CHANT IV
K.H. Mácha, "Mai"
Traduit du tchèque par H. Jelínek et J. Pasquier
Revue "Poésie", No 10-11, 1936
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Le beau mois de mai s'est enfui, la fleur du printemps s'est
fanée
Et l'été s'est épanoui, et s'est évanoui
l'été,
L'automne et l'hiver ont passé - et le printemps est revenu
Et déjà les ailes du temps ont emporté bien
des années.
Sept ans avaient passé. L'année allait finir.
La nuit sombre tomba. Minuit. Une autre année
Commençait... Tout dormait au loin et se taisait.
Le pas seul d'un cheval sonnait au bord du lac...
Le pas de mon cheval, car j'allais vers la ville
Et je parvins au tertre où le Maître des bois
Jadis avait trouvé sa muette demeure...
C'est alors que je vis pour la première fois
Le crâne blanchi de Guillaume.
Sur le nocturne paysage, aussi loin qu'allait le regard,
Sur les vallées et les montagnes, les forêt, le lac
et les champs,
La blancheur de la neige étalait son linceul,
Vaste linceul tendu sur le crâne et la roue.
Par moment s'élevait la plainte d'un hibou
Et le triste frisson du vent,
Et sur la roue, le cliquetis des ossements...
Alors, la peur gagnant mon cheval et mon coeur,
Je m'enfuis au galop vers l'ombre de la ville,
Au jour, je demandai quel était ce squelette
Et le vieil hôtelier, montrant du doigt le tertre
Me raconta la lamentable histoire
Que j'ai déjà transcrite ici...
Puis le fleuve des jours m'emporta par le monde,
D'orageux tourbillons entraînèrent mon cœur,
Mais le sombre récit me hantait ... Je revins.
Je revins jusqu'au tertre, et c'était le printemps.
J'étais assis, je vis le soleil décliner
Je revis cette roue, et ce pieu, et ce crâne.
Triste, je contemplais le vaste paysage,
Ce paysage de printemps,
Jusqu'aux forêts qu'obscurcissait la brume grise...
C'était un autre soir de Mai,
Le premier Mai - le temps d'aimer
Le tendre cri des tourterelles
Montait dans la senteur des pins,
La mousse chuchotait de secrètes tendresses,
L'arbre en fleur lamentait un amoureux mensonge,
Le rossignol chantait son amour à la rose
Et la rose amoureuse en parfums s'exhalait.
Le lisse lac, dans l'ombre des charmilles,
Gémissait doucement d'une peine secrète
Et ses rivages l'embrassaient
Comme un frère, une sœur, en leurs jeux enfantins.
Autour du crâne, une lueur tardive
Posait comme un chapeau de roses,
Et colorait les os blanchis,
La peau sous le menton pendante.
Le vent tirait au crâne vide
Un rire qu'on eût dit remonté des abîmes,
De longs cheveux autour des os pendaient,
- Parure du temps épargnée --
Et l'on voyait des gouttes de rosée
Au fond des yeux, comme si leurs trous vides
Emus de la beauté de mai
Eussent brillé de tristes larmes.
Et j'étais assis là. La pâleur de la lune
Rendait mon front plus blanc que celui du squelette
Et répandait comme un linceul sur la contrée,
Sur les forêts et les vallées et les montagnes,
Un appel de coucou monte de la vallée.
Un chat-huant parfois gémit, et dans les fermes,
Aux alentours, j'entends la voix des chiens qui hurlent.
L'air qui m'entoure, est plein d'odeurs et d'aromates,
Les oeillets de la Vierge ont fleuri sur le tertre,
Une lueur magique erre au lointain du lac,
Et les lucioles, comme des étoiles volantes,
Mènent en rond leurs danses lumineuses.
L'une parfois pénètre au fond du crâne pâle
Et puis s'envole, comme une larme qui tombe,
Et de mes yeux aussi deux larmes lumineuses
Ont jailli, et comme des étincelles au lac
Elles ont joué sur mes joues,
Car mon bel âge aussi, l'âge de mon enfance
Fut emporté au loin par la fureur du temps
Son rêve est au loin, comme une ombre évanouie,
Comme un reflet de blanches villes englouties,
La suprême pensée des morts,
Comme leurs nom, et la rumeur des antiques batailles,
Comme une aurore boréale et sa splendeur éteinte,
Comme le son d'une harpe tordue, et la plainte d'une corde rompue,
Les gestes d'un siècle aboli, la lumière d'un astre
mort,
La course d'une étoile errante, l'amour d'une maîtresse
morte,
Comme une tombe à l'abandon, palais déchu de l'à-jamais,
La vapeur d'un feu consumé, la voix d'une cloche muette,
Le chant d'un cygne mort, un paradis perdu…
Tel mon âge enfantin…
Et le temps d'aujourd'hui,
-Mon adolescence- est ce poème de Mai,
Est comme un soir de Mai dans les roches arides :
Au visage un rire léger, une peine profonde au cœur.
Vois-tu le pèlerin qui par ce vaste pré
Se hâte, avant que la rougeur du soir ne meure ?
Dès qu'il aura franchi l'horizon des collines,
Ce voyageur, tes yeux ne le reverront plus
Jamais plus ! Ah ! jamais ! Telle sera ma vie !
Qui pourrait - et comment - consoler un tel cœur ?
L'amour n'a pas de fin - mon amour fut trahi.
C'est la fin du soir, soir de Mai -
Le premier Mai - le temps d'aimer -
Le tendre cri des tourterelles :
" Hynek ! - Guillaume ! - Jarmila ! "