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La culture assiégée


František Janouch

    A l'occasion du Forum culturel européen de 1985, ayant lieu à Budapest, les écrivains tchèques et la Charte 77 publièrent une proclamation dénonçant la situation culturelle en Bohème où les artistes, s'ils veulent créer librement, doivent compter avec leur éventuel emprisonnement. Cette déclaration fut aussi signée par Jaroslav Seifert.
    " Avant que cette lettre n'arrive, tu sauras déjà que monsieur S. a lui aussi signé la lettre pour Budapest. Nous sommes allé - nous, les trois portes parole (il s'agit de Eva Kanturková, de Jirí Dientsbier et de Petruška Šustrová) - lui porter nos vœux, c'était son anniversaire lundi : nous avons choisi le dimanche après-midi - un moment où nous pensions qu' " ils " pourraient prendre du temps libre - et, effectivement, nous sommes entrés et sortis sans dommages. Il faisait très chaud, le vent soufflait du Sud, la pression changeait, il ne se sentait pas bien, il disait qu'il dépend entièrement du baromètre, mais il était aimable et s'intéressait de cette belle façon à lui à des personnes concrètes, à ce qu'elles font, comment ils vont, comment gagnent-ils leur vie. Avec moi, il a parlé de mon père, ils se sont bien connus, il disait : " Comme chef, il était gentil avec moi " - papa dirigeait la maison d'édition Práce lorsque lui s'y occupait de la rubrique culturelle. Il y a des gens qui en veulent à monsieur S. d'avoir un tel rayonnement. Moi, au contraire, je trouve cela assez amusant qu'après Pilar, il est nous ait accueillis, nous. Par rapport à Václav Cerný qui a quelques années de moins, S. est plein de force d'âme. " (Extrait d'une lettre de Eva Kanturková)
    La réaction des bureaux tchécoslovaques au geste de Seifert fut rapide et dure. Et, presque comme toujours, effectuée par l'artiste - " de mérite " encore à l'époque, mais bientôt " artiste national " - Jan Pilar.
    Le 29. 9. 1985, Seifert dit à Rudolf Havel : " Il n'y aura pas d'autres éditions de mes souvenirs. J'ai encore signé quelque chose. "
    Quelque jours plus tard, dans une autre conversation avec Rudolf Havel, Seifert précisa les choses : " Pilar est accouru, disant que tout le monde le sait, que j'ai encore fait des bêtises, qu'il faut que je rétracte tout. " A la question s'il l'avait fait, Seifert répondit : " Oui. Pilar est arrivé tout furieux probablement directement de chez la police et il m'a crié dessus que j'ai fait des bêtises, que la police me ménage juste parce que je suis malade et parce que j'ai le prix Nobel. Mon cœur s'est mis à battre et j'ai cru que j'allais avoir une attaque cardiaque, je ne pouvais plus respirer ni parler. Il m'a dicté quelques lignes et j'ai signé. "
    Toute cette histoire de rétraction fut très désagréable pour le vieux poète - il reviendra dessus jusqu'aux derniers jours de sa vie.
    Deux jours avant sa mort, dans une discussion avec Rudolf Havel, Seifert revint sur la visite de Pilar en disant : " Si vous saviez comme il criait. Comme sur un gamin. Il est probablement devenu artiste national grâce au manège qu'il a fait avec moi. "
    Il existe plusieurs témoignages sur cet épisode. Voici celui de Marie Jirásková :
    " Je me souviens bien de ma visite du 19 octobre chez monsieur Seifert. En fait, je ne pourrais jamais l'oublier. Avant moi, il avait déjà parlé de la " visite " de Pilar avec Rudolf Havel, Ludvík Vaculík et Jirí Brabec.
    Ce jour-là, je vis monsieur Seifert dans un état dans lequel je ne l'avais jamais vu auparavant. Même physiquement, il était changé. J'eus peur des ombres jaunes et vertes autour de son nez et de sa bouche. Il ne sourit pas une seule fois au cours de la soirée, pas même lorsque nous parlions d'autres choses. En ce qui concerne, l'irruption de Pilar, il me confirma que Pilar lui avait crié dessus et qu'il lui avait dicté ce qu'il fallait écrire. " J'étais tout seul, il est venu sans s'annoncer. Si seulement il n'était pas venu. Ne va pas penser que je suis d'accord avec lui. Mais je savais que si cela allait continuer comme ça encore un instant, je ne pourrais pas tenir le coup. J'ai déjà signé tant de choses dans ma vie ! Mais maintenant je suis vieux et malade. Je ne suis plus capable de gérer les situations que cet homme me prépare. " Lorsque son souffle se calma, il ajouta : " J'ai demandé à Vaculík de venir et je le lui ai dit. Avant de partir, il m'a embrassé la main. Je ne sais même pas pourquoi. Mais, j'espère qu'il n'est pas fâché avec moi. " C'était trois mois avant la mort de monsieur Seifert.
    J'arrive à me souvenir de cette situation plutôt que de la décrire. Moi aussi, j'aurai aimé embrasser la main de monsieur Seifert - et pousser Pilar du haut de l'escalier. "

 

Tiré de František Janouch, Le Poète s'en va pauvrement de par le monde [Šel básník chude do sveta], Ceský spisovatel, 1995.

Traduction Jean-Gaspard Páleníček

 

 

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