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Notions de base
Petr Král
Flamarion, Paris, 2005
Titre original : Základné pojmy
L’œuvre de Petr Král, du fait qu’elle dépasse le cadre des
littératures nationales, est représentative de la destinée littéraire
de bon nombre d’auteurs tchèques du XXe siècle. Emigré en France
en 1968, Král a en effet trouvé dans le français, à l’instar d’un
Kundera, une seconde langue, et dans la culture française une culture
d’adoption. Cependant, si ce double enracinement, ou, selon la loi
d’ambivalence, cette absence même d’enracinement expliquent partiellement
l’œuvre de Král, ils ne sauraient les résumer.
C’est donc à la lumière de cette idée, entre autres,
qu’il faut lire Notions de base, recueil de proses courtes
rédigé en tchèque (Základné pojmy, 2002) et publié cette
année en français par leur auteur. Œuvre double, tchèque puis française,
tchèque et française, comme la plupart des œuvres poétiques
et des recueils de Král. On retrouve fréquemment, dans cette exploration
phénoménologique de la quotidienneté, des confrontations de deux
réalités linguistiques et culturelles : le bistrot franchouillard
coexiste avec la brasserie tchèque, tous deux réalités du monde
quotidien de l’auteur, pourtant si différentes ; les trams
praguois passent près des terrasses d’Arles ou d’Aix ; la bouillabaisse
fait place à la soupe de carpe ; enfin les thèmes abordés par Král
eux-mêmes renvoient souvent au voyage, au déracinement, à l’absence.
Notions de base est une sorte « d’encyclopédie
existentielle de la quotidienneté », selon le mot de Kundera,
auteur d’une des trois préfaces de l’ouvrage. Cette petite « encyclopédie »
traite tout l’éventail de la réalité, depuis les choses les plus
concrètes (la rose et l’oignon, la chemise, le train) aux notions
les plus abstraites (la solitude, l’amitié), en passant – et c’est
sans doute là le travail le plus novateur de Král – par l’examen
de phénomènes fréquents et d’actes banals tirés de leur contexte :
le rire, le retour, frôler, conquérir, ou encore de faits de langage,
comme « peu » ou « presque ». « Le heurt »
voisine avec « le cure-dents », « l’orage »
avec « entrer ».
Cet examen se propose de mettre à jour, de « découvrir »
ce que recèle ces phénomènes, généralement de donner à voir un sens
intime et métaphysique. Et sous le regard du poète, les choses se
révèlent d’elles-mêmes : « Partout, le secret peut nous attendre »
(p. 88). La pluie révèle le monde, la lumière du crépuscule révèle
le monde, et nous en apprennent autant sur le monde que sur nous-même.
Tantôt analyste de son propre regard, tantôt témoin ironique du
comportement des autres, tour à tour contemplatif et acteur, Král
se situe délibérément à mi-chemin entre la philosophie et la poésie
pour dégager de chaque chose autant de sens que de beauté.
Notons qu’avec cet ouvrage, Král opère une rupture
de taille dans sa poétique, quittant définitivement le lyrisme post-surréaliste
et la forme du vers libre pour une prose poétique plus froide, plus
sèche, quoique finement ouvragée. Seul demeure un reliquat stylistique,
cet indissoluble qui lie le regard sur le monde et le style, niant
toute dichotomie de fond et de forme, et qui rappelle étrangement
les poèmes de La vie privée ou de Témoin des crépuscules.
Avec Notions de base, Král opère un retour sur soi,
un examen du sujet en situation. Il fait aussi un pas vers la simplicité.
Les textes de Notions de base creusent,
sous les couleurs et sous les corps, pour dégager un fond commun
de l’expérience existentielle. Cette recherche fait la part belle
à une langue recherchée, mais aussi à une crudité parfois toute
hrabalienne. Ils sont souvent liés les uns aux autres, et se succèdent
par références internes, agissant comme des photographies en noir
et blanc au sein d’une temporalité dissoute. Car, comme l’écrit
l’auteur, « notre temps file et stagne, nous nous ruons vers
l’avant et tournons simplement en rond, autour de l’instant, comme
autour d’un bol vide. » (p. 122)
Benoit Meunier
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