Extrait du Sermonnaire catholique...
Václav Matěj Šteyer
Un certain polonais, natif de Pultov, ayant
passé plusieurs années en guerre, avait bien lardé
sa bourse, par vol ou par pillage. Après quoi, il décida
de rentrer chez lui et d'enrichir ses parents de ses biens.
Lorsqu'il arriva ensuite près de sa terre natale, il
rencontra sa sœur, à laquelle il demanda, ne l'ayant
pas reconnue, si tel bourgeois et sa femme étaient encore
en vie (il lui donna le nom de son père et de sa mère).
Elle répondit que tous deux étaient vivants et
qu'elle était leur fille et qu'elle avait un frère
dans l'armée, et elle dit son nom à lui. Ayant
reconnu grâce à cela qu'elle était bel et
bien sa sœur, il lui annonça qu'il était
le frère en question. Et pour qu'elle le croie, une fois
descendu de cheval, il dénuda devant elle une partie
de son épaule sur laquelle il avait un certain signe
naturel, ce signe étant connu des siens, la femme le
reconnut tout de suite et lui souhaita amicalement la bienvenue.
Puis ils se séparèrent, elle allait à la
grand-ferme, lui se rendit à la ville, dans la maison
de ses parents qui, puisque son visage avait beaucoup changé,
ne purent le reconnaître ; et lui ne voulut pas être
reconnu tout de suite. Et puisque la maison de ses parents était
une auberge et que son père en était le tenancier,
le soldat ordonne qu'on lui prépare un bon dîner
auquel il invite ses deux parents, et il se réjouit avec
eux malgré le fait qu'ils ne l'aient pas reconnu. Après
le dîner, qui se prolongea tard dans la nuit, le soldat
confia son sac de voyage, très lourd à cause de
la quantité d'argent qu'il contenait, à l'aubergiste,
afin qu'il le mette en sûreté, et s'endormit dès
qu’il fut couché. Après qu'il se fut endormi,
le tenancier et la tenancière, ayant remarqué
grâce au poids du sac qu'il pourrait s'y trouver beaucoup
d'argent, ouvrirent celui-ci et y découvrir trois-cents
écus espagnols. Dans l'envie de ne pas devoir les rendre,
ils décidèrent de tuer ce soldat nouveau-venu.
Alors, la femme, rassemblant son courage, prend un couteau,
se rend dans la chambre où le soldat est couché,
s'approche furtivement de lui, et, alors qu'il dort profondément,
elle lui tranche la gorge d’un coup, sans savoir que c'est
son propre fils qu'elle vient d'assassiner. Une fois mort, ils
le tirèrent vite du lit, et, ayant creusé un trou
en hâte, ils l'enterrèrent de façon déshonorable.
Tôt le matin, la sœur, s'en retournant de la grand-ferme,
arrive chez elle et demande des nouvelles de son frère.
Les parents s'étonnèrent de ses paroles et dirent
que leur fils n'était pas venu du tout. Néanmoins,
lorsqu'elle se mit à raconter tout ce qu'il lui avait
dit et comment elle l'avait reconnu grâce à la
marque sur l'épaule, lorsqu'elle leur assura qu'il lui
avait dit qu'il s'en allait directement dans la maison de ses
parents, pris d'une très grande peine, ils fondirent
en pleurs et en sanglots, et leur douleur grandit tant et tant
dans leurs cœurs que tous deux s’ôtèrent
la vie. Dès la première nuit, le père,
sorti seul de la ville, se pendit lui-même à la
potence municipale ; la mère, quant à elle, se
trancha la gorge avec le même couteau qui lui avait servi
à tuer son fils. Accablée d'une douleur indicible,
la fille sauta dans un puits et se noya. Et voilà tout
le bénéfice de toute cette cupidité. C'était
là de véritables martyrs du diable, ceux-là
qui, sur le conseil du diable, se tuèrent eux-mêmes
pour de l'argent. Saint Paul a dit : Ceux qui veulent s'enrichir
tombent dans la tentation et dans le piège du diable
et dans diverses envies superflues, voire même nocives,
qui plongent les hommes dans la mort et la damnation. Et précisément,
cet aubergiste avare est tombé dans le piège du
diable lorsque se pendit à la potence, et sa femme succomba
à des envies nocives qui l'ont plongée dans la
mort et la damnation lorsqu'elle se tua elle-même à
cause de son désir d'argent. Leur fille, bien qu'elle
n'ait pas pris part à la fausseté de ses parents,
mourut avec eux, prenant part elle aussi à leur punition.
Extrait de Sermonnaire catholique divisé
en deux courtes parties, l‘une pour les dimanches, l’autre
pour les fêtes, ou Commentaires des évangiles,
destinés, selon l’ordre et l’habitude établis
par la sainte église romaine-catholique, à être
lus chaque dimanche et pour chaque fête dans le glorieux
royaume de Bohème et dans le margraviat de Moravie tout
au long de l’année... [Postilla katolická
na dve cástky rozdelená, nedelní a svátecní
aneb Vejkladové na evangelia, která se podle
rádu a obyceje svaté-rímsko-katolické
církve na kadou nedeli a na kadý svátek
v slavném ceském království a margkrabství
moravském zasvecený pres celý rok cítají...],
1691.
Note du traducteur : rapprocher cet extrait
de Sermon au Malentendu d’Albert Camus
et de la coupure de journal trouvée en prison dans L’Etranger.
Traduction Jean-Gaspard Páleníček