupir soulève sa poitrine,
La douleur bat sourdement dans son cœur,
Et voici que ses plaintes et ses pleurs
Se mêlent aux sanglots mystérieux des vagues...
Les feux du ciel se mirent dans ses larmes.
Sur ses joues froides chaque larme
Est une étincelle brûlante,
Luit comme une étoile filante.
-Oł chacune tombe, une fleur se fane-

~

Mais vois ! Elle a jailli sur le bord du rocher !
Vois-tu flotter sa robe blanche ?
Elle se tend, elle se penche,
Son regard fixe le lointain.
Elle a vite essuyé ses larmes,
Et couvrant ses yeux de sa main,
Elle observe là-bas un point du paysage.
Là-bas oł le grand lac se perd dans les montagnes,
Oł l'on voit des clartés danser parmi les vagues
Et l'étoile sur l'eau jouer avec l'étoile.
Comme une colombe de neige
Volant sous un nuage noir,
Comme un lys d'eau qui se balance
Au-dessus d'un profond azur,
Quelque chose glisse là-bas,
-Là-bas oł le grand lac se perd dans les montagnes-
Et s'en vient sur les sombres vagues.
Sa course est prompte... Un court moment,
Et ce n'est plus colombe ni lis d'eau
Mais, pareille en son vol à la cigogne grave,
La blancheur d'une voile au vent, qui se balance.
La mince rame, en plongeant dans l'eau bleue,
Y soulève de longues rides,
Que frangent d'or ces roses de lumière
Qu'au bas du ciel, au front des chênes,
On voit briller là-bas sur les montagnes.
" Dieu, quel rapide esquif ! Plus près, plus près encore !
" C'est lui ! C'est lui ! Ces plumes et ces fleurs
Au chapeau, ce regard qui luit dans la pénombre,
Ce manteau ! " Mais déjà la barque est amarrée.
D'un pas léger, le rameur escalade
L'étroit sentier qui conduit au rocher.
Elle, cachée derrière, un chêne,
Sent ses pâles joues s'empourprer.
Elle avance au-devant de l'homme,
Elle accourt, exulte. Un grand saut :
Elle est déjà sur sa poitrine.
" Ah ! Malheur à moi ! " Car le clair de lune
Vient de démasquer le sombre visage.
D'horreur tout son sang se fige en ses veines.
" Oł est mon Guillaume ?"
" Regarde " dit l'homme
Dont la voix chuchote alors ces paroles :

" Là-bas, près du lac pointe une tourelle,
Parmi les pins noirs, son ombre blafarde
Plonge en la profondeur des eaux.
Y vois-tu briller, plus profonde encore,
La lueur qui sort d'une meurtrière ?
Ton Guillaume est là ! Prisonnier !
Il songe Que demain sera le jour de sa mort.
Il sait maintenant sa honte, et ta faute.
Il a su le nom de ton séducteur :
Oui, son propre père ! Il l'a poignardé.
Mais le châtiment va suivre le crime.
Il mourra demain de mort infâmante.
Il retrouvera la paix, quand ses joues
Perdront leur couleur, clouées à la roue ;
Quand son svelte corps oł le sang fleurit,
Pendra tout rompu autour de la roue.
Ainsi périra la Terreur des Bois !
Pour sa honte à lui, pour ta faute à toi,
Sois en opprobre au monde ! Et moi, je te maudis !"

~

Sa voix s'est tue. Il se détourne,
Rapide, il descend le sentier,
Et reprend sa barque amarrée..,
Comme s'envole une cigogne,
L'esquif s'enfuit. Comme un lis d'eau,
La barque au loin se fait petite
Entre les monts, puis disparaît.
La vague qui s'est tue et l'obscur sein des eaux,
Tout se couvre alentour d'un grand voile azuré.
Près du bord on voit luire encore une ombre claire;
Les arbres, les buissons, chuchotent " Jarmila ".
La voix des eaux redit " Jarmila, Jarmila ".

C'est un soir tardif, soir de Mai.
C'est le temps de Mai, temps d'aimer ...
Ecoute au bois les tourterelles !

" Jarmila, Jarmila, Jarmila "

 

- SUITE : Chant II -

 

 

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