Toutes les beautés du monde
Jaroslav Seifert
Le soir, alors que les cieux noirs des rues
brûlèrent de lumières,
qu'elles étaient belles les ballerines sur les affiches
entre les lettres noires,
des aéroplanes gris descendirent tout bas comme des pigeons
et le poète resta seul au milieu de fleurs, ennivré.
Poète, mon ami, meurt avec les étoiles, fane avec
la fleur,
personne ne s'enuiera de toi aujourd'hui,
ton art mourra pour toujours avec ta gloire,
car ils sont pareils aux fleurs funéraires ;
les avions qui se ruent brusquement jusqu'aux étoiles
chantent à ta place, voyons, un chant aux tons de fer
et sont beaux comme les riches fleurettes électriques
sur les maisons de la rue
sont plus belles que celles des balcons.
Pour nos poèmes, nous avons trouvé
des beautés toutes neuves,
lune qui finit de brûler, île de rêves vains,
éteinds-toi.
Taisez-vous, violons, et résonnez, trompettes des automobiles,
que l'homme au milieu du carrefour soudain se mette à
rêver ;
chantez, aéroplanes, un chant du soir comme des rossignols,
dansez, ballerines, sur les affiches entre les lettres noires,
que le soleil s'éteigne - des tours, les réflecteurs
éclatants
lanceront dans les rues un nouveau jour flamboyant.
Les étoiles filantes se sont accrochées
dans les construction de fer des belvedères,
aujourd'hui, nous rêvons notre plus beau rêve devant
l'écran du cinéma,
l'ingénieur construit des ponts dans la vaste plaine
russe
et les trains peuvent rouler haut par-dessus des eaux
et nous nous promenons sur les toits des grattes-ciel
lorsque les lumières s'embrasent d'éclat, sans
même se souvenir de dire des poèmes,
et, comme le rosaire qui s'entremêle parmi les doigts
osseux pendant la prière,
cent fois par jours, entre les étages, monte l'ascenseur
et d'en haut lorsque tu regardes, devant s'étallent toutes
les beautés du monde.
Et ce qui, encore hier, était de l'art sacré,
s'est changé soudain en des choses simples et réelles,
et les plus beaux tableaux d'aujourd'hui n'ont été
peints par personne,
la rue est une flûte et qui joue son chanson du matin
jusques-au soir
et au-dessus de la ville, les avions se sont élevés
haut vers les étoiles.
Adieu donc, laissez-nous aller, beautés
inventées,
la frégate commence à se mouvoir au loin vers
la mer vaste,
Muses, laissez retomber vos longs cheveux,
l'art est mort, le monde vit sans lui.
Toujours, ne serait-ce que ce petit papillon,
éclos de la chrysalide
qui s'est nourrie des pages du livre, et qui s'élève
vers le soleil
est plus près de la vérité que les vers
du poète qui étaient écrits dans le livre.
Et cela est un fait que l'on ne peut nier.
(Que de l'amour, 1923)
Traduction Jean-Gaspard Páleníček