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Les méthodes d’enquête
de la police d’état tchécoslovaque (StB)
1948-1989

 

 

A partir de février 1948, un des slogans de l’état communiste nouvellement instauré est : « Celui qui ne marche pas avec nous marche contre nous. » Les objectifs que suivait le parti en ce qui concerne les condamnations à de lourdes peines ou à la peine de mort étaient d’enfermer et d’empêcher de nuire quiconque soutenait d’autres idées que celle des communistes (loi 231/48), et d’assurer de la main-d’œuvre (loi 248/48). Par ailleurs, elles avaient aussi l’effet de maintenir la population dans un état de peur. Dans de nombreux cas, les victimes choisies étaient des personnalités connues, afin que l’effet soit plus fort. Les arrestations ont débuté dès le « Février victorieux », ce qui montre assez qu’elles étaient prévues à l’avance. Peu à peu, le parti effectuera des purges dans ses propres rangs.
Les principaux organes à mettre en place la terreur des années 50 étaient le Comité central du PCT (ústrední výbor KSC), les comités régionaux du PCT (krajské sekretariáty KSC), les comités de districts du PCT (okresní sekretariáty KSC) et les comités d’action (akcní výbory), présents sur tout lieu de travail, dans l’armée, la police et les écoles. Le plus souvent, les raisons du choix des victimes étaient la haine personnelle, la rancune ou l’envie. Averties à temps par des fonctionnaires restés honnêtes, certaines personnes visées ont réussi à s’échapper (pour toute la période du communisme, on dénombre environ 60000 cas d’émigrations de ce genre).
Les membres de la police d’état (StB) devaient à tout prix arracher aux victimes désignées un « aveu ». Certaines méthodes utilisées étaient directement calquées sur celles de la gestapo. Ceux qui refusaient d’avouer étaient souvent tués à force de coups (cf. le cas du curé Toufar). Ceux qui avouaient étaient envoyés dans les camps de travail ou en prison. Un des camps les plus connus et les plus redoutés était celui de Jáchymov. Après 1948, le Comité central du PCT donna l’ordre à la police d’état de fournir 3000 personnes par mois pour les puits d’uranium de Jáchymov. La police d’état se mit donc à créer des « groupes anti-communistes » (protistátní skupiny) qu’elle s’empressait de liquider. Jusqu’en 1951, les détenus des puits de Jáchymov n’avaient pas droit aux soins médicaux. S’ils essayaient de s’enfuir, on leur tirait dessus ou bien on les tuait à force de coups. La presque totalité de l’uranium de Jáchymov était envoyée en URSS. En 1960, l’extraction d’uranium cesse, et les survivants sont « amnistiés ». Nombre d’entre eux mourront par la suite à cause des radiations subies.
De 1948 à 1953, la violence physique fait partie intégrante des enquête de la police d’état. A partir de 1954, elle sera utilisée moins fréquemment, lorsqu’un aveu rapide est nécessaire. En revanche, les méthodes de violence psychologique deviennent de plus en plus perfectionnées et servent à préparer de grand procès spectaculaires, puis, à partir de 1965, à maintenir la population dans la crainte et la méfiance. La salle de l’interrogatoire, lorsqu’il ne s’agit pas d’un simple bureau, est une pièce entièrement revêtue de carrelage, avec un canal en son centre. Le détenu était placé sur un petit tabouret dans un coin de la pièce, et enchaîné par le pied à un anneau fixé au sol, ou bien il restait le pied enchaîné au sol et un bras figé en l’air par une chaîne fixée au plafond. L’enquêteur était assis à une table, la torture étant le travail de milices ou de soldats effectuant leurs premières années de service militaire. Les détenus étaient frappés à coups de poings, de battes, de pieds de tables… Parfois, on leur administrait des décharges électriques de 220 volts. On leur brisait les côtes, broyait les seins, brisait les doigts, cassait le nez et la mâchoire, défoncait les dents, plantait des épingles sous les ongles ; on leur arrachait les ongles, on leur brûlait la peau avec des cigarettes, on leur donnait des coups de pieds dans les testicules, on les aveuglait en leur approchant des bouts de fers incandescents près des yeux. Certains détenus se voyaient injecter des doses de « Scopolamine », drogue entraînant une paralysie de l’esprit. Ces détenus-là étaient ensuite prêt à avouer n'importe quoi.
Des méthodes de violence psychologique étaient élaborées pour forcer les détenus à « avouer » des actes prévus par un scénario rédigé à l’avance. Cette forme de pression était utilisée pour mettre en scène des procès entourés d’une grande publicité, destinés à effrayer la population. La torture était alors plus longue, elle pouvait durer jusqu’à deux ans. A la fin, le détenu était contraint d'apprendre le protocole entier par cœur s’il voulait éviter une sentence plus lourde. Il devait subir des interrogatoires de seize heures ou plus, le plus souvent la nuit et dans la matinée. La température des cellules était basse, voire glaciale, et les vêtements très légers. La nuit, le détenu devait laisser ses mains bien en vue. S’il lui arrivait en hiver de les cacher pour se réchauffer, la garde donnait un grand coup de pied dans la porte pour le réveiller. Ces coups de pieds se répétaient sans cesse, de sorte que le détenu ne pouvait pratiquement pas fermer l’œil de la nuit. Lorsque la sentence s’aggravait, on lui confisquait sa couverture et, tout au long de la nuit, à des intervalles réguliers, on le forcait à marcher dans sa cellule. Après deux ou trois mois, le détenu avait acquis des réflexes conditionnés et il lui était impossible de dormir même lorsqu’il n’était pas dérangé. Le résultat était un total épuisement. Le détenu était sans cesse surveillé à travers un judas. Pour toute nourriture, il ne recevait que le strict nécessaire pour survivre (1200 Kcal par jour). Après 1953, lorsque le système de tickets de rationnement s’arrêta, s’il avait assez d’argent, il pouvait s’acheter un peu de nourriture en plus. Une des pratiques courantes était des mettre en scène l’exécution du détenu : on lui annonçait qu’il serait exécuté (pendu, jeté par la fenêtre du dernier étage...), on l’amenait dans une pièce où tout était prêt pour son exécution, lui disant qu’il aurait la vie sauve s’il avouait. Parfois, on montrait au détenu les papiers d’identité de membres de sa famille avec pour seul commentaire : « Ils resteront ici aussi longtemps que vous refuserez d’avouer. » Régulièrement, on plaçait dans la cellule du détenu des collaborateurs de la police d’état qui s’efforçaient de persuader le détenu que s’il avouait, sa peine serait réduite. Parfois, au contraire, il était menacé et humilié. Lorsqu’un détenu devenait fou, il était transporté à l’hôpital psychiatrique de Bohnice à Prague où on lui faisait subir des électrochocs jusqu'à ce qu’il soit en état de témoigner selon le scénario prescrit. Certains détenus étaient placés dans des cellules spéciales de six mètres carrés, pour quelques semaines, quelques mois ou même quelques années, le temps qu’ils passent aux aveux. De temps en temps, ils étaient placés dans des cellules sans lumière pour des durées variables. La police secrète s’efforçait de faire croire au détenu qu’elle savait tout de lui, de ses relations familiales, de sa situation sociale. Ces informations étaient soigneusement soutirées lors de discussions informelles avec d’autres détenus ou avec des personnes en liberté. Toute information, aussi insignifiante qu’elle pût paraître, était archivée et réutilisée au bon moment. En conséquence, le détenu commençait à croire que la police savait effectivement tout de lui, même ce qu’il pensait, et qu’il avait peut-être vraiment dit ce qu’on le forcer à avouer. Parfois, la police d’état effectuait ce qu’elle appelait des arrestations secrètes. Cette méthode n’était pas même autorisée par les lois de l’époque. Il n’y avait pas de mandat, la personne « secrètement arrêtée » n’était pas mise en détention préventive. Elle était tout simplement enlevée et transportée à un endroit qui lui était inconnu pour y être interrogée.
Outre ces formes de pression directe, la police secrète utilisait aussi des formes de pression indirecte, dans le cas de détenus qui avaient de la famille en liberté. On leur permettait de recevoir des lettres, de sorte qu’ils soient bien informés de ce qui se passait à l’extérieur. Les membres adultes de la famille d’un tel détenu étaient interdits de séjour dans leur pays et forcés d’émigrer ou bien ils étaient licenciés et contraints d'accepter un travail physique sous-payé. On poussait son épouse à demander le divorce en lui promettant qu’elle retrouverait sans ancien poste et qu’elle se porterait mieux. Ses enfants étaient humiliés à l’école primaire – il était fréquent que madame le professeur annonce à ses élèves : « cet enfant est un ennemi du peuple, méfiez vous de lui. » Ils étaient alors expulsés des lycées et des universités. On poussait les membres de sa famille à lui reprocher dans leurs lettres son attitude hostile envers le peuple des ouvriers (pracující lidi). Si le détenu était un homme, un membre de la police d’état mettait sa femme enceinte, puis, on la forçait à avouer son infidélité à son mari dans une lettre. S’il s’agissait d’une femme, on lui annonçait que son mari la trompait. On poussait les membres de la famille du détenu à le renier et à le lui annoncer dans une lettre. Le détenu qui recevait une telle lettre avait le plus souvent la sensation d’avoir perdu ce qui constituait tout son monde, et signait n’importe quel aveu. On s’efforçait de persuader le détenu que s’il avouait aussi des actes soit-disant commis par d’autres et s’il témoignait contre eux, il serait libéré. En réalité, ceux qui s’y prêtaient étaient ensuite accusés de ne pas avoir déclaré un acte criminel ou d’y avoir participé.

J. G. Páleníček

 


Sources :

(Collectif) Au sujet des prisons tchécoslovaques. Recueil de la Charte 77 (O ceskoslovenském vezenství. Sborník Charty 77), Prague, 1990 ;

Bedrich Utitz, Un chapitre non-clos. Les Procès politiques des années cinquante (Neuzavrená kapitola. Politické procesy padesátých let), Prague, 1990 ;

Miroslav Ivanov, Un meurtre judiciaire ou la mort de Milada Horáková (Justicní vražda aneb smrt Milady Horákové), Betty, Prague, 1991 ;

Karel Bartošek, Message au sujet de mes pérégrinations dans les archives communistes. Prague-Paris. 1948-1968 (Zpáva o putování v komunistických archivech. Praha-Paríž. 1948-1968), Paseka, 2000 ;

Karel Kaplan, Pavel Palecek, Le Régime communiste et les procès politiques en Tchécoslovaquie (Komunistický režim a politické procesy v Ceskoslovensku), Barrister & Principal, Brno, 2001.

 

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