Notice biographique
sur Zbyněk Hejda[1]
1. Enfance
Zbyněk Hejda est né à Hradec Králové, en
Bohème du Nord-Est, le 2 février 1930, comme fils unique de Marie
et František Hejda. Son père et sa famille paternelle sont originaires
de la région Vysočina, du village Horní Ves, situé non loin
de Počátky, le village natal de Otokar Březina[2]. Sa mère est originaire de Slezské předměstí,
autrefois village situé près de Hradec Králové, faisant aujourd’hui
partie de la ville. Son père a passé six ans en guerre, à partir
de 1915 : légionnaire, il ne rentrera en Tchécoslovaquie
de Vladivostok qu’en 1921. C’est alors qu’il reçoit un poste à
Hradec Králové, dans la direction des voix ferrées et qu’il rencontre
sa future épouse. La famille Hejda est divisée entre protestants
et catholiques. Son arrière-grand-père paternel était même supérieur
laïque au temple[3]. Le grand-père paternel de Hejda,
n’osant pas avouer à son père qu’il aimait une catholique alla
jusqu’à demander à son amante de ne pas le trahir et de ne pas
dévoiler qui était le père des deux enfants dont elle avait accouchée.
La grand-mère de Hejda fut donc considérée comme femme « déchue »
jusqu’à la mort de l’arrière-grand-père : ce n’est qu’alors
qu’eut lieu le mariage et que les enfants furent reconnus. Les
grands-parents de Hejda firent un accord au sujet de leurs enfants :
les fils allaient être protestants – chez eux, on disait « év-ange-éliques »
(« evandělíci » au lieu de « evangelíci »)
– les filles seraient catholiques. La grand-mère et les tantes
de Hejda allaient à l’église catholique de Horní Cerekev, son
père et ses oncles à l’église protestante de Dubenky. Lorsque
les grands-parents moururent, ils durent être séparés : le
grand-père fut enterré à Dubenky, la grand-mère à Horní Cerekev.
Au cours de sa vie, le père de Zbyněk Hejda était devenu
athée. Issue d’une famille catholique, sa fiancée lui fit promettre
que, s’ils se mariaient, leurs enfants seraient baptisés. C’est
ainsi que leur fils fut baptisé, et, toute la nuit d’après, le
père de Hejda courut de par la ville en disant à tout venant : « Mon
fils est Romain, mon fils est Romain ! »
Les séjours passés à Horní Ves marqueront profondément
Hejda qui retournera toujours dans ce village, lieu fixe, encore
inchangé, presque irréel, où les lieux gardent leurs anciens noms :
l’étable, depuis longtemps, abrite la bibliothèque avec les quelques
livres ayant appartenu au père, la salle (sednička) est devenu
une sorte de débarras, la cuisine noire (černá kuchyně)
avec son vieux four[4]
n’est plus en fonction depuis 1901[5]...
mais il serait impensable de désigner ces pièces par d’autres
noms que ceux qu’ils ont toujours eus. A Horní Ves, les villageois
désignent les maisons non par le nom de leurs habitants présents,
mais par celui des familles qui y ont habité longuement. Dans
la région, si vous demandez le chemin qui mène au village Veselá[6],
personne ne saurait vous répondre : tous nomment ce village
de son ancien nom, Prašivá[7]
– nom qui a pourtant changé dès le 15e siècle. De même,
si vous cherchez Polesí, il vous faudra demander Lymberk, mot
qui lui-même est une déformation du nom ancien Rymberk. Voilà
peut-être une des sources les plus immédiates de l’obsession qu’a
Hejda du temps qui passe, emportant tout peu à peu à son passage,
ce besoin qu’il a de se faire le témoin des mille petits éléments
de la vie, en apparence insignifiants, cette nécessité de
« (…) dire quelque chose encore au moins
conserver quelque chose du souvenir de ceux
que j’ai aimés, et je ne leur ai été bon à rien.
Cela n’entre pas dans les mots. Avec moi,
tout s’en ira. Il ne restera rien. »[8]
C’est probablement cela qui donne à son journal
intime des années 60 ce caractère si curieux : c’est en vain
que l’on y chercherait des considérations personnelles ou générales
(culturelles, politiques, etc)[9]. Tout ce qu’on y trouve est une suite de notes référant de façon
presque fanatique l’état des forêts, des routes, les horaires
des trains pris, et autres velléités.
Si la région de Vysočina a agi sur Hejda
par son côté mythique, Hradec Králové l’a fait par son architecture
moderne. La ville a autrefois été en grande partie détruite par
Josef II qui voulait en faire une forteresse. Il n’hésita pas
pour cela de mettre à bas un grand nombre d’églises dans les banlieues :
à un kilomètre de la forteresse, pas un bâtiment, pas un arbre
ne devait se tenir. Le lit de l’Elbe dut lui aussi être déplacé,
le fleuve n’étant plus destiné qu’à former une sorte de douve.
Au début du 20e siècle cependant, les magistrats de
la ville ont décidé de démolir les murailles et firent appel aux
architectes Jan Kotěra[10]
et Josef Gočár[11]
pour diriger le réaménagement de la ville. C’est ainsi que Hradec
Králové est devenue une des villes aux styles fonctionnaliste
et cubiste les plus purs de Bohême. Nous pouvons voir là une des
premières sources de l’intérêt que Hejda vouera toute sa vie à
l’art moderne.
Horní Ves se situe près de la limite entre la
Bohême et la Moravie, ce qui a parfois porté à de cocasses équivoques.
Ainsi, lors d’une de leurs rencontres, Oldřich Mikulášek[12]
a soutenu à Hejda qu’il était lui aussi un poète morave[13]. Pourtant, à Horní ves, on parle tchèque, ce
n’est que vers Jihlava que les gens commencent à parler morave.
La langue, aujourd’hui, est nivelée, en grande partie à cause
de la télévision, mais à l’époque, on parlait à Horní ves un tchèque
robuste et pur. « Chez nous, personne dans la famille n’employait
de mots vulgaires. Je dirais presque qu’on faisait chez nous du
purisme. Seul papa était capable de prendre une sorte de pose,
de jouer une sorte de rôle, et de réciter Havlíček[14]
par exemple. Il utilisait alors des mots que l’on n’employait
pas communément, c’était rendu légitime par Havlíček en quelque
sorte, mais seulement dans le cadre de la récitation. L’insulte
la plus forte qu’il ait proférée dont je me souvienne est qu’un
député, je pense qu’il s’agissait de Hampl, était une vache. Mon
père ne pouvait pas même prononcer le mot satané, il disait sat’.
Cela faisait partie de l’époque. Lorsqu’il voulait dire satané,
il disait sat’. C’est ainsi que cela se faisait dans la littérature,
sat’ et un point ou un point de suspension, et c’est ainsi qu’il
le prononçait. »[15] Les séjours passés au village paternel ont
forgé en Hejda un sentiment profond de la famille et un sens pour
la force du mot précis.
La famille de Hejda n’était pas riche mais faisait
partie des familles relativement aisées au village. Sur quelques
six hectares et demi vivaient alors le grand-père, la grand-mère,
l’oncle, le cousin Jarka et deux tantes célibataires. Le grand-père
de Hejda avait été maire de 1911 à 1919, l’oncle était le propriétaire
d’une brasserie (devenue par la suite cantine de la coopérative[16]).
Cet oncle, l’oncle Jan, parti au front de Serbie, disparut mystérieusement
: la famille cessa de recevoir de lettres de sa part dès 1914,
il fut peut-être parmi ces 3000 captifs noyés lors d’un passage
de la Drina[17] – une disparition qui n’est pas sans rappeler
la fin de František Gellner[18]. Enfant, Hejda ne cesse de réclamer
de ses parents qu’ils lui fassent la lecture. Parmi ses textes
préférés, nous trouvons Kytice[19] d’Erben ou encore la « Romance de printemps »
de Vrchlický[20] – que sa mère avait pris l’habitude
de ne lui réciter que jusqu’à l’endroit où le magicien, pris de
désespoir, se tranche la tête ; ce n’est que longtemps après
qu’il découvrit que la romance s’achemine vers des tons plus optimistes[21].
Sa chanson préférée est Osiřelo dítě, aux sons
de laquelle il ne manque pas de fondre en larmes à chaque fois[22]. En grandissant, Hejda devient un lecteur assidu
du Mladý hlasatel[23] de Jaroslav Foglar[24]
et, comme beaucoup d’enfants de l’époque, admire son Mystère
du casse-tête[25]. Avec des camarades, il participe
même à un club du Mladý hlasatel baptisé le club des Castors
gris. Le club se réunit dans une pièce attenante à la chaufferie
du père d’un des garçons où il faisait « très chaud, trop
chaud »[26].
Agé de neuf ans, Hejda perd son père, fervent
communiste. En septembre 1939, la Gestapo vient arrêter celui-ci :
« Maman a ouvert la porte, ils étaient deux, l’un parlait
tchèque, l’autre ne parlait pas du tout, ils sortirent leurs cartes
et demandèrent si František Hejda était chez lui. Maman répondit
qu’il était mort et eux – comment ça, quand est-il mort ?
Maman répondit qu’il était mort le 31 mars 1939. Les membres de
la Gestapo notèrent quelque chose et s’en allèrent. »[27] La même histoire était arrivée aussi à Karel Čapek[28] : la Gestapo devait avoir des listes de
la police tchèque dans lesquelles les décès récents n’avaient
pas encore été pris en note. La peur envahit la famille et la
mère de Hejda fourra la presque totalité de la bibliothèque du
père dans des caisses que l’on cacha à Hradec, au grenier du grand-père.
Lorsque la « Heydrichiade » éclata, le grand-père, sans
rien dire à personne, chauffa le four où il cuisait son pain et
mit une semaine à tout brûler. De la grande bibliothèque de son
père, il ne resta à Hejda que quelques volumes des œuvres complètes
de Zeyer et quelques autres ouvrages « inoffensifs ».
La perte du père a profondément marqué Hejda. C’est là aussi une
des causes immédiates du rapport privilégié qu’il a entretenu
avec sa mère, de la peur panique liée à la santé de sa mère et
à la perspective de sa mort. Lorsqu’il est rentré de la Russie,
le père de Hejda était fortement influencé par la révolution.
Il fut actif dans la Levá fronta[29] jusqu’en 1938. Il en est expulsé alors pour
avoir prononcé un discours élogieux au sujet du Retour de l’Union
soviétique de Gide[30]. Il lui fut même interdit d’assister aux réunions
en tant qu’externe, ce qui le tourmenta beaucoup. Il resta néanmoins
fidèle aux idéaux du communisme jusqu’à sa mort. Cet exemple du
père, grandi presque aux dimensions du mythe par sa perte prématurée,
vont influencer l’orientation politique du jeune Hejda. Désireux
de perpétuer la tradition paternelle, il entre au parti communiste
en 1947, à une époque où cela ne pouvait être fait pour des raisons
de carrière, et alors que dans son entourage direct, parmi ses
camardes de lycée par exemple, il n’y a encore que très peu de
communistes. Sans doute est-ce pousser un peu l’interprétation,
mais le complexe d’Œdipe de Hejda, exacerbé par la mythisation
du père absent, peut être mis en parallèle avec le rapport qu’il
entretiendra avec le régime, envers lequel il ne prendra une position
autonome claire que vers ses trente ans.
Après la mort du père, la mère de Hejda décide
de rattraper le temps perdu et envoie son fils suivre le catéchisme
chez des religieuses. Le jeune Hejda est enchanté : un temps,
il envisage même de se faire prêtre. Cependant, l’intérêt que
lui portent les religieuses semble faiblir après qu’il eut accompli
sa première communion, leur objectif principal – celui d’éveiller
la foi en lui – étant désormais rempli. Hejda est très touché
par leur soudaine tiédeur et sa foi en est ébranlée. Au cours
des années qu’il passera au lycée, il redeviendra athée et son
rapport à la foi ne changera petit à petit qu’après sa rencontre
avec Jiří Němec. Peu de temps après la mort du père, c’est au tour de la grand-mère maternelle
de quitter le monde. Et Hejda est particulièrement affligé lorsqu’il
entend sa mère dire qu’elle porte un double deuil : celui
de son mari, ainsi que celui de sa mère. Les liens avec la famille
paternelle ne sont pas pour autant coupés, et Hejda passe ses
vacances à Horní Ves où il se lie de plus en plus avec son cousin
Jarka. Celui-ci est très doué pour la peinture et, peu à peu,
Hejda est de plus en plus fasciné par cet art. Plus tard, il dira
souvent que s’il avait eu un peu plus de talent, il serait devenu
peintre. Il dira souvent aussi que la plupart de ses poèmes ont
eu pour point de départ une image visuelle bien concrète. Mais,
bientôt, Jarka tombe malade et les visites que Hejda lui rend
deviennent peu à peu un jeu de piste avec la mort, marqué par
les découvertes douloureuses de l’avancement de la maladie. Enfin,
à l’âge de vingt-neuf ans, Jarka meurt de tuberculose. Cette attente
de la mort, ce dépistage des signes de l’approche de la mort chez
les vivants : tel sera l’un des thèmes principaux de la poésie
de Hejda.
2. Adolescence
Hradec Králové ne fut pas marqué par les combats
de la Seconde Guerre mondiale. Au lycée, les élèves, trop jeunes
pour parler de politique, suivent néanmoins avec intérêt les déplacements
du front. Hejda fréquente le lycée classique : il fait, entre
autres, huit ans de latin et quatre ans de grec. La guerre se
reflète dans le comportement de certains enseignants. Ainsi, le
professeur de latin, par peur de s’attirer des ennuis, tient scrupuleusement
à ce que ses étudiants lèvent bien le bras droit, selon le règlement,
et à ce que les bras restent levés la durée prescrite. Lorsqu’un
bras se baissait trop tôt, le professeur exigeait que tous recommencent
le salut. Ce train-train continuait toujours aussi méticuleusement
encore une semaine avant la révolution. Mais, il y avait aussi
des professeurs qui ignoraient le salut complètement, comme, par
exemple, le professeur d’arts plastiques, un communiste, ou encore
le catéchète, qui se signait lorsqu’il entrait en classe. Le règlement
exigeait aussi que l’on fasse le salut dans les couloirs, mais
cela, personne ne le respectait. La tension se faisait clairement
sentir, par exemple, lorsqu’il fallait réunir tous les élèves
dans la salle de gymnastique, lors des fêtes ou lors d’occasions
spéciales, pour leur lire quelque discours officiel. On pouvait
voir alors que les professeurs craignaient quelque catastrophe :
ils étaient pâles, nerveux, graves. Lors de la lecture de ces
discours envoyés par le Ministère de l’éducation, les mains du
directeur tremblaient et l’on voyait clairement qu’il lisait cela
de mauvais cœur. Mais aucun professeur ni élève n’eurent d’ennuis
sérieux. Dans l’ensemble, mis à part le respect formel des règlement,
il n’y eut pas de dénonciations, tous les professeurs s’efforçaient
de faire en sorte que personne n’eût à souffrir.
C’est au lycée que s’éveille véritablement l’intérêt
de Hejda pour la littérature et, plus particulièrement, pour la
poésie. Une des pages du Mladý hlasatel était dédiée aux
créations – poésies, proses ou dessins – des lecteurs. C’est là
que Hejda découvre les poèmes d’un certain Stáňa Sohr, étudiant
au lycée technique de Přerov, âgé de quelques années de plus
que lui seulement, et qui lui plurent particulièrement. Vers treize
ou quatorze ans, il découvre la poésie de Jiří Wolker[31] qui le touche alors, mais, assez vite, il passe à des auteurs
tels que Vítězslav Nezval[32],
mais aussi à František Halas[33],
à la traduction par Holan[34]
des Fleurs du mal… C’est à quatorze ans qu’il se met à
écrire ses premiers poèmes. A partir de 1945, Hejda se prend de
passion pour les mouvements d’avant-garde et pour le surréalisme.
Il se rend souvent à Prague pour profiter des événements culturels.
Dans sa tolérante bienveillance, et malgré leur manque d’argent,
sa mère lui achète de nombreux livres et revues, dont Život[35],
Listy[36],
Kvart[37],
Volné směry[38],
Tvorba[39]
ou encore Blok[40].
Le ton de ces revues est, de façon générale, fortement de gauche :
cela contribue à le renforcer dans son adhésion au communisme
– en même temps, son intérêt pour le surréalisme et les avant-gardes,
alimenté par ces lectures, constituera une des premières fausses
notes quant à son orientation politique, lorsque le régime prônera
le réalisme socialiste. En 1948, sous l’influence de ces revues
et sous celle de l’Exposition internationale du surréalisme organisée
à Prague en 1947[41],
avec deux amis du lycée, Jaromír Kučera et Miroslav Hršel,
Hejda va jusqu’à fonder un groupe surréaliste. Ils prennent des
photos[42], font des collages, créent des textes surréalistes,
écrivent à l’encre vert... Ils lisent tout ce qu’ils pensent que
des apprentis surréalistes devraient connaître : entre autres,
tout Nezval, L’Interprétation des rêves de Freud[43]
ou encore La Métamorphose de Kafka[44] (qu’ils interprètent de façon surréaliste). Ils sont encore
trop jeunes pour publier quoi que ce soit autrement que dans des
journaux d’étudiants : ainsi, Hejda publie quelques poèmes
et quelques textes théoriques dans un petit journal local intitulé
Rozběh. Cet intérêt pour le surréalisme laissera des
réverbérations dans toute son œuvre future : dans le choix
de certains motifs (les fleurs de métal du poème « Le 2 octobre »,
par exemple[45])
ou, notamment, dans son intérêt pour le domaine onirique. C’est,
en effet, alors aussi qu’il commence à prendre en note ses rêves
avec régularité et à s’intéresser au rêve en tant que possible
objet littéraire. On trouve, dans le recueil Proximités de
la mort, des descriptions de rêves qui ne sont pas ceux de
Hejda, mais ceux de sa tante Božena. Hejda dira que ses rêves
à elle et sa façon de les raconter ont toujours eu beaucoup d’effet
sur lui[46]. Cependant, il confirme que,
sans cet engouement actif pour le surréalisme vécu lors de son
adolescence, il ne se serait probablement pas mis à les prendre
en note et à faire du rêve une partie intégrante de sa poétique.
Il avoue aussi ne s’être jamais intéressé aux clefs des songes,
par exemple : « Je n’ai jamais considéré les rêves comme
quelque présage du futur. Ils m’ont toujours intéressé en tant
que récit pouvant s’adresser à l’homme d’une façon puissante.
Ou plutôt : pouvant toucher l’homme (…) »[47]
Assez vite cependant, l’intérêt qu’a Hejda pour
le surréalisme devient moins exclusif et s’élargit de façon significative
pour englober notamment les artistes et écrivains du Groupe 42,
ce mouvement « post-surréaliste », à la fois moralisation
du surréalisme (dont il récupère les procédés) et recoupement
du surréalisme avec l’existentialisme. En 1948, il parcourt toutes
les librairies de Hradec avec un ami à la recherche du nouveau
recueil de Kolář[48], Années des jours[49],
avant de comprendre enfin que, pour des raisons idéologiques,
le recueil n’allait pas paraître du tout. Plus tard, il écrira :
« Lorsque j’étais jeune – et même par la
suite – je voulais écrire comme Jiří Kolář.
Et en attendant ?
Mieux vaut ne pas en parler. »[50]
Peu à peu, il acquiert la certitude de devenir
lui aussi poète. Il dira plus tard que, dès ce moment, il savait
qu’en toute sa vie, il n’aurait pas écrit plus de cinq recueils
(il en publiera six) : sans trop savoir pourquoi, il était
persuadé que cela suffirait pour dire tout, que la production
continue de nouveaux recueils ne mène qu’à une dilution des idées
et motifs de l’auteur. Aussi, le nombre de poèmes qu’il aura écrit
au cours de sa vie dépasse très largement celui que comporte ses
recueils. C’est peut-être aussi à son intérêt pour le Groupe 42
qu’il faut rattacher initialement son goût marqué pour les décors
urbains (les plus fréquents dans sa poésie, après ceux de la campagne
de la Vysočina) et les milles motifs de la quotidienneté.
En 1947, il est choisi avec quelques autres
bons élèves de son lycée pour un voyage à Paris : il commence
pour cela à apprendre le français. Mais le voyage est annulé après
février 1948 : il ne verra Paris que près de vingt ans plus
tard. En 1949, Hejda s’installe à Prague pour y faire ses études.
Il s’inscrit en esthétique et en histoire de l’art à la Faculté
des lettres de l’Université Charles. Il espérait y approfondir
sa connaissance du structuralisme. Or, à l’époque, Mukařovský[51], qui dirigeait la chair d’esthétique, s’était
déjà distancié du structuralisme et cherchait à se rapprocher
du réalisme socialiste. Assez vite, Hejda décide donc de suivre
plutôt des études de philosophie et d’histoire. Il espérait pouvoir
assister aux cours de Patočka[52], mais celui-ci se voit forcé de quitter l’université. Alors,
Hejda change encore vite d’orientation et, finalement, fait des
études d’histoire. Il achèvera ses études en 1953 par un travail
sur l’époque hussite[53]. Puis, il reçoit un poste d’assistant. Il aurait
aimé travailler à la chair d’histoire tchèque, mais le poste fut
donné à Josef Petráň[54]. A la place, on lui propose celui de la chaire
d’histoire du PCT et du mouvement ouvrier (Katedra dějin
KSČ a dělnického hnutí).
Au début des années 50, sous l’influence du
XXe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique,
l’atmosphère à l’Université est bien lourde. Pour avoir une idée
de l’ambiance à la Faculté des Lettres à cette époque, revenons
quelques années en arrière et rappelons-nous l’affaire du pamphlet
« L’Amour socialiste ». En mai 1949, deux assistants,
Zdeněk Pachovský et Viktor Matys, écrivent et font circuler
un poème à la manière des derniers textes de Nezval, mêlant des
images fortement érotiques aux formules propagandistes officielles.
Dès le mois de juin, le Comité central du PCT (ÚVKSČ) décide
de sévir. Slánský[55]
annonce à Gottwald[56]
qu’il s’agit là d’un groupe semi-trotskiste et une grande enquête,
terrible de cruauté et d’absurdité, s’ensuivit. Il fut établi
que, sur les soixante-dix personnes qui ont lu le pamphlet (mais
il a sûrement dû y en avoir bien plus), soixante-huit étaient
membres du parti, et deux seulement se sont rendu compte qu’il
s’agissait là d’une activité visant le parti. Parmi les soixante-huit
autres, « bêtement », les uns (dont E. F. Burian[57]) ont pensé que ce n’était que pour rire, les
autres que cela visait Nezval uniquement, et n’ont pas vu l’implication
politique. Le 28 juin, une annonce officielle est publiée, proclamant
que les « jeunes » se moquent de Nezval, Biebl[58],
Závada[59], Neumann[60]
et n’aiment que Halas et les sombres auteurs dont la lecture mène
à la décomposition de la société, que leur principaux traits de
caractère sont leur insincérité envers le parti, leur orgueil,
leur carriérisme, leur attitude hautaine, et qu’ils forment une
terre fertile pour la mauvaise herbe du trotskisme. Enfin, tous
ceux qui, d’une façon ou d’une autre, étaient entrés en contact
avec le pamphlet reçurent des sanctions, allant de la remontrance
officielle jusqu’à l’expulsion du parti (pour les auteurs du texte).
Parmi ces nombreuses punitions et licenciements divers, une des
mesures les plus surprenantes est probablement l’annulation du
journal Kulturní politika, dirigé par E. F. Burian. Dans
l’ensemble, les sanctions furent relativement modérées, mais cette
affaire était un signe avant-coureur du fait que, désormais, les
conflits artistiques allaient être considérés d’un point de vue
politique[61].
Cette règle trouva sa formulation officielle dès 1950 dans l’opuscule
Trente ans de combats pour la poésie socialiste tchèque
de Ladislav Štoll[62]. Hejda lui-même a, dès son entrée
à la faculté, expérimenté un incident pareillement révélateur :
après la lecture de l’ouvrage de Štoll, de son plein gré, un ancien
camarade de Hradec qui s’était rapproché de lui pendant les années
du groupe surréaliste décide de faire une autocritique publique.
Dans sa déclaration, il n’omet pas de préciser que Hejda et ses
amis l’ont entraîné vers le surréalisme. Immédiatement, la direction
de la faculté reçoit une lettre de Mojmír Grygar[63],
alors assistant de Mukařovský et critique littéraire veillant
à la bonne réalisation de la politique culturelle, dans laquelle
ce dernier demande à ce que soit justifiée la présence à la Faculté
des Lettres d’anciens membres d’un groupuscule surréaliste. Hejda
se trouve pris entre deux feux : d’un côté, il aimerait ne
pas être expulsé de l’Université, de l’autre, il est fermement
décidé à ne pas formuler d’autocritiques. Tremblant d’angoisse,
il donne rendez-vous à ses anciens compagnons-surréalistes en
herbe, afin de se mettre d’accord sur ce qu’il faudra dire devant
la commission chargée de régler l’affaire. Mais ils auront de
la chance pour cette fois : le président de la commission
est le professeur Ludvík Svoboda. Ce dernier avait beaucoup d’autorité
alors car, traducteur de Lénine, il était l’un des seuls à l’Université
Charles à avoir été marxiste dès avant la guerre. Il avait cependant
gardé un esprit suffisamment ouvert et libéral – après avoir lu,
dans la lettre de Grygar, la liste des André Bretons et autres
auteurs sacrilèges qu’avaient fréquentés Hejda et ses amis, il
se tourna vers les autres membres de la commission en disant :
« Mais, camarades, voyons : tous cela, nous l’avons
lu aussi. Un temps, c’était là une partie intégrante de la culture
de gauche. Nous avons tous lu cela. Je pense que nous pouvons
clore l’affaire. » Et Hejda et ses amis n’eurent pas même
à ouvrir la bouche. Cette première confrontation directe lui aura
servi de leçon : désormais, lorsqu’on attendra de lui de
se plier aux désirs du régime, il dira tout simplement « non »,
sans frémir face aux conséquences possibles.
3. Années 50 : Jiří Němec,
sortie de chrysalide et premières œuvres
En 1950, Hejda est fortement ébranlé par l’exécution
de Záviš Kalandra[64]. Ses sympathies pour le communisme
sont alors déjà fortement ébranlées. Et si l’atmosphère semble
se détendre quelque peu à partir de 1956 sous l’influence des
événements en Hongrie, dès 1958, Hejda est licencié lors des purges
de l’Université pour avoir critiqué l’intervention soviétique
à Budapest, après avoir fait l’objet de plusieurs commissions
disciplinaires[65]. C’est alors qu’il trouve un emploi au Centre
de formation des guides des monuments historiques (Vlastivědné
středisko Pražské informační služby) où il restera pendant
neuf ans. Hejda habite alors une chambre de bonne rue Vyšehradská,
près du pont ferroviaire, dans une pension pour étudiants étrangers
(à l’époque vide de tout étudiant étranger, bien entendu). C’est
là qu’il fait connaissance avec celle qui deviendra sa première
femme, une ancienne camarade du lycée de Hradec, Alena, avec qui
il aura une fille. Lui a vingt-trois ans, elle en a vingt-et-un.
Le mariage a lieu en 1954. Mais leur relation sera de courte durée.
D’une part parce que, pendant longtemps, ils n’auront pas la possibilité
d’habiter véritablement ensemble. Et puis, tous deux imprégnés
des idées communistes ambiantes, ils se mettent d’accord qu’ils
se sépareront lorsqu’ils cesseront de s’aimer – et par amour,
dans leur naïve jeunesse, ils entendent un sentiment romantique,
passionnel… et de courte durée. Peu à peu, tous deux se mettent
à vivre chacun sa vie, Hejda à Prague, son épouse à Hradec, tous
deux ont d’autres relations. Leur séparation sera définitivement
consumée en 1967, ils divorceront au début des années 70, après
que Hejda ait rencontré sa seconde femme.
En 1955, Hejda fait son service militaire et
c’est à cette occasion, à la caserne de Louny, qu’il rencontre
le philosophe Jiří Němec. Celui-ci va devenir un de
ses principaux amis et Hejda se réfère à lui parfois en parlant
de son guide. Němec remarque Hejda alors que celui-ci se
dispute avec des amis au sujet du soi-disant trotskisme de certains
mouvements artistiques d’avant-garde. Puis, un jour, tous deux
décident, indépendamment l’un de l’autre, de sécher un exercice
nocturne. « A la place, nous devions nettoyer la pièce d’éducation
politique. Ce faisant, nous nous mîmes à discuter de Kafka, de
Joyce et d’autres choses semblables, nous comprîmes que nous avions
beaucoup d’intérets communs, et à partir de ce moment, nous devînmes
amis. (…) Dans une certaine mesure, je fut surpris qu’une
personne d’orientation catholique, chose que je n’avais, bien
entendu, pas comprise lors de notre première discussion, puisse
avoir une connaissance aussi large de l’art contemporain – je
pensais alors que la littérature, que la culture moderne, étaient
exclusivement liées à l’orientation de gauche. »[66] Cette rencontre est importante :
entre autres, Němec fait découvrir à Hejda les grands textes
de Deml[67], de
Graham Green ou de Evelyn Waugh[68].
Sous son influence, Hejda, se considérant athée jusqu’alors, est
peu à peu porté à changer sa relation envers le christianisme.
« C’était tout à fait progressif, libre, car Jiří ne
se comportait pas du tout en missionnaire, il ne faisait que dire
ses points de vue. »[69]
Lorsqu’en 1999, Petr Placák lui demandera s’il lui reste une conception
du monde, Hejda répondra : « Je ne pense pas. J’aimerais
être chrétien, peut-être le suis-je d’une certaine façon, mais
il est dur de parler de ces choses-là pour moi, parce que je suis
un mauvais chrétien. »[70]
Němec sera toujours parmi les premiers à qui Hejda donnera
ses poèmes à lire après les avoir écrit.
En 1958, Hejda envoie le manuscrit de son premier
recueil de poésie, intitulé Toute volupté, à la maison
d’édition Československý spisovatel. Les rédacteurs, à l’époque,
en étaient Antonín Matěj Píša[71] et Miroslav Florián[72].
Ce dernier rencontre Hejda pour lui dire, après maintes digressions,
qu’ils seraient prêts à publier le recueil à condition qu’il y
rajoute trois ou quatre poésies dans lesquelles serait exprimée
sa position de citoyen. « Ce débat était assez étrange car
le comportement de Florian montrait que tout cela lui est très
désagréable, qu’en grande partie, il ne faisait que transmettre
les points de vue de quelqu’un d’autre, et il n’était pas clair
non plus quel était son point de vue et quel était celui de Píša. »[73] Hejda refusa d’obtempérer et alla jusqu’à écrire
une lettre à Československý spisovatel où il précise bien
que le recueil doit rester inchangé, pour être sûr que l’on ne
fasse rien contre sa volonté. Plus tard, Hejda dira de Florián :
« au départ, je pensais que c’était un carriériste, mais
il est resté fidèle à ses points de vue – et il est mort en récitant
ses poèmes… »[74] Entre temps, une amante de Hejda
envoie le recueil à Oldřich Mikulášek qui en publie un poème
dans sa revue Host do domu et envoie à son tour le manuscrit
à la maison d’édition Mladá fronta[75] en en recommandant la publication. En 1961, suivant les consignes
officielles au sujet de l’idéalisation de la jeunesse, Mladá fronta
avait créé la collection Mladé cesty [Jeunes routes], caractérisée
par son sous-titre : « Premiers livres d’auteurs nouveaux »
[« První knížky nových autorů »]. Cette collection
a d’abord été dirigée par Josef Brukner[76], Vladimír Dostál[77],
Miroslav Holub[78],
Oldřich Nouza[79]
et Jan Řezáč. Mais, le recueil n’a pas plus de succès :
Oldřich Nouza écrit à Hejda qu’ils ne sauraient comment faire
pour publier ses « beaux vers malades. »[80]
C’est alors que Jiří Němec prend contact avec l’imprimeur
Alois Chvála avec lequel il se met d’accord pour imprimer en tant
que bibliophilie le second recueil de Hejda, Et tout ici est
plein de musique, écrit entre 1959 et 1961[81].
Chvála n’avait le droit d’imprimer que vingt-cinq exemplaires
de chacun des livres qu’il faisait. Cependant, ainsi que c’était
son habitude, lorsqu’il fit Et tout ici est plein de musique
en 1963, il en imprima bien plus. C’est ainsi que, dès
ses débuts, Hejda se voit dans la quasi impossibilité de publier
ses textes officiellement, et relayé à une diffusion semi-illégale.
Une seule exception, pour confirmer la règle : à la
fin de 1963, le sous-titre de la collection Mladé cesty change
pour devenir « Premiers livres d’auteurs jeunes » [«
První knížky mladých autorů »], et Miroslav Červenka[82]
et Ivan Diviš[83]
prennent la place de Brukner et de Nouza. Diviš découvre le manuscrit
de Toute volupté resté à Mladá fronta et décide de le publier.
Lorsque Hejda lui apprend qu’entre temps, il a écrit un second
recueil, plutôt que de publier deux livres séparés, Diviš décide
de réunir les deux recueils en un seul volume. Et, en 1964, paraît
donc le volume Toute volupté comportant les recueils Toute
volupté et Et tout ici est plein de musique[84]. Deux ans plus tard, dans une
enquête faite par le journal Červený květ, à
la question « Qu’est-ce qui vous est proche dans la jeune
poésie tchèque ? », Diviš répondit que le livre de Hejda
restait encore un de ceux qu’il aime le mieux[85].
Hejda devra attendre presque trente avant de pouvoir être publié
normalement dans son pays.
4. Années 60 : éclaircie et
travail dans la revue Tvář
Les années 60 représentent pour la République
socialiste tchécoslovaque un dégel progressif. En 1960, Hejda
se rend, en compagnie de Jiří Němec, à Tasov, pour rendre
visite à Jakub Deml. Il remarque que, dans l’église, sur le pupitre,
au lieu de la Bible, Deml tenait ouvert le livre Simplement
de Vladimír Holan[86].
Et avant de repartir, Deml leur dit : « « Et lorsque
vous serez à Prague, saluez bien Vladimír Holan de ma part. »
Il prenait ça comme si Prague était un autre Tasov. Comme si nous
allions rencontrer Holan quelque part, par hasard, et que nous
le saluerons alors. Oui mais nous en avons profité : nous
avons appelé Holan, lui disant que nous avions un message pour
lui de la part de Jakub Deml. »[87] Les deux amis n’auront plus d’autres occasions de rendre visite
à Deml : l’année suivante, lorsqu’ils se rendent à Říčany,
ce n’est plus que pour assister à son enterrement. Cela dit, grand
admirateur de la poésie de Holan, Hejda rendra plusieurs fois
visite à ce dernier, et, dans sa « Note sur la bibliothèque
de Vladimír Holan et essai d’un aperçu partiel de ses lectures »,
Vladimír Justl indique que Holan détenait au moins deux recueils
de Hejda, dédicacés[88].
Ces deux rencontres sont reflétées dans le texte Je n’y croiserai
personne[89]. En 1962, le Centre de formation
des guides des monuments historiques organise pour certains de
ses employés un voyage d’une journée à Dresde. Jiří Němec
demande alors à Hejda, qui est parmi les heureux élus, d’en profiter
pour y acheter des almanachs de théologie, bien plus libres en
Allemagne de l’Est qu’en Tchécoslovaquie alors, et dans lesquels
il était possible de trouver des traductions d’auteurs de l’Ouest.
« Et il me demande d’en acheter le plus possible. Alors j’en
ai fourré autant que je pouvais dans mon sac, et maintenant, on
rentre avec le bus. Nous avions passé une journée à Dresde, et
toutes les femmes avaient acheté des rideaux. On achetait ce genre
de choses à l’époque : ce qui était moins cher en Allemagne
de l’Est et qui était assez joli, on l’achetait. Au fond, c’est
pour cela qu’on y allait. Et maintenant, une fois à la frontière,
le douanier demande qui transporte quoi, et eux, ils avouaient
ou mentaient, puis il vient vers moi et il dit, qu’est-ce que
vous avez, vous, et moi, je dis, des livres. Ah oui ? et
quoi comme livres s’il vous plaît, et moi je dis, des livres de
théologie. Et c’est alors que tout le monde s’est mis à rire très
fort, comme si c’était une bonne blague. Et lui aussi s’est mis
à rire et c’est ainsi que s’est achevé le contrôle. »[90]
En 1963, Hejda effectue, en compagnie de Jiří Němec
et de l’épouse de ce dernier, Dana, un petit voyage illégal en
Pologne. Il était alors possible de se rendre dans la région frontalière
rien qu’avec sa carte d’identité, à condition de ne pas pousser
plus avant dans le pays. Les trois amis entrent à Zakopane de
façon légale, mais une fois là, ils prennent l’autobus et filent
directement vers Cracovie. Ils y séjournent pendant une semaine,
chez un rédacteur, ami de Jiří Němec, en faisant attention
de bien traverser les rues sur les passages cloutés pour ne pas
se faire remarquer. Au théâtre, on donnait Caligula de
Camus[91], les
musées proposaient des expositions de tableaux abstraits, ensemble,
les amis visitent un monastère bénédictin encore en fonction –
bref, la Pologne leur parut alors comme un pays encore bien souple
du point de vue culturel. Une anecdote circulait d’ailleurs à
ce sujet à l’époque : un chien tchèque rencontre un chien
polonais sur la frontière. Le chien tchèque demande au chien polonais : « Que
viens-tu donc faire chez nous ? – Je viens manger, j’ai
très faim. Et toi, que viens-tu faire chez nous ? »
Et le chien tchèque répond : « Je viens aboyer un peu. »
L’idée de voir Caligula à Prague ne leur semblait alors
qu’un rêve inaccessible, et pourtant, un ans plus tard, ce rêve
allait devenir réalité[92].
L’année 1956 et le Second congrès de l’Union des écrivains tchèques
avaient mis en marche en Tchécoslovaquie un certain assouplissement
dans le domaine de la culture : réapparaissent alors sur
le marché officiel quelques livres d’auteurs interdits de publication,
voire franchement tabous jusque là, comme par exemple Halas, Holan,
Kolář ou Jiří Weil[93]. Dès 1959, cet assouplissement est jugé exagéré
et une sorte de « normalisation » est instaurée. La
revue Květen, dirigée par Šotola[94],
est annulée en 1959, et remplacée par la revue Plamen,
dirigée par Jiří Hájek[95].
Mais, en 1963, lors du Troisième congrès de l’Union des écrivains
tchèques, on envisage de revenir à un esprit plus proche des idées
du Second congrès : on reparle de donner aux jeunes plus
de liberté, de leur permettre de se réunir en groupes et de créer
deux nouveaux journaux littéraires (le tout dépendant toujours,
bien entendu, directement de l’Union des écrivains). C’est ainsi
qu’en 1964 sera créé la revue Tvář[96]. Le rédacteur en chef en est Jan Nedvěd, parmi les membres
de la rédaction, nous trouvons des personnalités telles que Jan
Lopatka[97], Emanuel Mandler[98],
ainsi que Jiří Němec. L’objectif de la rédaction est
de créer une revue au profil bien délimité et d’éviter à tout
prix de devenir un « dépotoire » de contributions de
« jeunes auteurs ». Une des constantes de la revue sera
de publier des auteurs laissés de côté jusque là, tels Ladislav
Klíma[99], Jakub
Deml[100], Jaroslav
Durych[101],
Richard Weiner[102],
Jan Hanč[103],
etc. Elle s’efforcera aussi de renouer avec la pensée d’auteurs
étrangers et des auteurs germanophones de Prague : on trouve
par exemple dans ses pages des traductions de textes de Kafka[104],
Rilke[105],
Benn[106], Trakl[107],
Eliot[108],
Miller[109],
Pound[110],
Ortega y Gasset[111],
Hölderlin[112],
Beckett[113],
Michaux[114],
Gilbert-Lecomte[115],
Robbe-Grillet[116],
Kandinski[117],
Teilhard de Chardin[118],
Heidegger[119],
etc., mais aussi de Salvador Dalí[120],
Paul Klee[121],
John Cage[122],
un numéro est consacré à Francis Bacon[123]… Dès le second numéro, nous y trouvons quelques poèmes de Hejda.
Très vite, les articles publiés dans Tvář
attirent l’attention du parti qui pousse l’Union des écrivains
tchèques, éditeur de la revue, à en changer radicalement la conception.
L’argument principal fut alors que la revue avait été fondée pour
les jeunes écrivains, et que la rédaction, composée de critiques,
de philosophes ou d’historiens, ne comprenait aucun écrivain.
C’est ainsi que, début 1965, pour contrer les mesures de l’Union,
Hejda est appelé, avec Václav Havel[124] et Ivan Wernisch[125],
à rejoindre la rédaction. Néanmoins, en décembre 1965, le Comité
central de l’Union décide de réduire d’un tiers le financement
de la revue pour l’année 1966. Et le Comité central n’est pas
le seul à se dresser contre la revue : certains membres
de la toute puissante maison d’édition Československý spisovatel
se joignirent à lui en affirmant que les auteurs de Tvář
minaient leurs efforts politiques sérieux. Šotola exprima le problème
« dans un texte d’introduction des « Literárky »
par une image selon laquelle eux sont en train de tirer un piano
au troisième étage alors que des gamins irresponsables leur mettent
des bâtons dans les roues. »[126]
La revue n’est donc pas officiellement annulée, mais ses membres
sont dans l’impossibilité de continuer de la publier. Et pour
la remplacer, l’Union fonde la revue Sešity pro mladou literaturu,
de façon à ce que personne n’ait rien à redire à sa disparition.
L’année 1965 est doublement marquée pour Hejda, puisqu’il
doit passer presque six mois dans un sanatorium des montagnes
Orlické hory : il a la tuberculose. Ce séjour et les événements
de cette année se reflètent dans le poème « Séjour au sanatorium »,
où l’on retrouve de nombreux amis liés à la revue :
« C’est Honza Nedvěd qui m’envoyait
des nouvelles
de la rédaction à ce moment
le comité central des écrivains
prenait la décision d’annuler Tvář (…) »[127]
Les auteurs de la revue restent solidaires au
cours des mois suivants et publient deux recueils collectifs,
intitulés Podoby[128].
Et en avril 1968, ils déposent une demande au Comité central de
l’Union des écrivains tchécoslovaques pour le renouvellement de
la revue. En mai 1968, les auteurs de Tvář occupent
le numéro 21 de Sešity pro mladou literaturu[129].
C’est en mai aussi que tombe finalement la décision de renouveler
la revue. Le premier numéro est prévu pour le mois de septembre,
mais les événements du mois d’août retarderont sa sortie d’un
mois. Les activités de Hejda au sein de la revue semblent s’intensifier :
il multiplie les articles critiques, présente des choix de textes
médiévaux[130], baroques[131],
des extraits des Mémoires de J. V. Frič[132], et notamment son fameux article « Tabous
de l’historiographie tchèque »[133].
En juin 1969, des conflits surviennent, cette fois, au sein de
la rédaction : au Congrès de l’Union des écrivains, Václav
Havel, un des rares membres de l’Union parmi les auteurs de la
revue, au lieu de prononcer le discours prévu pour la défense
de Tvář, prononce un discours pour le Club des écrivains
indépendants [Klub nezávislých spisovatelů] dont il est le
directeur. Face à l’indignation des membres de la rédaction, Havel
renonce à sa fonction de rédacteur en chef : ce sera Hejda
qui prend sa place. Cependant, l’Institut tchèque pour la presse
et l’information [Český ústav pro tisk a informace] attaque
la revue, soutenant qu’elle a « enfreint les directives de
l’Etat pour la presse, la radio et la télévision ». L’Institut
demande que l’Union des écrivains, éditeur de la revue, paie une
amende de dix-mille couronnes et lui impose d’arrêter définitivement
la publication de Tvář. Le numéro préparé pour juillet
1969 ne paraîtra plus. La revue Tvář était exceptionnelle
dans le contexte culturel tchèque en ce sens qu’à l’époque, qui
ne faisait pas ne serait-ce que des compromis minimes – citer
Marx ou Engels, par exemple –, qui se plaçait entièrement en dehors
de l’idéologie, était inacceptable, même pour les communistes
réformateurs.
En juin 1968, Emanuel Mandler réussit à créer
une maison d’édition indépendante à partir d’une des branches
éditoriales de la maison d’édition Academia où il travaillait.
Il s’agit de la maison d’édition Horizont. Non content de quitter
le centre de formation de guides où il était en conflit permanent
avec ses supérieurs lorsqu’il refusait de sélectionner ses employés
selon des critères politiques, Hejda l’y rejoint et passe ainsi
l’année 1968 parmi des personnes qui lui sont proches : il
travaille dans une même pièce avec Jan Lopatka et Ladislav Dvořák[134].
Mais, dès 1969, Mandler est licencié et forcé d’abandonner Horizont,
la maison d’édition étant destinée à changer de plan éditorial.
Par solidarité, Hejda, avec Lopatka, Dvořák et Milan Churaň[135], démissionne. Il devenait de plus en plus
évident qu’il serait très dur d’avoir une activité culturelle
normale sous la normalisation du régime de Husák.
En 1970, Hejda propose son nouveau recueil,
Proximités de la mort, à Mladá fronta. Mais alors, la maison
d’édition a peur de s’attirer des ennuis et le rédacteur Tomáš
Pěkný lui demande s’il ne serait pas possible d’enlever du
recueil quelques poèmes jugés trop obscènes. La raison n’était
pas la peur de gâcher les mœurs des lecteurs mais celle de se
faire remarquer et de s’attirer une punition venue d’en haut.
Face au refus de Hejda, le rédacteur lui envoie une lettre dans
laquelle il s’aligne sur sa volonté et lui dit qu’il va faire
tout son possible pour publier le recueil tel quel. Le livre était
prêt, décoré d’illustrations par Josef Vyleťal[136], lorsque le journal Rudé právo[137] publia une forte critique de toute la politique éditoriale
de Mladá fronta. Un des livres cités en exemple du « mauvais
travail » de la maison d’édition était précisément celui
de Hejda. Le recueil ne paraîtra pas. Le même destin toucha au
même moment un grand nombre d’autres œuvres, comme par exemple
Le Foie de Prométhée[138]
de Jiří Kolář.
Jusqu’en mai 1969, les frontières du pays sont
restées ouvertes. C’est ainsi qu’en janvier 1969, Hejda part en
Angleterre, retrouver une amie – la femme qui donnera son nom
au recueil Lady Feltham. Il loge chez elle, à Brighton,
puis se rend à Londres, principalement pour visiter la Tate gallery
et la National gallery. Devant passer par Paris lors de son retour,
il en profite pour y rester le temps d’une nuit et d’un jour.
Jan Lopatka lui a prêté sa carte du Syndicat international de
journalistes ce qui lui permet de visiter les musées sans payer,
notamment le Louvre, l’ancien Musée d’art moderne et le Musée
du Jeu de paume. La ville de Paris et les tableaux vus dans ses
musées l’auront marqué beaucoup plus fortement que Londres. Cette
première visite de Paris aura été un enchantement. Nous en trouvons
une trace dans le « Poème dont le début s’est perdu »[139].
Quelques années plus tard, Hejda rencontre une française (il prend
des cours de français avec elle), Suzette Gazagne, qui deviendra
sa seconde femme, et avec qui il aura un fils et une fille. Pendant
longtemps, Suzette ne saura pas que son amant, puis son mari,
écrit des vers. Elle ne l’apprendra que par la bouche d’autrui.
5. L’âge mûr et la dissidence
Hejda trouve alors un emploi dans la librairie
d’occasion du Knižní velkoobchod, rue Štěpánská, dans un
sous-sol. Un peu moins d’un an plus tard, les appréciations politiques
du personnel (celostátní prověrka) lui font perdre son travail.
« Le chef de la librairie d’occasion, monsieur le docteur
Manžel, m’expliqua que tous s’étaient mis d’accord pour dire devant
la commission qu’il était vrai que j’avais encore des problèmes
émotionnels pour accepter l’entrée des armées, mais que du point
de vue rationnel, j’avais compris. »[140]
Hejda refusa de jouer le jeu et fut licencié. Grâce à des connaissances
de Jiří Němec, il retrouve un emploi de magasinier,
dans la librairie d’occasion rue Dlážděná cette fois. La
directrice lui permet de faire des études de libraire : une
fois par mois, il se rend à Hodkovičky pour suivre le cours,
puis passer les examens prescrits. Il montera peu à peu en grade
jusqu’à devenir « acheteur indépendant » (samostatný
nákupčí), la plus haute fonction après celle du directeur.
En tant que tel, il fonde une section spécialisée en art graphique
– chose nouvelle alors, et qui allait bientôt devenir populaire
au point que tous les autres bouquinistes fonderont la leur. Des
réunions d’amis y sont organisés : parmi les hôtes réguliers,
Hejda accueille ses amis Lopatka, Stankovič[141], Jiří Němec, mais
aussi Jiří Kolář, par exemple. Mais il est aussi témoin
de la douloureuse mise au pilon des livres indésirables :
« (…) moi, je ne rachetais jamais de livres au guichet. Au début,
je rachetais des bibliothèques entières, tout au plus – alors,
on achetait l’ensemble, tout simplement. Et on procédait ainsi :
lorsqu’on achetait une grande bibliothèque, avec des livres destinés
à être mis au rebut, c’est la direction du magasin qui décidait
quels livres serait mis de côté, car seule la direction avait
connaissance de la liste des livres que l’on n’avait pas le droit
de vendre. Mais le système était assez ingénieux, car le directeur
prenait connaissance des livres et des auteurs interdits de vente
par voix orale seulement : la liste lui était lue. Et on
présupposait que le bouquiniste ne se souviendrait pas de tout,
et que la mise au rebut serait approximative. Le choix des livres
interdits, c’était un peu mystérieux, parce que, par exemple,
Durych pouvait être vendu librement, tout au long des années soixante-dix,
on pouvait trouver même Deml, ainsi que la production de Stará
Říše. Mais, ainsi que je l’ai déjà dit, un roman policier
avec une post-face de Josef Škvorecký, par exemple, devait être
mis au rebut – donc, le choix était bien entendu absurde, et grâce
à ça, on pouvait parfois trouver des merveilles chez les bouquinistes.
Quant aux achats au guichet : une fois, par exemple, j’ai
vu mon collègue, monsieur Svoboda, dire à une personne qui lui
proposait un livre au sujet duquel Svoboda savait qu’il aurait
été obligé de le mettre au rebut, qu’il était dommage de vendre
ça à un bouquiniste (il s’agissait des années complètes de Přítomnost
de Peroutka[142]). Il a tout simplement refusé
de l’acheter, parce qu’il savait qu’il aurait dû mettre ça dans
les livres interdits et que cela aurait été mis au pilon. Et il
promit au client d’essayer de demander autour de lui si quelqu’un
ne serait pas intéressé, et lui a demandé son adresse. Après quoi,
j’ai vite trouvé un intéressé et les Přítomnost ont
ainsi été sauvés. En principe, nous n’avions pas le droit de fouiner
dans la pièce où étaient entreposés les livres interdits, mais
lorsque la direction s’absentait, on y pénétrait et s’y appropriait
toujours, pour soi ou pour les amis, d’un ou deux de ces livres
– bien qu’il n’y en aient pas eu beaucoup d’habitude. Mais de
temps en temps, on voyait venir l’employé de la direction des
magasins de bouquinistes chercher les livres pour les emmener
au pilon. »[143]
Les années 70 sont pour Hejda une période de
grande dépression due aux circonstances extérieures, mais aussi
à cause de son amertume face au laisser-aller, au manque général
d’opposition face aux injustices du régime. C’est pourquoi, lorsque
l’idée de la Charte 77[144] apparut, très enthousiaste, il est parmi
les premiers à la signer. « Lorsque j’ai signé la Charte, je suis
rentré chez moi, et, le soir, j’ai confié à Suzette que, malheureusement,
je ne pourrai jamais plus aller en France, qu’il fallait que je
lui annonce que j’avais signé un document qui ferait certainement
que – peut-être pas que je soie emprisonné – mais, sûrement, que
je serais licencié (…) et que je n’irais jamais plus en France.
»[145] La Charte 77 paraît le 6 janvier 1977 et, dès le mois de mars,
Hejda est licencié de sa librairie d’occasion pour des raisons
d’« insuffisance politique ». C’est alors que commence
le calvaire des interrogatoires policiers, des fouilles de l’appartement
et des poursuites. Le premier interrogatoire a lieu tout de suite
après sa signature de la Charte 77, à la prison du ministère de
la défense à Ruzyně. De nombreux autres suivront, rue Čkalovova,
deux fois même au ministère. Parfois, la police vient aux heures
du jour, mais aussi au milieu de la nuit, à six heures du matin,
n’importe quand, même le jour de Noël... Malgré cela, Hejda multiplie
ses prises de position : ainsi, par exemple, il est également
un des signataires de la pétition du 29 mars 1978 adressée au
Secrétariat de l’Assemblée fédérale de la République socialiste
tchécoslovaque (Kancelář Federálního shromáždění ČSSR)
demandant l’abolition de la peine de mort. Frappé de pancréatite,
il passe plusieurs mois à l’hôpital. Suivent six mois de convalescence
– il reçoit une demi-pension d’invalidité mais celle-ci, sur l’intervention
de la police, lui est presque aussitôt retirée. Il passe plusieurs
mois sans travail – son épouse n’en ayant pas encore non plus,
c’est en grande partie la mère Hejda qui subvient à leurs besoins.
Enfin, en 1979, une personne rencontrée aux cours de français
de l’Institut français de Prague, rue Štěpánská, réussit
à lui arranger un emploi de concierge. Dans le cadre de ses fonctions,
il passe même un stage de dératisation. Il assurera ce travail
jusqu’à la révolution de 1989. Son « truc », pour faire
face lors des interrogatoires, est de répondre de façon naïve,
simple d’esprit : « (…) lorsqu’ils demandaient à quoi
je m’intéresse, et que la question visait de façon évidente quelque
thème politique, je disais que je m’intéresse exclusivement à
la poésie. Ou bien lorsqu’ils voulaient savoir de quoi nous parlons
avec Sergej Machonin par exemple, ma réponse type était que nous
parlions des enfants, car nos enfants à tous les deux avaient
à peu près le même âge, et que c’était là notre intérêt principal,
et puis que, parfois, nous parlions aussi un peu de poésie. »[146]
« [U]ne fois, il fut questionné au sujet de l’écrivain Eva
Kantůrková, qu’il connaissait déjà à l’époque, mais très
peu, ce pourquoi il répondit qu’il ne la connaissait pas personnellement.
Les agents de la police d’Etat inscrivirent donc dans le protocole :
« Ne connaît pas Kantůrková ». Sur quoi, Zbyněk
Hejda protesta qu’ils avaient mal pris en note sa déposition,
car lui avait parlé de « madame Kantůrková ». Sur
quoi, il se mit à exiger que le protocole soit corrigé pour que
madame Kantůrková ne pense pas de lui, au cas où elle lirait
le protocole, qu’il était un malotru. Après une courte discussion,
les agents lui permirent finalement de rajouter à la main le mot
« madame » dans le protocole. »[147] Face à son manque de coopération, les agents
de la police d’Etat (Státní bezpečnost, communément désignée
par la sigle StB) décident également d’attaquer son épouse, leur
but principal étant de les pousser tous les deux, ainsi que leurs
enfants, à fuir, à émigrer. Alors enseignante à l’Ecole française
de Prague, son épouse se vit accusée de consommer des drogues
et d’en distribuer aux élèves. Certains de ses collègues étaient
persuadés qu’elle était un agent du KGB. Par ailleurs, chaque
mois, elle est forcée à demander un nouveau permis de séjour.
L’idée d’émigrer dérangeait Hejda, principalement parce qu’il
avait peur de ne jamais plus revoir sa mère.
En 1978, Hejda publie enfin son recueil Proximités
de la mort, dans l’édition samizdat KDM[148].
Ecrit entre 1962 et 1965, le recueil fait alterner quatrains rimés
et poèmes en vers libres. Entièrement situé dans la campagne de
Horní Ves, il dépeint des scènes où souvent, aucun récit particulier
n’a lieu apparemment, mais dont l’ambiance subtilement fantomatique,
voire cauchemardesque, suffit à faire pressentir au lecteur la
présence d’une catastrophe, d’un poids existentiel insoutenable.
En 1979, Hejda publie, à nouveau chez KDM, le recueil Lady
Feltham[149]. Cette fois, les poèmes sont presque tous
situés dans un milieu urbain, à Prague ou en Angleterre. Il n’y
a plus ici de formes fixes, le vers de Hejda abandonne par endroits
le caractère hypnotique de ses poèmes précédents pour se rapprocher
du ton narratif épuré des longs poèmes du Séjour au sanatorium[150]. On y trouve également toute
une série de descriptions de rêves. Les souris du poème « La
Ruée des souris »[151] peuvent faire figure d’image de la dissidence, grouillant de
par les canalisations, active malgré la répression – mais le recueil
Et tout ici est plein de musique datant de la fin des années
50[152], cela ne pouvait être l’intention de l’auteur.
Nulle part, Hejda ne fait référence dans sa poésie à son expérience
de la dissidence, il reste fidèle à son thème. En ce sens, son
œuvre est tout à fait exceptionnelle dans le contexte de la production
littéraire clandestine dont la majeure partie est constituée par
des textes réfléchissant précisément l’expérience quotidienne
de leurs auteurs et les aléas de leur opposition au régime – ainsi
que c’est le cas pour La Clef des songes de Ludvík Vaculík[153] par exemple, ou encore pour l’œuvre poétique de Ivan Martin Jirous[154], pour ne citer que deux auteurs,
tous deux emblématiques.
En juin 1979, Nikolaj Stankovič invite
Hejda à entrer au Comité pour la défense des personnes injustement
poursuivies (Výbor na obranu nespravedlivě stíhaných, communément
désigné par la sigle VONS)[155].
En cette période où les époux Němec sont tous deux emprisonnés[156], sentant le besoin de montrer
à la police qu’enfermer les gens ne suffit pas à mettre un terme
à l’opposition, sentant aussi le besoin de faire savoir aux prisonniers
qu’ils ne sont pas seuls, que d’autres continuent à se battre
pour eux, Hejda accepte et devient membre du comité éditorial
du VONS, aux côtés de Václav Malý[157],
Jan Ruml[158]
et Petruška Šustrová[159].
Se rencontrant clandestinement, ensemble, ils élaborent les informations
que leur confient diverses personnes ayant assisté à différents
procès (plusieurs cas par semaine), puis en informent l’opinion
publique dans les proclamations du VONS figurant dans le bulletin
samizdat de la Charte 77, ainsi que le monde au-delà des frontières,
notamment par le biais d’Ivan Medek[160] qui travaille alors pour la radio Voice of
America (Hlas Ameriky). Le tout s’accompagne de la peur omniprésente
et de la pression des interrogatoires : pendant près de cinq
mois, Hejda est alors convoqué par la police au moins une fois
par semaine[161].
Un jour, alors que le milieu de l’« underground »
est familier de diverses drogues et de leur combinaisons avec
l’alcool, Hejda prend un champignon hallucinogène (Psilocybe semilanceata).
Cette expérience en apparence anodine va se transformer en cauchemar :
la sensation provoquée par le champignon est celle d’une espèce
de première séance du jugement dernier, celle de n’être rien,
rien d’autre que rien, de n’avoir rien à mettre dans la balance
face au juge. « C’était horrible, c’est insupportable de
sortir de ce jugement avec une telle connaissance. » Le motif
du jugement, qui apparaît de façon exceptionnelle dans son premier
recueil, est à relier à cette expérience traumatisante :
« Ô ces petits îlots d’espoir,
verts comme s’excusant,
et moi aussi, je vais, comme m’excusant,
entre de verts îlots d’espoir,
dans un pardessus
dont il me faut réfléchir
s’il vaut encore d’être mis à la laverie,
mais l’âme, mes amis les fous,
pouvoir seulement mettre l’âme à la laverie,
la déposer pour quelques semaines
pour qu’elle revienne propre.
Ainsi, je vais
à la manière du bétail,
comme à attendre
que j’atteigne
un boucher juste
qui effectuera mon jugement. »[162]
Au cours de ces années, Hejda publie en samizdat,
divers poèmes, divers articles (voir la bibliographie), et, en
1982, il prépare, en collaboration avec Vratislav Färber et Antonín
Petruželka, l’édition de Cours Bixley pour retardés de
Ivan Blatný[163]
pour la maison d’édition samizdat KDM. En 1985, le recueil Proximités
de la mort paraît à Münich chez la maison d’édition d’exil
Poezie mimo domov[164]. Mais, cette édition a été
faite sans l’accord de Hejda (sans même qu’il soit au courant)
et comporte un certain nombre de désagréables fautes de frappe.
Surtout, il y manque plusieurs poèmes – ceux dont la coupe était
envisagée par Mladá fronta en 1970[165].
Mais si la coupe de 1970 était dictée par la peur d’une intervention
répressive, celle-ci n’est dictée que par des préoccupations moralistes.
Hejda a toujours renié cette édition. Enfin, en 1987, il publie,
toujours chez KDM, ses Trois poèmes[166],
qui formeront la base du recueil Séjour au sanatorium[167]. Hejda semble donner libre cours dans ces
textes proches de l’expression prosaïque à son désir de retenir
les souvenirs personnels, de les figer dans l’hors du temps des
vers[168]. Ils
constituent aussi une réflexion sur l’écriture et sur sa valeur
existentielle.
En 1985, Petruška Šustrová invite Hejda à se
joindre à la rédaction de la revue samizdat Střední evropa,
fondée en 1984 par Josef Mlejnek[169] et par le politologue Rudolf Kučera.
La plupart des réunions de la rédaction se fait au domicile de
Hejda, rue Heřmanova, à Holešovice. Il y est peu à peu rejoint,
entre autres, par deux de ses anciens collègues de la rédaction
de Tvář, Bohumil Doležal et Emanuel Mandler et y retrouve
un autre ancien ami : l’hispaniste Josef Forbelský. A l’époque
du samizdat, puis, pendant les premières années de parution légale,
la revue est la première à traiter en Tchécoslovaquie de thèmes
chers à Hejda, tels que l’antisémitisme et la question juive,
ou encore l’expulsion des Allemands après la Seconde Guerre mondiale.
C’est aussi sa sympathie pour les Juifs qui pousse Hejda à publier,
dans la série éditoriale de Střední Evropa, les recueils
de nouvelles Shosha[170]
et La couronne de plumes[171]
d’Isaac Bashevis Singer, ainsi que les mémoires de Šimon Wels,
intitulées Chez les Bernát[172].
Un des concepts, un peu provocateur, propres à Střední
evropa était celui de considérer la destruction de l’Empire
austro-hongrois et la création de la République tchécoslovaque
comme un événement problématique, voire malheureux. Hejda travaille
au sein la revue de façon très active jusqu’au moment où celle-ci
se professionnalise, au milieu des années 90 (lorsque Luděk
Bednář en prend la direction). Il n’a pas voulu, comme Doležal
et Mandler, quitter la rédaction, de façon ostentatoire, refusant
de prêter son nom à quelque chose à quoi il ne lui est plus permis
de prendre part activement, et c’est ainsi que son nom figure
encore jusqu’à présent dans chacun des numéros de la revue, en
tant que directeur du comité de rédaction, bien qu’il n’y collabore
plus depuis près de dix ans.
6. Après la révolution – sage
vieillesse
La révolution de velours arrive comme une heureuse
surprise : Hejda s’était depuis longtemps persuadé que jamais
il ne verrait la chute du régime. Désormais libre, il peut enfin
publier ses œuvres de façon officielle[173]. En 1987, il a remporté le
prix Revolver Revue pour ses Trois poèmes[174], et, fin 1989, il remporte
le prix littéraire de Tom Stoppard[175] pour son recueil Proximités de la mort.
En 1996, la maison d’édition TORST publie une édition complète
de ses œuvres poétiques[176]. Le 9 octobre 1996, il remporte (avec Jiřina
Hauková[177]) le prix littéraire Jaroslav Seifert[178]
pour son recueil Valse mélancolique[179]. Il commence à donner des cours d’histoires littéraire à la
chaire d’éthique de la Faculté de Médecine de l’Université Charles.
On est surpris à la lecture des œuvres poétiques
de Hejda de leur extraordinaire cohésion : d’un poème à l’autre,
les mêmes motifs, à travers les mêmes formes, reviennent continuellement
étoffer le même thème – mais il en est comme de la danse macabre :
chaque représentation est fraîche et présente ses particularités
propres. Valse mélancolique, comme son titre doucement
baudelairien – en français dans le texte – l’indique, apporte
celle d’être le recueil de la nostalgie. Le grincement fait corps
ici avec des textes qui, plutôt que la proximité de la fin, peignent
l’écoulement de la vie. La tonalité reste mineure, le memento
mori est tapi dans l’ombre, implacable, mais, ça et là, la
musique s’arrête avec délectation à des harmonies plus tendres,
plus résignées. Hejda, en Li Po[180] vieillissant, regarde ses amis mourir un
à un, se rappelle d’endroits et d’objets aimés, revoit des femmes
qui ont traversé sa vie, se souvient de ses voyages en Angleterre,
en France, repense à la mort de ses parents, les lieux évoquent
des personnes, des artistes, morts ou vivants : Gellner,
Hlaváček[181], Mácha[182],
Šíma[183], Verlaine
se côtoient… Ce ton plus lâche est équilibré par la construction
interne du recueil, d’une rigueur inhabituelle par rapport aux
recueils précédents : d’une façon fluide, les poèmes s’enchaînent,
liés l’un à l’autre par des motifs communs, l’ensemble est cadré
par des textes en vers et l’idée de cheminement se trouve renforcée
par une évolution de la forme fixe à la prose poétique en passant
par le vers libre, puis par un retour progressif à la forme fixe,
à nouveau par l’intermédiaire du vers libre – mouvement de decrescendo
et de crescendo pour le rythme ternaire de cette valse ultime.
Fin 1989, Hejda devient membre du conseil de
l’Association des écrivains[184]. Dans l’euphorie qui a suivi
le changement de régime, les membres de cette association veulent,
entre autres, acquérir un château où les écrivains pourraient
passer du temps et écrire leurs romans. Hejda s’oppose à ce plan,
soutenant que les écrivains devraient mettre en valeur qu’ils
n’ont pas de place privilégiée. Il critique aussi d’autres prises
de position : « On parla du fait si oui ou non l’Association
devait traiter avec l’Union des écrivains tchèques. Mon point
de vue était qu’il n’y avait pas à traiter avec l’Union, je ne
voyais pour cela aucune raison. Nous étions d’accord sur le fait
que l’Association serait une sorte d’organisation syndicaliste
de personnes qui écrivent et qu’elle ne serait pas une organisation
idéologique. J’étais convaincu que quiconque remplirait les conditions
requises – le fait d’avoir publié un ou plusieurs livres – pourrait
s’inscrire à l’Association, en être membre, et qu’il ne serait
soumis à aucun contrôle d’opinions politiques (kádrování). A mon
point de vue s’opposa celui que certains membres de l’Union ne
devraient tout de même pas être admis dans l’Association, cela
ne m’a pas plu, puis qu’il était souhaitable de traiter avec l’Union,
ne serait-ce qu’au sujet de questions de biens. Mon point de vue
était que les biens que l’Union avait à sa disposition lui étaient
plutôt prêtés seulement, ou qu’ils lui étaient loués, qu’il s’agissait
de la propriété de l’Etat, et qu’il n’y avait donc aucune raison
de traiter avec eux. Je considérais cela comme un point important
car je craignais qu’il y aurait tout de même eu lieu à une fusion
de ces deux organisations, chose que je considérais comme néfaste. »
[185] Le point
de vue de Hejda est minoritaire et il quitte l’Association. En
1995, il se voit obligé d’arrêter ses cours : on vient de
lui découvrir une tumeur au cerveau. L’opération s’achève bien,
mais, pendant un an et demi, Hejda perd la capacité de lire. En
janvier 2001, un autre événement traumatisant advient : sa
fille Jitka meurt de maladie. Après le divorce de ses parents,
elle avait refusé de revoir son père et c’est ainsi que, depuis
le début des années 70, Hejda n’avait pu ni la revoir, ni même
lui parler. Mais, peu à peu, le nom de Hejda entre dans les livres
de classe : s’il n’est pas connu du public, il est du moins
officiellement reconnu par ses pairs. Il effectue divers voyages
à l’étranger (en France, en Allemagne…) à l’occasion de lectures
publiques. En 2002, les recueils Lady Feltham et Valse
mélancolique sont publiés en Allemagne[186]. Une édition anglaise des mêmes recueils est en préparation
en Angleterre. Au lendemain de la révolution, en ce qui concerne
la question du jugement des anciens dirigeants, sa position recoupe
celle de Václav Havel qui prônait alors le slogan « Nous
ne sommes pas comme eux », et la décision de pardonner. Avec
les années, la position de Hejda change légèrement : il n’y
a, chez lui, pas de traces d’un quelconque besoin de vengeance
personnelle, il n’a jamais, pour lui, été question de faire souffrir
ses tortionnaires, mais il estime, d’une façon peut-être un peu
idéaliste, que l’on devrait montrer les responsables du doigts
dans le cadre de procès, à l’issue desquels ceux-ci seraient graciés
de leur sentences, mais qui permettraient d’affirmer ouvertement
que leurs actes étaient des crimes.
Et un des premiers crimes qui lui viennent à
l’esprit, si vous abordez ce sujet avec lui, est celui du traitement
irrespectueux du paysage tchèque. Le discours officiel pendant
la normalisation parlait incessamment du combat pour le blé :
on avait l’impression que si la récolte n’était pas faite à temps
et de la meilleure façon possible, le peuple n’aurait pas assez
de blé et souffrirait de la faim. Or, les chiffres, rendus officiels
en 1990, ont montré que le domaine de l’agriculture souffrait
au contraire d’une énorme surproduction. Mais on ignore encore
quelle était le véritable usage de ces récoltes hypertrophiques :
les envoyait-on en URSS ? Ailleurs ? Quoi qu’il en soit,
ces pratiques déséquilibrées encore non élucidées ont également
eu pour conséquence la destruction du paysage. En effet, la collectivisation
a peu à peu entraîné la réunion de plusieurs villages en des coopératives,
pour les besoins desquelles les vieilles routes ont été recouvertes
et remplacées par des axes de béton, les arbres déracinés, les
tertres aplanis. Lors de la « restitution », un hectare
de forêt, près de Horní Ves, a été rendu aux Hejda, mais, entre
temps, les deux routes, tapissées d’herbe fraîche, bordées de
coudraie, qui y menaient avaient été effacées. Le seul moyen d’atteindre
ce pan de forêt aujourd’hui est de traverser un champ, propriété
privée d’une tierce personne. Car détruire une route ne signifie
pas seulement de sillonner quelque chose, c’est aussi détruire
des liens, des contacts, des relations, créés au cours de plusieurs
centaines d’années. Quelle nécessité y avait-il de couper le vieux
tilleul « de Jan » (Pourquoi l’appelaient-on ainsi ?
Avait-il été planté par un certain Jan ? Un certain Jan s’y
était-il pendu ?), ce tilleul, poussé près de Horní Ves,
et que l’on entendait de loin déjà bruire du murmure des abeilles ?
Autant de changements qui incitent Hejda, dans un poème du recueil
Valse mélancolique, de prier Dieu de lui tendre – d’étendre
pour lui (nastavit) l’éternité, non sans ironie – comme si l’éternité
était une sorte de temporalité prolongée[187]. « Les routes s’embroussailleront et
les gués seront recouverts par les routes et je serai cerné de
néant, pas une feuille ne bruissera, pas un oiseau ne criera,
personne n’ira nulle part, je ne croiserai sur le chemin de Horní
Ves je n’y croiserai plus jamais personne. »[188] C’est ainsi que nous sommes entrés de plain
pied dans la poétique de Zbyněk Hejda.
Notes
[1] Les informations présentées ici
sont tirées des interviews : Zuzana Děťáková, « Un
emploi de remplacement : bouquiniste » [« Náhradní
povolání antikvář »], Revolver Revue, n° 33,
1997, p. 185-194 ; Antonín Petruželka, « Je ne pense
pas que le lecteur puisse ne pas se passer de mes vers »
[« Nemyslím, že čtenář by se bez mých veršů
neobešel »], Revolver Revue, n° 35, 1997, p.107-139 ;
Petr Placák, « Lecteur du Mladý hlasatel, fiche d’orientation
politique de Zbyněk Hejda » [« Čtenář
Mladého hlasatele, Kádrový profil Zbyňka Hejdy »], Babylon
- Literární a výtvarná příloha, n° 2, 1999, p. 1-2, repris
in Petr Placák, Interrogatoire d’orientation politique
[Kádrový dotazník], Babylon, 2001, p. 96-119 ; ainsi
que d’entretiens que Zbyněk Hejda a bien voulu m’accorder
les 21 et 22 août 2003.
[2] Otakar Březina, 1868-1929).
Pseudonyme de Václav Ignác Jebavý. Instituteur de campagne, il
est l’auteur de cinq recueils à haute charge spiritualiste
et métaphysique composés durant son séjour à Nová Říše, de
1888-1901, qui le placent parmi les plus grands poètes symbolistes
européens. Ses essais parurent sous le titre La musique des
sources [Hudba pramenů] (1903).
[3] En tchèque : « kurátor ».
[4] Le mot employé en tchèque dans
cette région est pekárna [boulangerie] et non pec,
qui désigne, lui, ce poêle à chauffer particulier sur lequel il
est possible de dormir.
[5] Ou depuis 1911. Le grand-père de
Hejda a fait faire d’importants travaux dans la maison ces deux
années-là.
[6] Signifiant « la joyeuse ».
[7] Signifiant « la galleuse ».
[8] « (…) jen ještě něco
říct,/uchovat něco z památky na ty,/které jsem
miloval a byl jsem jim na nic./Do slov to nevc hází. Spolu se
mnou/odejde všechno. Nezůstane nic. », in « Pour
S. » [« Pour S. »], Séjour au sanatorium
[Pobyt v sanatoriu], in Zbyněk Hejda, Poèmes [Básně],
Prague, Torst, 1996, p. 233.
[9] Zbyněk Hejda, La Route
de Cerekev [Cesta k Cerekvi], Triáda, prévu pour mai
2004.
[10] Jan Kotěra (1871-1923)
architecte. A étudié à l’Université industrielle (Průmyslová
univerzita) de Plzeň, puis devint l’élève d’Otto Wagner à
l’Akademie der Bildenden Künste à Vienne. Il achève ses études
avec le projet d’une ville côtière française idéale qui lui vaut
le Prix de Rome et lui permet de passer une année d’études en
Italie en 1897. A son retour à Prague, Kotěra est relativement
mal vu initialement : ses origines tchéco-allemandes, ses
études faites à Vienne, la détention du Prix de Rome, sont autant
de motifs de griefs. Ses travaux sont tout d’abord influencés
par le style Sezesion viennois – il est le premier à projeter
un immeuble Art nouveau à Prague (l’immeuble Peterka, en 1899).
C’est dans le même style qu’il projette le pavillon accueillant
l’exposition Rodin à Prague en 1902, ainsi que de nombreux tombeaux.
Peu à peu, il s’éloigne du style Art nouveau et expérimente avec
l’espace et diverses techniques compositionnelles, s’éloignant
des motifs Art nouveau empruntés à la nature. Il projette alors
par exemple les villas Trmal et Sucharda à Prague, la villa Mácha
à Bechyně, ou encore, un de ses chef-d’œuvres, la Maison
nationale (Národní dům) à Prostějov (1905 – 1907). Jan
Kotěra était un grand admirateur de l’architecte américain
Frank Lloyd Wright. Tout comme Wright, Kotěra, lui aussi,
se consacra au design de couverts, d’objets en verre, de meubles,
d’intérieurs et de tapisseries. Son dernier grand projet est le
bâtiment de la Faculté de droit de l’Université Charles à Prague,
élaboré dans un style Art nouveau poussé jusqu’au néoclassicisme
– projet que vint interrompre sa mort et qui sera achevé sous
la direction de l’architecte Ladislav Machoň.
[11] Josef Gočár (1880-1945), architecte. Etudie tout d’abord
au lycée technique de Pardubice, puis à l’Ecole d’Arts appliqués
de Prague. Après ses études, il travaille un temps dans l’atelier
de Jan Kotěra. Dès 1908 cependant, il devient indépendant
et se met à réaliser ses propres projets. C’est ainsi qu’en 1912,
il projette les chef-d’œuvres de sa période cubiste, la Maison
à la Vierge noire, rue Celetná à Prague, et le bâtiment des bains
de Bohdaneč. Il sert dans l’armée en 1916-1919. En 1924,
il est nommé professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Prague.
Il en deviendra le recteur en 1928 (fonction qu’il remplira jusqu’en
1932). En 1921-1923 (début de sa période « rondo-cubiste »),
il crée l’immeuble de la Legiobanka à Prague, rue Na Poříčí.
En 1927-1928, il crée l’église Saint Venceslas, de style fonctionnaliste,
dans le queartier Vršovice à Prague. Ses nombreux travaux à Hradec
Králové, commencés au début des années 20, sont couronnés par
la construction, en 1931-1936, de l’immeuble de l’Administration
régionale et financière (Okresní a finanční úřad). Josef Gočár
a remporté le Grand prix de Paris (1925), fut détenteur de la
Légion d’honneur (1926), a été élu membre de l’Académie tchèque
des sciences et des arts (Česká akademie věd a umění)
et fut également membre épistolaire de l’Institut royal des architectes
britanniques à Londres.
[12] Oldřich Mikulášek (1910-1985)
fait des études commerciales, exerce divers métiers avant de devenir
rédacteur et journaliste, y compris à la radio. A la charnière
des années 50 et 60, il dirige à Brno l’importante revue littéraire
Host do domu. Partagé entre la ville et la campagne morave,
poète de l’extase sensuelle autant que de la réflexion métaphysique
aux tons allant parfois jusqu’à un sombre pessimisme. Il alterne
aussi, dans les années 50, un lyrisme troublé et un art paysagiste
plus solaire et moins dérangeant. Le côté obscur prend toutefois
le dessus.
[13] Dans l’édition française de
Lady Feltham, la traductrice fait dire à Sergej Machonin
que Hejda provient de Moravie (« Dans la poésie tchèque de
ces dernières années, c’est Zbyněk Hejda au premier chef
qui incarne la seconde de ces « races », celle que nous
aimerions appeler la lignée des ténèbres. Les influences déterminantes
qui ont contribué à donner à cette œuvre sa physionomie spécifique
sont multiples. Il y a l’enfance du poète, passée à Horní Ves
dans les collines de Moravie, il y a son sentiment profond de
la famille, du sang et de sa singularité quasi mythique, il y
a le rapport privilégié qui le lie à sa mère, il y a enfin l’intransigeance
de son jugement littéraire et sa fidélité inébranlable à ceux
qui lui servent de repères. »), là où, dans le texte tchèque
de son essai Un cri contre la mort, figurait le mot Vysočina :
« Zbyněk Hejda patří v české poesii naší
doby k oné « temné » antropologické větvi.
Určilo ho dětství v Horní Vsi na Vysočině,
vztah k rodu a jeho bájivé zvláštnosti, vztah k matce, vyhraněná
orientace (…) jeho básnického naturelu (…) », Sergej Machonin,
Křik proti smrti, postface de l’édition Poèmes
[Básně], Edice Petlice, 1979 ; préface de
l’édition française de Lady Feltham (trad. E. Abrams),
Paris, La Différence 1989, p. 7-21 ; repris in Zbyněk
Hejda, Poèmes [Básně], Prague Torst, 1996,
p. 319-326.
[14] Karel Havlíček Borovský
(1821-1856), poète, journaliste et politicien, fondateur du journalisme
tchèque moderne, critique littéraire, auteur de croquis et traducteur.
De par ses nombreuses épigrammes et ses pièces satyriques, il
s’éloigne des conventions de la littérature du renouveau national.
Son approche fait de la satire un genre permettant un combat actif
avec des normes littéraires et sociales vieillies. Il critique
la phraséologie vide du renouveau national, le dogmatisme de l’église
et l’absolutisme politique. Face aux mythes et aux illusions de
l’époque (ainsi qu’à la fuite romantique dans le domaine de l’idéal
et du rêve), il élève la simple foi dans les capacités analytiques
de la raison humaine. Excellent polémiste et agitateur, il mène
un combat sans compromis avec la politique de l’Etat après la
défaite de la révolution autrichienne en 1848, avant d’être emprisonné,
en 1951, et de passer les dernières années de sa vie en prison.
[15] « U nás to bylo tak, že
nikdo z rodiny neužíval vulgárních slov. U nás to bylo až
puristické, řekl bych. Jedině tatínek byl někdy
schopen postavit se do takové pózy, že už hraje jakousi roli,
a recitoval třeba Havlíčka. Použil některá slova,
která se běžně neužívala, a Havlíčkem to bylo jakoby
legitimováno, ale jenom v té recitaci. Jako nejostřejší
nadávku z jeho úst si pamatuju, že nějaký poslanec,
myslím, že se to týkalo Hampla, je kráva. Otec dokonce ani nevyslovil
slovo zatraceně. To patřilo k době. Když chtěl
říct zatraceně, řekl zatr. Tak se to dělalo
v literatuře, zatr a tečka nebo tři tečky,
a on to tak vyslovoval. », in Antonín Petruželka, « Je
ne pense pas que le lecteur puisse ne pas se passer de mes vers »
[« Nemyslím, že čtenář by se bez mých veršů
neobešel »], Revolver Revue, n° 35, 1997, p. 107-139.
[16] « Závodní restaurace »
[17] La famille n’ayant pas eu de
nouvelles avant la fin de la guerre, le monument aux morts du
village indique comme date de décès l’année 1920.
[18] František Gellner (1881-1914). Né d’une famille de commerçant
juif de Bohême, Gellner étudie à l’école des Mines de Příbram
de 1901 à 1904, puis la peinture à Mnichov et enfin à Paris de
1905 à 1908, où il reste jusqu’en 1911, sans jamais terminer ses
études. Parmi les nombreux journaux auxquels il collabore en tant
que caricaturiste, feuilletoniste et auteur de satires politiques,
citons le Cri de Paris ou les Lidové Noviny
de Brno. Il mène longtemps une vie dissolue d’étudiant, soutenu
par la richesse de sa famille. Revenu en Bohême, ses affinités
politiques l’amènent fréquenter la villa de Olšany de S. K. Neumann.
Il commence à écrire ses premiers vers dès le lycée, et son premier
recueil, Après nous le déluge [Po nás ať přijde
potopa], est publié en 1901. Vient ensuite le recueil Les
joies de la vie [Radosti života], en 1903, puis un Don Juan, en 1912 ; son dernier recueil de poèmes, Vers
nouveaux [Nové Verše], ne sera publié qu’à titre postume, en 1919. Ses poèmes sont fortement
traversés par une logique hédoniste et par ses idées anarchistes,
auxquelles se mêle une profonde désillusion, grinçante jusqu’à
l’ironie, avec cependant des touches d’un profond lyrisme dénotant
une souffrance véritable – aspect absent des textes de tous ses
imitateurs (Josef Mach, Leo Freimut). Il écrit également des nouvelles,
notamment le recueil Le chemin des montagnes et autres nouvelles
[Cesta do hor a jiné
povídky], en 1914
; ainsi qu’un roman-feuilleton, Le peuple errant [Potulný národ], en 1912, et une pièce de théâtre, Le port du mariage [Přistav manželstvi], en 1902. Il traduit en outre Goethe, Heine,
Nietzsche et Stirner. Gellner est enrôlé en 1914 et est porté
disparu dès le mois d’août.
[19] Karel Jaromír Erben, Un Bouquet
de légendes tchèques [Kytice z pověstí národních],
1853 ; trad. fr. collective in Xavier Galmiche (ed.), Un
Bouquet de légendes tchèques, Université de Paris-Sorbonne
(Paris IV), Paris, UFR d’Etudes slaves, Cahiers slaves, Bohemica,
2001.
[20] Jaroslav Vrchlický (1853-1912).
Pseudonyme d’Emil Bohuslav Frída. Parfois qualifié de Victor Hugo
ou d’Edmond Rostand tchèque. Professeur de littérature comparée
à l’université de Prague de 1893 à 1908. Chef de file du mouvement
artistique lié à la revue Lumír. L’ampleur de son
œuvre littéraire est de nature à effrayer le critique le plus
appliqué. La diversité de sa production est telle qu’elle constitue,
à elle seule, une bibliothèque : poèmes, épopées, récits,
drames, comédies, études critiques, anthologies, traductions.
Il ne cessa d’alterner la production d’œuvres originales avec
son inlassable activité de traducteur. Dans ses propres œuvres,
la facilité l’entraîne souvent vers l’improvisation.
[21] Jaroslav Vrchlický, « Romance
de printemps » [« Jarní romance »] : « Il
était une fois un magicien/qui vivait dans un château de glace,/il
avait une ceinture de givre/et une barbe blanche comme neige.//La
tête ceinte d’une couronne de branches de sapin/et de fleurs pâlies,/sur
son voile brumeux,/des cristaux de glaces brillent.//Un jour,
il se senti seul/dans sa grotte gelée,/et il eut envie alors d’aller
voir/où s’en vont les nuages tous les jours.//Il y a longtemps,
il avait entendu parler d’une terre/où, dans les buissons, des
petits oiseaux chantent,/où dans les roseaux de chaque rivière,/de
ravissantes fées se cachent.//Où, toutle jour durant,le soleil/jamais
ne dissimule ses joues/où il y des chansons, des odeurs, des petites
branches/et des fleurs par milliers.//Il pris sa grande massue,/s’enveloppa
de son manteau,/tout impatient de presser/des roses contre ses
lèvres fanées.//Tout impatient de serrer dans ses bras/les fées
aux pied léger,/et il traversa de nombreuses contrées/pris d’un
doux espoir.//Mais, hélas ! Quel changement !/Même le
soleil refroidit à sa vue,/et lorsqu’il prenait des fleurs dans
ses mains,/tout de suite,elles fânèrent au contact de son souffle.//De
la glace sur les rivières, de la neige au sol,/où qu’il pose son
regard errant,/tout n’est que désert, tout n’est que mort,/et
pas une seule fée aux alentours !//Où qu’il aille, toujours
la même glace,/toujours la grêle, la neige, le gel,/alors, le
magicien se met à pleurer/et, lui-même- se tranche la tête.//Et,
de par les champs, une brise chaude/folâtre à nouveau, agile,/et
du corps du vieillard – quelle merveille !/des perce-neiges
blancs se mirent à pousser.//La caille lance son appel sous le
talus,/le moqueur chante dans le pré,/et la prairie est soudain/toute
couverte de paquerettes.//Et, entrant dans les roseaux,/les fées
à nouveaux jouent. -/Le triste hiver est mort,/ô, bienvenu, joli
mai ! » [« Byl jednou jeden kouzelník,/ten v ledném
bydlel hradu,/kol pás měl z jíní setkaný/a sněhobílou
bradu.//Na hlavě věnec ze smrčin/a z vybledlého
kvítí/a na závoji mlhavém/se křišťály mu třpytí.//
Tomu se jednou zastesklo/v podzemní ledné sluji,/i chtěl
se jíti podívat,/kam denně mraky plují.//On dávno slyšel
o zemi,/kde v keři ptáček zpívá,/kde v každé řeky
rákosí/se luzná víla skrývá.//Kde slunko celý boží den/si nezahalí
líce,/kde písní, vůně, hvězdiček/a květů
na tisíce.//Vzal do ruky svůj hromný kyj,/v plášť zahalil
se úže/a těšil se, jak přivine/ku zvadlým retům
růže.//A těšil se, jak zobjímá/ty víly lehkonohé,/a
tak ve sladké naději/již kraje prošel mnohé.//Však běda!
Jaká proměna!/I slunce před ním zchladlo,/a když vzal
kvítí do rukou,/hned jeho dechem zvadlo.//Na řekách led,
na zemi sníh,/kam těkavý zrak hledne,/kol jenom poušť,
kol jenom smrt/a nikde víly jedné!//Kam vkročil, zas ten
starý led,/zas kroupy, sněhy, mrazy,/i rozpláče se kouzelník/a
sám si hlavu srazí.//A teplý vánek po poli/zas pohrává si čile,/a
z těla kmeta - jaký div!/sněženky vzrostly bílé.//Křepelka
volá pod mezí/a v háji sedmihlásek,/a luh, jak by ho posázel,/jest
plný sedmikrásek.//A vkroče si v rákosí/zas proplétají víly.
-/Již smutná zima zhynula,/ó, vítej, máji milý! »].
[22] Un enfant est devenu orphelin/à
l’âge d’un an et demi.//Lorsqu’il a commencé à prendre de la raison,/il
demanda des nouvelles de sa mère.//- Hélas, papa, mon cher papa,/où
avez-vous mis maman ?//- Ta mère dort dur,/personne ne peut
la réveiller.//Elle est couchée au cimetière,/tout près du portail.
(…) [Osiřelo dítě/ o půldruhém létě.//Když
už rozum bralo,/na matku se ptalo.//- Ach táto, tatíčku,/kde
jste dal mamičku?// - Tvá matka tvrdě spí,/žádný jí
nevzbudí.// Na hřbitově leží/blízko samých dveří.
(…)]
[23] Mladý hlasatel (1935-1941),
journal en couleurs pour les enfants et les jeunes (le plus lu
en Tchécoslovaquie dans la période d’entre deux guerres), comprenant
textes littéraires, informations générales et internationales,
une rubrique scout, ainsi que des contributions non-traditionnelles,
comme par exemple des bandes dessinées (Mickey Mouse, Donald duck,
et surtout la série Rychlé šípy de Foglar). Son rédacteur
en chef est B. Mencák, puis K. Bureš, mais la véritable personnalité
du journal est Jaroslav Foglar. En 1937, celui-ci lance notamment
l’idée de fonder des clubs de lecteurs du Mladý hlasatel,
idée qui deviendra vite très populaire.
[24] Jaroslav Foglar (1907-1999),
auteur pour la jeunesse. Membre, dès sa jeunesse, du mouvement
scout. En 1938, devient rédacteur du journal Mladý hlasatel.
Ses travaux visent à développer dans les jeunes un sens pour la
nature, pour une amitié prête à apporter des sacrifices, pour
le fair-play, pour une approche autonome et responsable du travail
et de la vie. Il est le précurseur de la bande dessinée tchèque.
En 1945-46, il est rédacteur du journal Junák, puis, en
1945-47, du journal Vpřed. Fortement critiqué sous
le communisme, il essaie tant bien que mal à maintenir en vie
– clandestinement – le mouvement scout, écrit des contes, des
reportages et travaille pour la radio.
[25] Jaroslav Foglar, Le Mystère
du casse-tête [Záhada hlavolamu], 1941.
[26] « Bylo tam vždycky velký teplo, až moc. », in Petr
Placák, « Lecteur du Mladý hlasatel, fiche d’orientation
politique de Zbyněk Hejda » [« Čtenář
Mladého hlasatele, Kádrový profil Zbyňka Hejdy »], Babylon
- Literární a výtvarná příloha, n° 2, 1999, p.1-2, repris
in Petr Placák, Interrogatoire d’orientation politique
[Kádrový dotazník], Babylon, 2001, p. 106.
[27] « Maminka otevřela
dveře, byla dva, jeden mluvil česky, druhý nemluvil
vůbec, vytáhli průkaz a jestli je prý František Hejda
doma. Maminka odpověděla, že zemřela, a oni na
to – jak to, kdy zemřel? Maminka odpověděla, že
31. března 1939. Gestapáci si něco zapsali a odešli. »
in Petr Placák, « Lecteur du Mladý hlasatel, fiche d’orientation
politique de Zbyněk Hejda » [« Čtenář
Mladého hlasatele, Kádrový profil Zbyňka Hejdy »], Babylon
- Literární a výtvarná příloha, n° 2, 1999, p.1-2, repris
in Petr Placák, Interrogatoire d’orientation politique
[Kádrový dotazník], Babylon, 2001, p. 107.
[28] Karel Čapek, (1890-1938),
prosateur, journaliste, auteur dramatique, essayiste, critique,
traducteur. Après des débuts marqués par la décadence et l’expressionnisme,
notamment dans les textes écrits en collaboration avec son frère
Josef, il s’oriente vers des œuvres habitées par des valeurs humanistes
qui en font l’écrivain-symbole de la première République libérale
de Masaryk. Il publie d’abord des contes philosophiques, puis
aborde le théâtre avec des drames, notamment R. U. R. (1921),
où des robots (mot créé par lui) se révoltent contre leurs créateurs.
Dans la même veine, il écrit d’autres pièces (Le Dossier Makropoulos
[Věc Makropulos], 1922) et des romans (La Fabrique
d’absolu [Továrna na absolutno], 1922 ; La Guerre
des salamandres [Válka mloků], 1936), puis aborde
le roman psychologique avec une trilogie : Hordubal [Hordubal]
(1933), Le Météore [Povětroň] (1934) et
La Vie simple [Obyčejný život] (1934). La plupart
de ces ouvrages évoquent les dangers monstrueux qui pèsent sur
l’humanité et, indirectement, l’atmosphère dramatique de leur
époque.
[29] Organisation d’intellectuels de gauche, fondée en 1929 par le
poète S. K. Neumann. Ses principaux membres sont alors
le pédagogue O. Chlup, le philosophe J. L. Fischer,
les écrivains V. Vančura, V. Nezval, F. Halas,
J. Seifert, et le critique littéraire B. Václavek. Publie
la revue Levá fronta.
[30] André Gide, Le Retour d’U.R.S.S.,
Gallimard, 1936. En 1936, Gide partait pour la Russie découvrir
un monde « où l’inespéré pouvait éclore » : il
en revient déçu d’un voyage où il a eu « moralement si chaud
et si froid ». Dans ce livre, il dit ses craintes et répugnances
devant le formalisme stalinien.
[31] Jiří Wolker (1900-1924).
Un temps membre du Devětsil, il est considéré comme le plus
important poète prolétarien des années 20. Mort de tuberculose
à l’âge de vingt-quatre ans. Outre des poèmes lyriques, il a écrit
des récits, des pièces de théâtre, des contes de fées et quelques
études théoriques (notamment « L’art prolétaire » [« Proletářské
umění »], 1922, en collaboration avec Karel Teige).
[32] Vítězslav Nezval (26. 5.
1900 Biskoupky (près de Moravský Krumlov) - 6. 4. 1958 Prague)
Poète, prosateur, dramaturge, essayiste, traducteur, scénariste.
Influencé par des auteurs tels que K. Hlaváček, O. Březina,
J. Deml, A. Rimbaud (qu’il découvre grâce à J. Mahen) ou encore
G. Apollinaire, il publie son premier recueil, Le pont (1922)
à vingt-deux ans. En 1924, il fait la connaissance de K. Teige
et de J. Wolker et devient vite une des figures de proue du Devětsil
et un des auteurs les plus prolifiques de l’époque : il est l’auteur
de plusieurs dizaines de recueils de poésie, de plusieurs romans
et essais, de libretto pour ballets, de textes littéraire pour
la radio, ainsi que de plusieurs scénarios (notamment pour le
film Extase de G. Machatý, en 1933). Il fait la connaissance
d’André Breton et des surréalistes, ce qui le poussera à former,
en 1934, un groupe surréaliste tchèque. Lorsque, en 1938, la plupart
des membres du groupe surréaliste de Prague critiqueront les procès
de Moscou, il tentera de dissoudre le groupe. En 1944, il est
emprisonné pendant une courte période. Après la guerre, il dirige
le Comité de cinéma au Ministère de l'information et travaille
pour diverses institutions littéraires et cinématographiques,
aidant à instaurer l’orientation communiste politiquement contrôlée
de la création artistique. Ses derniers recueils oscillent entre
un effort de préserver une certaine liberté de l’expression lyrique
(Les bleuets et les villes [Chrpy a města],
1955) et une servilité à la propagande communiste (Staline
[Stalin], 1949 ; Le chant de la paix [Zpěv
míru], 1950 ; De chez nous [Z domoviny], 1951).
[33] František Halas (1901-1949),
poète. Si ses débuts en poésie se ressentent de l’influence formelle
du poétisme, il exprime d’emblée ses angoisses et inquiétudes
humaines qui, les évènements sociaux et politiques aidant, s’approfondissent
par une réflexion sur le sens de l’existence et de la mort : Le
coq effarouche la mort [Kohout plaší smrt] (1930),
La Face [Tvář] (1931), Gentiane [Hořec]
(1933), Les Vieilles Femmes [Staré ženy] (1935). A partir
de 1945, Halas occupe un poste important au ministère de l’Information,
préside l’Union des écrivains tchécoslovaques (il ramène les cendres
de Robert Desnos de Terezín à Paris). Dès 1950, son œuvre est
officiellement proscrite.
[34] Vladimír Holan (1905-1980), un des plus grands poètes tchèques
modernes. Brièvement influencé à ses débuts par le poétisme, il
s’oriente rapidement vers une expression abstraite et pessimiste
(Le Triomphe de la mort, 1930), puis à la fin des années
trente, révolutionnaire et antinazi, il devient un auteur résolument
engagé. Cette période se prolonge durant les années de guerre
et au-delà, avec plusieurs compositions dédiés à l’Union soviétique
et à l’Armée rouge (1945-1947). Bientôt, cependant, il remet en
question son engagement politique, rompt avec le parti communisme
et s’enferme dans un silence éloquent, interrompu seulement lors
de la libéralisation des années 60. « La double
expérience du nazisme et du communisme ayant fourni à Holan son
substrat historique, c’est par un langage de douleur qu’il dominera
dorénavant l’absurdité tragique des choses, pour pouvoir atteindre
les questions essentielles, supra-historiques, questions qu’il
pose non pas à la société, ni même au monde, mais à l’univers
tel qu’il est conçu dans la tradition archaïque. En se confondant
dans un apparent cercle d’identité, la question et la réponse
atteignent une dimension nouvelle : cette troisième et dernière
période de l’œuvre holanienne fait de son auteur, selon ses propres
paroles, un « poète sombre, poète apocalyptique » de
son temps. L’œuvre épique de Holan culmine avec les Histoires
[Příběhy]
(1963) écrites entre 1954 et 1962 et le poème Une nuit avec
Hamlet [Noc s Hamletem] (1964), écrit
entre 1949 et 1956. Tout en quittant le vers régulier et les structures
traditionnelles, Holan devient narrateur actif, donnant au poète
un rôle dominant par rapport au message. Mais l’art de la contradiction
– contradiction exploitée jusqu’aux ultimes conséquences possibles
– permet à l’auteur de dépasser le cadre simplement « épique »
de ses histoires et de leur fournir un tissu proprement dramatique.
Cette optique s’accentue encore dans Une nuit avec Hamlet,
le « summum de l’œuvre holanienne » selon certains,
réflexion, méditation et dialogue rassemblant réalités et personnages
historiques dans une seule tragédie moderne. La « période
noire » est également celle des recueils Iyriques, dont En
marche [Na postupu] (1964), Douleur [Bolest]
(1965), Un coq pour Asclépios [Asképiovi kohouta]
(1970). L’évolution du genre Iyrique est semblable à celle des
cycles épiques : le vers se libère, le poème se confond avec une
réflexion, voire un aphorisme, le paradoxe est plus présent que
jamais. Après le Printemps de Prague, interrompu par l’arrivée
des chars soviétiques, l’histoire se répète pour les manuscrits
de Holan : les deux derniers recueils, rassemblés sous le titre
de L'Abîme de l'abîme (1982), ne verront le jour qu’après
la mort du poète. » (Patrick Ouředník). A
côté de vers pour enfants et de textes en prose, il laisse une
impressionnante œuvre de traduction (Ronsard, Baudelaire, Rilke,
Góngora, etc.)
[35] Publiée par la Umělecká
beseda jusqu’en 1949, revue centrée principalement sur les arts
plastiques. Parmi les membres de sa rédaction, nous trouvons Vladimír
Holan, Josef Čapek ou encore Karel Šourek. C’est là que Hejda
découvre des extraits des journaux intimes de Jiří Kolář.
[36] Dirigée par Bedřich Fučík
et Vilém Závada, la revue Listy pro umění a kritiku
(1933-1937) publie principalement des critiques littéraires et
esthétiques et des textes de théorie littéraire. Dans le domaine
de la critique littéraire, deux aspects prédominent : le
point de vue de la spiritualité catholique, évaluant l’œuvre en
tant que valeur spirituelle et métaphysique, et l’analyse linguistique
structuraliste. Parmi les collaborateurs réguliers de la revue,
nous trouvons Václav Černý, Miloš Dvořák, Pavel Fraenkl,
Oldřich Králík, Otokar Levý, Timotheus Vodička, René
Wellek, Vojtěch Jirát, mais aussi F. X. Šalda ou Jindřich
Chalupecký.
[37] Dirigée par l’architecte et
poète Vít Obrtel, l’objectif principal de la revue Kvart
(1930-1937, 1945-1949) est de présenter au lectorat tchèque les
tendances littéraires et artistiques contemporaines, sans critère
de choix autre que la qualité, en mettant les œuvres littéraires
en relation avec les mouvements artistiques, architectoniques,
philosophiques et esthétiques contemporains. On y croise, entre
autres, les noms de F. Halas, V. Holan, J. Hořejší, F. Hrubín,
J. Jelínek, J. Seifert, J. Šíma, puis, après la guerre, ceux de
J. Grossman, J. Kolář, J. Kotalík, L. Kundera, J. Lederer
ou encore K. Teige. Parmi les auteurs traduits, nous y trouvons,
entre autres, G. Apollinaire, M. Jacob, A. Jarry, J. Laforgue,
P. Valéry, W. Blake, T. S. Eliot, J. Joyce, G. Benn, F. Hölderlin,
R. M. Rilke, A. Blok, B. Pasternak.
[38] Volné směry (Prague,
1896-1913, 1915-1941), revue du groupe Mánes. Ancré dans l’Art
nouveau, puis l’art moderne, en ses débuts. Parmi les collaborateurs
des derniers numéros, nous trouvons, entre autres, M. Jiránek,
F. X. Šalda, B. Kubišta.
[39] Revue dirigée par Jindřich
Chalupecký et Jan Grossman. Les derniers numéros de cette revue
constituaient des recueils thématiques dont l’un fut dédié à l’existentialisme,
comprenant, entre autres, « L’espoir et l’absurde dans l’œuvre
de Franz Kafka » d’Albert Camus, « De l’existentialisme »
de Jan Patočka, « L’existentialisme est un humanisme »
de Jean-Paul Sartre et « Qu’est-ce que la métaphysique ? »
de Martin Heidegger. Ce numéro a beaucoup marqué Hejda.
[40] Revue du groupe artistique de
Brno Blok (1936-1939), se réclamant du réalisme socialiste (le
titre officiel de la revue est U). On y trouve, à côté
de contributions telles que l’Anti-Gide de S. K. Neumann,
des textes d’auteurs tels que F. Halas, J. Hora, O. Fischer, J.
Seifert. L’esprit ouvert et non-dogmatique de son rédacteur en
chef, le critique littéraire Bedřich Václavek, fait d’elle
une importante plate-forme de discussion culturelle et sociale.
[41] Cette exposition reprenait en
grande partie, du moins en ce qui concerne la partie picturale,
celle organisée la même année par André Breton à la galerie Maeght,
rue de Téhéran, prenant la suite de la grande exposition de 1938
à la galerie des Beaux-Arts. L’exposition de Prague eut un succès
retentissant. Un exemple : un débat devait avoir lieu parallèlement
à la maison d’édition de Topič. Lorsque Hejda, venu exprès
de Hradec, arrive chez Topič, il découvre une note annonçant
que, vu l’intérêt exceptionnel qu’il avait suscité, le débat était
déplacé dans la petite salle du palais Žofín. Hejda de courir
à Žofín, donc, où il découvre une autre note annonçant que, vu
l’intérêt exceptionnel suscité, le débat était déplacé dans la
grande salle du palais. La grande salle était pleine à craquer,
avec des foules de gens restées debout à cause du manque de sièges.
Les principales personnalités participant au débat étaient alors
Karel Teige, Jindřich Chalupecký, Zdeněk Lorenz représentant
le Groupe Ra, et le philosophe Václav Navrátil. Hejda est particulièrement
impressionné par l’aisance et la précision dans la façon de s’exprimer
de Teige : « il improvisait sur place, mais on aurait
pu tout imprimer directement. » (Entretien enregistré le
21. 8. 2003) L’exposition était aussi accompagnée d’un très intéressant
catalogue.
[42] Hejda avoue aujourd’hui qu’il
aurait été dur de différencier ces photographies de celles d’un
Štyrský par exemple : on y voit des motifs de cirque, des
vitrines de magasins divers, de bazars, etc.
[43] Sigmund Freud, Výklad snů,
Prague, Julius Albert, 1937.
[44] Ignorants du fait que le texte
a été publié par Josef Florian dès les années 20, ils le traduisent
eux-mêmes de l’allemand.
[45] « Le 2 octobre » [« 2.
října »], Toute volupté [Všechna slast],
in Zbyněk Hejda, Poèmes [Básně], Prague,
Torst, 1996, p. 61. Cf. le commentaire de ce poème en 3.3.6.
[46] « Il s’agit principalement
des rêves de ma tante Božena qui se plaisait à raconter non seulement
diverses histoires, mais aussi divers rêves, et ceux d’entre eux
qui lui semblaient impérieux, elles les racontaient souvent. Et
le fait qu’ils aient été racontés plusieurs fois, qu’on les ait
raconté souvent, cela a aussi contribué à leur caractère impérieux. »
[« Jsou to hlavně sny mé tety Boženy, která velmi ráda
vyprávěla nejenom různé příběhy, ale i různé
sny, a ty, které cítila jako naléhavé, vyprávěla často.
I ta častá vyprávění, to, že se vyprávěly několikrát,
to přispělo k jejich naléhavosti. »], in Antonín
Petruželka, « Je ne pense pas que le lecteur puisse ne pas
se passer de mes vers » [« Nemyslím, že čtenář
by se bez mých veršů neobešel »], Revolver Revue,
n° 35, 1997, p. 127.
[47] « Je n’ai jamais considéré
les rêves comme quelque présage du futur. Ils m’ont toujours intéressé
en tant que récit pouvant s’adresser à l’homme d’une façon puissante.
Ou bien : pouvant toucher l’homme, plutôt que s’adresser
à lui, parce que, au fond, on ne peut définir de façon précise
en quoi le rêve s’adresse à l’homme ou bien de quelle façon il
s’adresse à lui. On peut donc dire plutôt qu’il le touche. »
[« Nikdy jsem sny nechápal jako nějakou věštbu
do budoucnosti. Vždycky mě zajímali jako příběh,
který nějakým silným způsobem člověka může
oslovit. Nebo může se ho dotknout, spíš než oslovit, protože,
vlastně, to nejde přesně určit, čím ten
sen člověka osloví nebo jak ho osloví. Čili spíš
se dá říct, že se ho dotkne. »], entretien enregistré
le 21. 8. 2003.
[48] Jiří Kolář, (1914-2002).
Avant d’être mondialement connu comme créateur de collages, il
fut poète et dramaturge, l’un des plus importants et des plus
personnels de sa génération. Menuisier de formation, il exerce
toutes sortes de métiers et expose en 1937 des collages « poétistes
» avant de publier son premier recueil de poésie en 1941 qui annonce
déjà l’esthétique du Groupe 42 qu’il fonde l’année suivante avec
le théoricien de l’art Jindřich Chalupecký et d’autres poètes
et artistes. Dans cette conception qui identifie le « sens et
l’intention de l’art » au « drame quotidien, terrifiant et glorieux
de l’homme et de la réalité », il publie plusieurs textes, dont
Jours de l’année [Dny v roce], journal poétique
de 1947, dont le second volet en prose, Années des jours [Roky
v dnech], sera saisi par la censure. En 1953, il est condamné
à un an de prison. Entre 1959 et 1961, il travaille à ses Poèmes
du silence [Básně ticha] qui consomment la
rupture avec la poésie verbale (la « camisole de force des
mots ») en faveur d’une poésie « concrète » et « évidente » qui
prendra dès lors la forme du collage à base de textes et d’images
imprimés. Signataire de la Chartre 77, interdit de publication
et d’exposition par le régime de la normalisation, il émigre à
Paris en 1980 où il fonde la Revue K consacrée aux artistes
d’origine tchèque vivant en exil. La suite de son œuvre écrite
sera un commentaire de l’œuvre plastique, avec l’interview Réponses
[Odpovědi](1984) et surtout le Dictionnaire des Méthodes
[Slovník metod] (1986).
[49] Jiří Kolář, Roky
v dnech. Saisi par la censure en 1949 ainsi qu’en 1970, ce
recueil de courtes proses présentées comme les notes d’un journal
intime ne paraîtra qu’en 1975 en samizdat, dans l’édition Krameriova
expedice.
[50] « V mládí – i pak
– chtěl jsem psát jako Jiří Kolář./A zatím?/Škoda
slov. », in « Un soir » [« Jednou večer »],
Séjour au sanatorium [Pobyt v sanatoriu], in Zbyněk
Hejda, Poèmes [Básně], Prague, Torst, 1996,
p. 231.
[51] Jan Mukařovský (1891-1975).
Dès sa création en 1926, il prend une part essentielle à l’activité
du Cercle linguistique de Prague et publie ses grands travaux
structuralistes. Après 1948, il rallie le régime communiste, occupe
des postes importants à l’université et dans la vie culturelle,
applique les consignes littéraires stalino-jdanoviennes et renie
toute son œuvre antérieure.
[52] Jan Patočka (1907-1977),
philosophe. Etudie la philologie slave, la romanistique et la
philosophie à la Faculté des Lettres de l’Université Charles,
puis, effectue plusieurs séjours d’études à Paris, à Berlin et
à Freiburg, où il fait la connaissance d’E. Husserl, d’E. Fink
et de M. Heidegger. La phénoménologie devient alors une des bases
de sa philosohpie. Il enseigne à la Faculté des Lettres jusqu’en
1949, avant d’être expulsé lors des purges de l’univesrité. Il
travaillera alors dans diverses institutions philosophiques plus
ou moins marginales, avant de retourner à la Faculté, en 1968.
Il en sera à nouveau expulsé en 1971. En 1977, il signe la Charte
77 et devient, avec J. Hájek et V. Havel, l’un de ses premiers
porte-paroles. Il est emprisonné sur le champ et meurt dans sa
cellule, trois mois plus tard. Dans son œuvre philosophique, Jan
Patočka renoue avec la tradition représentée par J. A. Comenius,
T. G. Masaryk et E. Husserl, liée à un effort d’ancrer la dimension
morale de l’homme dans une époque qui nie cette dimension. Il
part de la phénoménologie de Husserl en la modifiant à partir
de l’onthologie de Heidegger. Il se concentre sur l’analyse du
« monde naturel » (Le Monde naturel en tant que problème
philosophique [Přirozený svět jako filosofický
problém], 1936, 1970, 1992), cherche ses bases métaphysiques
et étudie la dépendance mutuelle et la cohésion de l’existence
humaine et du monde. Enfin, il aboutit à une philosophie phénoménologique,
concevant l’existence dans l’esprit des trois mouvements existentiels
de base : le mouvement d’auto-ancrage (l’homme accepte la
situation dans laquelle il se trouve, et est accepté en tant qu’homme
par les autres), le mouvement du débarassement de soi par le prolongement
– mouvement du travail, du gagne-pain (l’homme ne prête attention
son attention qu’aux choses qui peuvent lui être utiles, qui « prolongent »
ses possibilités, il se considère les autres ainsi que soi-même
comme un objet de bénéfice qu’il est possible de manipuler) et
le mouvement de la découverte de soi (l’homme dépasse le monde
de l’immédiatement donné et réussit à rapporter au monde en tant
que tout, il refuse de vivre une vie de consomation anonyme, il
est conscient de sa nature mortelle et de la responsabilité de
sa propre vie qui le porte au « soin de l’âme » platonicien
comme à la chose la plus importante qu’il doit s’efforcer de remplir.)
[53] « Il est composé de deux
parties, ce mémoire. La première comporte les caractéristiques
des historiens bourgeois qui ont mal compris le hussitisme. Et
ça, c’est terrible. Mais c’est là une partie mineure du mémoire.
Et, au fond, la seconde partie est plutôt bonne : la partie
de l’analyse elle-même. Celle-ci décrit d’une façon assez objective
les événements praguois de 1420-21. Et ça, c’est, je pense, assez
bon. C’est plus ou moins objectif. C’est de l’historiographie
positiviste. Mais la partie où je caractérise ces auteurs bourgeois
qui n’ont pas compris le hussitisme, c’est un bel amas de conneries. »
[« Ta má dvě části, ta diplomka. Ta první část,
to jsou charakteristiky buržoázních historiků, kteří
špatně pochopili husitství. A to je hrozný. Ale to je menší
část tý diplomky. A druhá část je vlastně dost
dobrá. Ta vlastní část. Protože ta popisuje docela věcně
ty události dvacátýho a jednadvacátýho roku v Praze. A to
je myslím docela dobrý. To je takový věcný. To je v podstatě
taková docela pozitivistická historiografie. No ale ta část,
kde charakterizuju ty autory buržoázní, kteří teda nepochopili
husitství, to je pěkná volovina. »]. Entretien enregistré
le 21 8 2003. C’est peut-être aussi en partie pour se rattraper
que Hejda écrira, près de quinze ans plus tard, son fameux article
« Tabous de l’historiographie tchèque » ([« Tabu
v české historiografii »], in Tvář, n° 4,
avril 1969, p. 5-8 (première partie) et Tvář, n° 5,
mai 1969, p. 1-5 (seconde partie)) dans lequel il critique justement,
entre autres, l’approche idéologique de l’historiographie d’alors
envers la période hussite, envers le christianisme…, ainsi que
son idéalisation dogmatique du peuple et des révolutions.
[54] Josef Petráň (*1930), professeur
universitaire, aujourd’hui directeur de l’Institut d’histoire
de l’Université Charles (Ústav dějin UK) et des Archives
de l’Université Charles (Archiv UK).
[55] Rudolf Slánský (1901-1952),
membre du PCT, un des représentants de l’orientation « bolchevique »
de Gottwald. Pendant la guerre, il est actif dans le mouvement
de la résistance en Slovaquie. Il est un des principaux acteurs
de la prise de pouvoir par le PCT en 1948, mais deviendra tôt
la victime des pratiques violentes, de la terreur policière et
de la législation arbitraire qu’il a contribué à instaurer :
il est démis de ses fonctions de secrétaire général du PCT en
1951 et condamné à la peine de mort en tant que chef d’un « noyau
de révolte contre l’Etat ». Il sera réhabilité en tant que
citoyen en 1963 et en tant que membre du parti en 1968.
[56] Klement Gottwald (1896-1953),
membre du PCT depuis les années 20, il en prend la tête avec ses
« gars de Karlín » (Guttmann, Šverma, Slánský, Kopecký,
Reiman, etc.) en 1929 et détermine le lien de plus en plus étroit
que le parti aura avec Moscou. Il proteste contre les décisions
du Congrès de Munich et, en 1939, émigre en URSS. Après son retour,
il devient ministre et œuvre pour la prise du pouvoir par les
communistes. Celle-ci adviendra en février 1948. Il devient alors
président de la république, fonction qu’il remplira jusqu’à sa
mort.
[57] Emil František Burian (1904-1959),
auteur, théoricien de l’art, compositeur, metteur en scène, réalisateur,
acteur, et directeur du théâtre D 34 (le nombre dans le nom change
selon l’année, jusqu’en 1951, année où le théâtre est fermé).
L’un des plus importants créateurs tchèques d’art moderne. Il
est toléré, tant bien que mal, par le régime communiste parce
qu’il a toujours été de gauche et qu’il a survécu aux camps de
concentration nazis.
[58] Konstantin Biebl (1898-1951), poète, membre de la Literární
skupina à partir de 1921, il rejoint, en 1924, le Devětsil
qui lui est plus proche par ses théories poétistes et par l’orientation
communiste de la plupart de ses membres. De tous les membres de
l’avant-garde tchèque, fascinés par l’exotisme (non pour ce qu’il
a d’étranger, mais désireux de se l’approprier comme une partie
intégrante de la vie), il est le seul à l’avoir exploré pour de
bon : en 1926, il part pour un voyage d’un an de par l'Océan pacifique.
Ces expériences se ressentent dans le recueil En route avec
le bateau qui transporte le thé et le café [Lodí, jež dováží
čaj a kávu] (1927) et dans le reste de ses œuvres. Son
chef-d'œuvre, Le nouvel Icare [Nový Ikar] (1929),
écrit dans la lignée de Zone de G. Apollinaire, annonce
déjà son passage vers le surréalisme : en 1934, il est un des
membres fondateurs du groupe surréaliste praguois. En 1938, il
proteste contre la façon dont Nezval dissout le groupe. Après
la guerre, il tient un poste au Ministère des informations en
tant que membre du Comité du cinéma. Dans son dernier recueil, Sans
soucis [Bez obav] (1951), regroupant des vers écrits
entre 1940 et 1950, certains poèmes antifascistes évoquant les
horreurs de la guerre renouent avec l’imagerie surréaliste, d’autres
le montrent comme un défenseur convaincu de l’évolution socialiste
du pays. Mais il écrit aussi alors plusieurs manifestes satiriques
pour défendre l’autonomie de la poésie face aux normes dogmatiques
postulées par la critique et la politique culturelle de l’époque.
Souffrant de pancréatite, enclin à des crises de dépression, ne
supportant pas la méfiance ambiante des années 50 (il est bien
entendu mis sous surveillance dès l’institutionnalisation des
concepts du régime communiste) et, notamment, l’attitude du nouveau
gouvernement envers les anciens membres des avant-gardes, il met
fin à ses jours. Alors que son suicide est longtemps un thème
tabou, son dernier recueil est récupéré par les jeunes poètes
communistes (notamment par Milan Kundera), qui essaient d’imiter
son style léger et fantasque.
[59] Vilém Závada (1905-1982). Marqué
par le poétisme et pourvu d’une rare force d’expression sobre,
il frappe par sa note amère, tragique, accentuée sous l’occupation
allemande. Après 1948, il se rallie au régime communiste et à
ses « perspectives optimistes », sans pouvoir toujours
étouffer son pessimisme foncier. Promu « artiste national »
en 1966.
[60] Stanislav Kostka
Neumann (1875-1947). Poète, essayiste, traducteur, critique littéraire
et d’art, il fut successivement anarchiste, décadent, vitaliste,
expressionniste, cubiste, futuriste, naturiste, révolutionnaire
bolchevique (exclu du parti en 1929), intimiste, anti-fasciste
et, après 1948, à nouveau communiste (il attaqua alors František
Halas, André Gide…). Promu « artiste national » et proclamé
par les staliniens comme le modèle de l’écrivain socialiste.
[61] Cf., par exemple, Karel Kaplan,
« Le pamphlet « L’Amour socialiste » » [« Pamflet
« Socialistická láska » »], in Literární noviny, année
9, n° 38, 23 septembre 1998.
[62] Ladislav Štoll (1902-1981),
journaliste et critique littéraire communiste. Dans son livre
Třicet let bojů za českou socialistickou poezii,
il formule les bases de la nouvelle norme pour juger de la poésie
en divisant celle-ci en deux catégories principales : celle
qui va dans le sens du progrès et celle réactionnaire.
[63] A la même époque, Grygar (*1928)
publie dans la revue Tvorba l’article « Le Teigeïsme :
une agence trotskiste dans la culture tchèque » [« Teigovština
: trockystická agentura v české kultuře »].
[64] Záviš Kalandra (1902-1950),
journaliste, historien, critique de théâtre et de cinéma, condamné
à mort lors du procès de Milada Horáková.
[65] Parmi les autres personnes expulsées
alors, nous trouvons également les historiens Karel Pichlík et
Karel Bartošek. Curieusement, Hejda ne demandera à sortir du parti
communiste qu’après les événements de 1968. Son divorce avec le
régime est cependant pratiquement consummé dès alors : ses
activités liées à la revue Tvář par exemple le montre
suffisamment, et notamment son article « Tabous de l’historiographie
tchèque » ([« Tabu v české historiografii »],
in Tvář, n° 4, avril 1969, p. 5-8 (première partie)
et Tvář, n° 5, mai 1969, p. 1-5 (seconde partie).
Pour un tableau de la situation en Tchécoslovaquie dans les années
50 et notamment en ce qui concerne l’année 1956, les événements
en Pologne et en Hongrie, et l’absence d’insurection en Tchécoslovaquie
à ce moment-là, cf. Muriel Blaive, Promarněná příležitost.
Československo a rok 1956 [L’Année 1956 en Tchécoslovaquie],
Prostor, edice Obzor, Prague, 2001.
[66] « Místo toho jsme museli společně
uklidit politicko-výchovnou světnici. Dostali jsme se přitom
do rozhovoru o Kafkovi, o Joyceovi a o takových věcech, pochopili
jsme, že máme mnoho společných zájmů a od té doby jsme
se přátelili. (...) Do jisté míry mne překvapilo,
že člověk orientovaný katolicky, což jsem samozřejmě
nepochopil z toho prvního rozhovoru, že má takový obrovský
přehled o současném umění – tehdy jsem si myslel,
že moderní literatura, či kultura je jednoznačně
spjata s levicovou orientací. » in Petr Placák, « Lecteur
du Mladý hlasatel, fiche d’orientation politique de Zbyněk
Hejda » [« Čtenář Mladého hlasatele, Kádrový
profil Zbyňka Hejdy »], Babylon - Literární a výtvarná
příloha, n° 2, 1999, p.1-2, repris in Petr Placák, Interrogatoire
d’orientation politique [Kádrový dotazník], Babylon,
2001, p. 111.
[67] Jakub Deml (1878-1961), prêtre catholique, en fréquents conflits
avec sa hiérarchie, il est suspendu de ses fonctions en 1907 et
se consacre alors aux traductions de textes religieux latins et
allemands et à la littérature, « écrivant avec une liberté
de ton et une ferveur qui mettent à nu l’inquiétude d’une quête
sans espoir ». (Erika Abrams). Proche à ses débuts du mouvement
des Poètes modernes catholiques (Katolická moderna), puis
du poète et éditeur catholique Josef Florian, il subit l’influence
d’Otokar Březina sur lequel il laissera un témoignage capital.
Poète et prosateur, il publie la plus grande partie de son œuvre
à compte d’auteur, notamment Šlépěje [Traces], une
série de vingt-six cahiers parus entre 1917 et 1941, qu’il qualifie
de « journal intime », puis de « revue » et
qui présentent un enchevêtrement de notations intimes, d’extraits
de correspondance, de coupures de presse, de poèmes et de pièces
en proses tant lyriques que polémiques qui rappellent souvent
la véhémence et la virulence du Journal de Léon Bloy. Hejda
ne connaît de lui alors que les quelques poèmes choisis par Nezval
pour son anthologie de la Poésie moderne [Moderní poezie]
(1958).
[68] Evelyn Waugh (1903-1966), fils d’un critique littéraire et éditeur,
il étudie l’histoire à Oxford où il mène une vie dissolue auprès
d’une jeunesse dorée et aristocratique. En 1930, il se convertit
au catholicisme et rejette la haute société qu’il avait recherchée
et qu’il considère dépourvue de valeur morale. Entre 1935 et 1936,
il devient reporter et couvre la guerre italo-éthiopienne. En
1939, il fait la guerre comme officier dans les Royal Marines,
dans les Royal Horse Guards et comme membre de la mission militaire
britannique en Yougoslavie. Déçu par l’armée, aigri, sans attrait
pour la vie moderne, il n’apprécie guère la politique anglaise
socialiste de l’après-guerre. Ses crises de dépression accompagnées
d’hallucinations ne l’empêchent pas d’écrire jusqu’à la fin de
sa vie. Il meurt le 10 avril 1966. Provocateur, misanthrope, excentrique,
Evelyn Waugh crée des personnages souvent irrationnels et loufoques,
vivant des situations absurdes et son œuvre se caractérise par
un humour noir et féroce. Parmi ses œuvres les plus connues :
Ces corps vils (1930), Une poignée de cendres
(1934), Retour à Brideshead (1945) et la trilogie de guerre
Le glaive de l'honneur (1952-1961).
[69] « Bylo to naprosto pozvolné,
svobodné, protože Jiří se ke mně nechoval jako misionář,
jen říkal své názory. », in Petr Placák, « Lecteur
du Mladý hlasatel, fiche d’orientation politique de Zbyněk
Hejda » [« Čtenář Mladého hlasatele, Kádrový
profil Zbyňka Hejdy »], Babylon - Literární a výtvarná
příloha, n° 2, 1999, p.1-2, repris in Petr Placák, Interrogatoire
d’orientation politique [Kádrový dotazník], Babylon,
2001, p. 119.
[70] « Já myslím že ne. Byl
bych rád křesťan, snad svým způsobem i jsem, ale
o tom je mi vůbec zatěžko hovořit, protože jsem
špatný křesťan. », in Petr Placák, « Lecteur
du Mladý hlasatel, fiche d’orientation politique de Zbyněk
Hejda » [« Čtenář Mladého hlasatele, Kádrový
profil Zbyňka Hejdy »], Babylon - Literární a výtvarná
příloha, n° 2, 1999, p.1-2, repris in Petr Placák, Interrogatoire
d’orientation politique [Kádrový dotazník], Babylon,
2001, p. 118.
[71] Antonín Matěj Píša (1902-1966),
poète, critique littéraire et de théâtre. Dans les années 20,
il est un des principaux porte-paroles du mouvement de la littérature
prolétaire. Il se consacre ensuite à l’essai et à la critique
littéraire dans le journal social-démocrate Právolidu,
qui cessa de paraître en 1948. Enfin, il travaille en tant que
rédacteur dans la maison d’édition Československý spisovatel,
où il prépare notamment les Œuvres complètes (incomplètes)
de son ami Jaroslav Seifert. Ce dernier lui consacre le chapitre
« Rencontre avec une toute jeune poètesse » [« Setkání
s mladičkou básnířkou] » dans son livre Toutes
les beautés du monde [Všecky krásy světa], Sixty-Eight
Publishers, Index, Nadation de la Charte 77, 1981 ; trad.
fr. Milena Braud, Toutes les beautés du monde, Paris,
Belfond, 1991.
[72] Miroslav Florián (1931-1996),
écrivain « officiel », après s’être fait remarquer comme
poète « de la vie quotidienne » dans les années 50.
Également traducteur et auteur de livres pour enfants.
[73] « To jednání bylo dosti
podivné, protože na Florianově chování bylo patrno, že je
mu to všechno velice nepříjemné, protože do značné míry
tlumočí cizí názory, a taky nebylo zřejmé, co je jeho
názor a co byl názor Píšův. » Vratislav Färber, « Pojmenovat
co nejpřesněji » [« Nommer les choses le plus
précisément possible »], Proglas, année 7, 1996, n°
3, p. 45-47.
[74] Notes prises lors de l’entretien
du 21 8 2003.
[75] Mladá fronta, une des maisons
d’édition « officielle ». Fondée en 1945, elle publie
principalement des traductions et des recueils de poésie dans
ses collections Kolumbus, Květy poezie et Moderní světová
próza. Elle publie aussi divers journaux, dont les journaux pour
enfants Sluníčko et Mateřídouška.
[76] Josef Brukner (*1932), auteur
de vers et de scénarios pour enfants.
[77] Vladimír Dostál (1930-1975),
critique littéraire « officiel », directeur de l’Institut
de littérature tchécoslovaque (Ústav československé literatury).
[78] Miroslav Holub (1923-1998),
médecin et chercheur, expert en immunologie, il a fait partie
du groupe de poètes de « la vie quotidienne » réunis
autour de la revue Květen [Mai] (1955-1959).
Sa poésie surprend par sa tonalité sombre et existentialiste.
Il a également publié une suite de reportages sur les États-Unis,
des essais et des traductions de poètes anglo-saxons.
[79] Oldřich Nouza (1903-1974),
graphiste, poète, critique d’art et critique littéraire. A České
Budějovice, une des principales personnalités du groupe d’avant-garde
Linie. Après la guerre, il écrit des poèmes célébrant la révolution
et la fusion des masses, selon le modèle de V. Maïakovski. Il
se rapproche de la poésie de « la vie quotidienne »
dans des textes au ton optimiste.
[80] « Cependant, le rédacteur Oldřich
Nouza, dans une lettre de décembre 1961, écrivit à Hejda :
« A la fin, nous avons trouvé ça dommage pour vos beaux vers
malades. Nous n’avons rien inventé. » » [« Tamnější
redaktor Oldřich Nouza však Hejdovi v dopise z prosince 1961
napsal: « Nakonec nám bylo líto těch krásných, nemocných
veršů. Nic jsme nevymysleli. » »], Michael
Špirit, note éditoriale de Zbyněk Hejda, Poèmes [Básně],
Prague, Torst, 1996, p. 308.
[81] Zbyněk Hejda, Et tout
ici est plein de musique [A tady všude muziky je plno],
Prague, Alois Chvála, 1963. A la même époque, Chvála publie par
exemple Le journal d’Arnošt Jenč [Deník Arnošta
Jenče] et Moi A. J. [Já A. J.] du poète
Ivan Slavík.
[82] Miroslav Červenka (*1932),
Poète, critique, historien de la littérature marqué par le structuralisme
et traducteur de la poésie slovaque et russe. Licencié de l’Institut
de littérature tchèque de l’Académie après 1968, il publie plusieurs
recueils en samidzat. Après la révolution de velours, il enseigne
à la chaire de Langue et littérature tchèque à la Faculté des
lettres de l’Université Charles.
[83] Ivan Diviš (1924-1999). Après sa participation à la Résistance,
publie son premier recueil de poésie en 1947, travaille comme
libraire, puis, dans les années 50, comme ouvrier-tourneur dans
une usine, sans la possibilité de publier. Dans les années 60,
dirige une importante collection de poésie et publie plusieurs
recueils. Censuré et chassé de son emploi après l’invasion soviétique,
il se réfugie à Munich où il travaille en tant que bibliothécaire
pour la radio Europe libre (Svobodná Evropa). En 1989, il regagne
Prague. Sa poésie, sombre et vaguement existentialiste, proche
en ce sens de celle de Vladimír Holan, a parfois choqué par son
large usage de vulgarismes.
[84] Zbyněk Hejda, Toute
volupté [Všechna slast], Prague, Mladá fronta, 1964.
[85] « Qu’est-ce qui vous est
proche dans la jeune poésie tchèque?¶¶J’aime bien Résidence
d’hiver de Wernisch /ČS/, dans Mladé cesty, j’aime toujours
Toute volupté de Hejda, quelques vers des Millions de
Arlequin de Federer, et dans ce qui se prépare, presque tout
de Deux sur trois de Rudolf Matys. » [« Co je
vám blízké v mladé české poesii?¶¶Líbí se mi Wernischův
Zimohrádek /ČS/, v Mladých cestách pořád Hejdova
Všechna slast, pár veršů z Federerových Harlekýnových
miliónů a z toho, co se připravuje, téměř
vše z Rudolfa Matyse Tři ze dvou. »], in Červený
květ, année 11, n° 2, février 1966, p. 54. Diviš dirigera
aussi plusieurs émissions consacrées aux recueils Proximités
de la mort et Lady Feltham, en 1992 et 1993, pour la
radio Europe libre (Svobodná Evropa).
[86] Vladimír Holan, Prostě,
bibliophilie, 1954.
[87] « A pozdravujte mi v tý
Praze Vladimíra Holana. Von to bral tak jakoby ta Praha byla Tasov.
Že jako, toho Holana někde potkáme a budeme ho pozdravovat.
No ale mi jsme toho využili k tomu, že se mu zavolalo a že
máme pro něj vzkaz od Jakuba Demla. » Entretien enregistré
le 22. 8. 2003.
[88] Vladimír Justl, « Zpráva
o knihovně Vladimíra Holana a pokus o částečný
pohled na jeho četbu », in Œuvres complètes de Vladimír
Holan, volume 11, « Bagatelles », Prague, Odeon,
1988, p. 469.
[89] « Une fois, j’ai passé
une nuit entière en présence d’un poète que je vénère « à
genoux », en ce poète, chez qui j’ai passé toute une soirée,
avec lequel j’ai ensuite sur les quais, devant le Théâtre national,
puis chez mon ami que j’aime tant, en ce po-te, je vénère le plus
grand poète, mais parce qu’il vit encore, je ne vais pas le nommer
pour ne pas qu’on ait l’impression que je veux obtenir ses bonnes
faveurs. C’est important, pour moi, que l’on n’ait pas l’impression… !
(Au sujet de Jakub Deml, mort, je peux dire déjà que sa lumière
oubliée brille pour moi comme une étoile.) » [« Jednou jsem
celou noc pobyl v přítomnosti básníka, kterého ctím « na
kolenou », já v tom básníku, u něhož jsem byl celý večer
a potom v noci s ním na nábřeží před Národním divadlem
a u svého přítele, kterého miluju, já v tom básníku ctím
největšího básníka, ale protože žije, nebudu ho jmenovat,
aby se nezdálo, že se chci vloudit, do jeho přízně.
Mně záleží na tom, aby se nezdálo…! (O mrtvém Jakubu
Demlovi mohu už napsat, že mi jeho zapomenuté světlo svítí
jako hvězda.) »], Zbyněk Hejda, Je n’y croiserai
personne [Nikoho tam nepotkám], Zlín, Archa,
1994, p. 11. Cf. le commentaire de ce texte en 3.1.
[90] « A ať jich koupím,
co nejvíc. Tak jsem jich nacpal do tašek, těch teologickejch
ročenek, strašnou spoustu, a teď jsme se vraceli tím
autobusem. Tam jsme strávili den, že jo, v těch Drážďanech,
a všechny ty ženský kupovaly záclony, to se tenkrát kupovalo,
co bylo lacinější v tom Východním Německu a bylo
dost pěkný, tak se kupovalo. Kvůli tomu se tam vlastně
jelo. Teď já vím, že na hranicích se ten celník ptal, co
kdo má, a teď voni se buď přiznávali nebo nepřiznávali,
a teď přišel ke mně a von říka, co vy máte,
a já jsem říkal, knihy, a jaký knihy, prosím Vás, a já jsem
říkal, teologický. A teď se všichni začli strašně
smát, jakože to je dobrej fór. A von se taky smál ten celník a
už bylo po prohlídce. » Entretien enregistré le 22. 8. 2003.
[91] Albert Camus, Caligula,
Gallimard, 1958. Première au Théâtre Hébertot dans la mise en
scène de Paul Oettly en 1945, avec Gérard Philipe.
[92] Au théâtre Na Poříčí.
[93]Jiří Weil (1900-1959). Issu d’une famille juive de la campagne.
Journaliste dans la presse communiste tchécoslovaque, de 1922
à 1931, il travaille à l’ambassade soviétique à Prague, puis devient
traducteur des classiques marxistes-léninistes aux éditions du
Komintern à Moscou. En 1935, victime des purges, il est envoyé
en camp de « rééducation » au Kazakhstan. De retour
en Tchécoslovaquie, il porte un témoignage sévère sur ses expériences
soviétiques dans un livre de reportage et dans deux romans (le
second, La cuiller en bois [Dřevěná lžíce]
(1938) est l’un des premiers livres consacrés au « goulag »).
Sous l’occupation nazie, il échappe à la déportation et vit dans
la clandestinité. En 1949, il publie son chef-d’œuvre Vivre
avec une étoile [Život s hvězdou]. « D’inspiration
autobiographique, ce roman raconte l’histoire d’un homme que son
origine et l’étoile de son manteau excluent du monde des hommes
et qui, comme le héros du Procès de Kafka, attend le verdict
dans la crainte et la misère : résignation face à la mort
dont le tirera seule la découverte de la solidarité humaine. »
(Xavier Galmiche). Après la prise du pouvoir par les communiste
en 1948, il est exclu de l’Union des écrivains pour ses ouvrages
d’avant-guerre et interdit de publication. Il travaille au Musée
juif de Prague ; les documents sur le génocide des Juifs
tchèques lui inspirent un impressionnant collage littéraire, Complainte
pour 77297 victimes [Žalozpěv za 77297 obětí],
qui ne paraîtra qu’après sa réhabilitation en 1958, ainsi que
le thème de son dernier livre achevé, Mendelssohn est sur le
toit (posth., 1960).
[94] Jiří Šotola
(1924-1989). Co-fondateur de la revue Květen [Mai]
(1955-1959), où il apparaît comme le principal théoricien et illustrateur
de la « poésie de la vie quotidienne ». Directeur (1964-1967)
de Literární Noviny, l’hebdomadaire de l’Union des écrivains,
il participe activement au Printemps de Prague, puis, après quelques
années d’interdiction, se livre à son autocritique et publie des
romans historiques, sans toutefois se mettre au service de la
« normalisation » en vigueur. Acteur, auteur et metteur
en scène de théâtre, il a aussi travaillé pour la télévision et
le cinéma.
[95] Jiří Hájek (1919-1994),
poète « officiel » et journaliste. Rédacteur au Rudé
právo, à Tvorba. A partir de 1977, professeur à la chaire d’Histoire
de l’art de la Faculté des lettres de l’Université Charles.
[96] Cf. notamment Michael Špirit,
« Tvář – tentative de reconstruction historique »
[« Tvář – Pokus o historickou rekonstrukci »],
in Tvář, ed. Michael Špirit, Prague, Torst, 1995,
p. 671-735.
[97] Jan Lopatka (1940-1993), critique littéraire. Il publie dans
Česká literatura, Divadlo, Slovenské pohľady,
avant de prendre part à l’aventure de la revue Tvář.
Il n’hésite pas à critiquer sans trop de scrupules la production
littéraire généralement acceptée : ainsi, dans son essai
« La littérature des fonctions spéciales » [« Literatura
speciálních funkcí »], il compare La Plaisanterie
[Žert] de Milan Kundera avec le genre un peu dégradé des
histoires commentées de Pitigrilli. Il est interdit de publication
après 1970. Il fonde alors la revue samizdat Kritický sborník
et dirige la rédaction d’un important Dictionnaire des écrivains
tchèques [Slovníku českých spisovatelů] (Toronto
1982) comprenant notamment les auteurs clandestins. Il prépare
les éditions samizdat des œuvres d’auteurs tels que Egon Bondy,
Jan Hanč, Ladislav Dvořák. Après 1989, il est rédacteur
du journal Literární noviny. Sujet à de fréquentes crises
de dépression, il se donne la mort en 1993. Toute sa vie, il a
travaillé à l’élaboration d’une conception personnelle de la littérature
en tant qu’aveu authentique créé à l’intérieur de stéréotypes
stylistiques et de doctrines idéologiques. « Le thème principal
de Lopatka n’est rien d’autre et rien moins que la question de
savoir qu’est-ce que la littérature, vraiment. » (Václav
Havel)
[98] Emanuel Mandler (*1932), journaliste
et politicien. Travaille successivement pour les revues Dějepis
ve škole, Ďějiny a současnost et Tvář.
En 1987, il fonde, avec Bohumil Doležal Doležal et Karel Štyndl,
l’association Demokratická iniciativa. En 1990, il devient membre
du parti Občanské fórum. Il quitte la scène politique en
1992 et publie régulièrement dans diverses revues et divers journaux,
notamment dans Lidové noviny.
[99] Ladislav Klíma (1978-1928).
Mis au ban à seize ans de tous les établissements de l’Empire
autrichien, il vit, tour à tour, comme rentier, conducteur de
machine à vapeur, gardien d’une usine hors service, fabricant
d’un ersatz de tabac, dramaturge et journaliste. Philosophe du
vécu, solipsiste convaincu, il pousse la pensée de Schopenhauer
et de Nietzsche au-delà de ses plus extrêmes limites, publie trois
volumes de fragments théoriques et laisse, en mourant – ignoré
de la plupart de ses compatriotes, sujet de scandale pour d’autres,
auteur culte pour un petit nombre –, une immense œuvre manuscrite,
aussi bien romanesque que philosophique. Par exemple : Jiří
Němec, « Le cas Klíma » [« Klímův případ »],
Tvář, n° 2, février 1965, p. 4-8 ; dans le n°
3 de mars 1965, p.24-29, on trouve aussi un choix de citations
et d’aphorismes, également effectué par Jiří Němec.
[100] Par exemple, le chapitre
« Le dernier gîte » [« Nocleh poslední »]
du livre inédit Pèlerinage à la Montagne sainte [Pouť
na svatou horu], Tvář, n° 1, novembre 1968, p.
26-30.
[101] Jaroslav Durych (1886-1962).
Médecin militaire dans l’armée austro-hongroise pendant la Grande
Guerre, après l’armistice, il ouvre un cabinet de dentiste en
Moravie, mais ne tarde pas à réintégrer l’armée tchécoslovaque
jusqu’en 1939. Parallèlement, il s’affirme comme l’un des principaux
écrivains catholiques de l’entre-deux-guerres, non seulement par
sa foi, sa pensée – qualifiée parfois de « baroque »
– et par sa conception de l’histoire tchèque, mais surtout par
son génie d’expression et de construction littéraires. Directeur
ou membre de la rédaction des revues catholiques Rozmach
(1923-1927), Akord (1928-1932) et Obnova (1937-1940),
il est l’auteur d’essais, de drames, de mémoires, de récits de
voyages, de poèmes en prose et en vers, de nouvelles, mais surtout
de romans historiques parmi lesquels le plus marquant est sans
doute la trilogie Bloudění [Errance] (1929), vaste
fresque historique de la guerre de trente ans, centrée sur le
personnage d’Albrecht von Wallenstein. Cette composition est complétée
par le recueil de trois nouvelles Requiem (1930). Mis à
l’index par le régime de 1948, plusieurs de ses œuvres reparaissent
ou sont publiés pendant le « dégel » des années 1966-1968,
notamment son roman L’Arc de Dieu, écrit en 1955 et resté
inédit jusque là. Par exemple : La Femme [Žena],Tvář,
n° 6, juin 1965, p. 11-13.
[102] Richard Weiner (1884-1937).
Juif, homosexuel, se sentant étranger partout, il s’expatrie dès
1909 en Allemagne, puis à Paris en 1912. Il subit le traumatisme
de la Première Guerre mondiale en Serbie, retourne à Prague, puis
de nouveau vit à Paris de 1919 à 1937 comme correspondant d’un
grand quotidien de Brno et se lie pour un temps avec les membres
du groupe Le Grand Jeu (René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Roger
Vailland). « Point de rencontre unique entre la France et
l’Europe centrale, son œuvre poétique et narrative marie l’onirisme
du Grand Jeu à une hantise de la faute, un propos de subversion
langagière et une luxuriance stylistique toute expressionniste
dans des textes d’une extrême exigence, à mi-chemin de la mystification
et de la vivisection, comparés souvent aux récits de Kafka. »
(Anne Sala). Par exemple : Zbyněk Hejda, « Une
note sur Richard Weiner » [« Poznámka o Richardu Weinerovi »],
Tvář, année 2, n° 6, 1965, p. 29-30.
[103] Jan Hanč (1916-1963).
Athlète renommé puis entraineur. Membre du Groupe 42, il n’a publié
de son vivant qu’une seule plaquette Události [Événements]
(1948), titre des treize cahiers d’un singulier journal poétique
publié à titre posthume à Toronto en 1984, et dont Tvář
publie plusieurs extraits (notamment dans le n° 8 de octobre 1965,
p. 1-4, et dans le n° 1 de novembre 1968, p. 1-5).
[104] Par exemple : « Pensées
et méditation » [« Úvahy a meditace »], traduit
par Rio Preisner, Tvář, n° 7, septembre 1964, p. 6-9.
[105] Par exemple, les extraits
de sa correspondance avec Rudolf Bodländer, dans le n°9-10 de
décembre 1964, p. 52-53.
[106] On trouve un choix de ses
poèmes, traduit par Rio Preisner, Josef Suchý et Jindřich
Pokorný, ainsi qu’un médaillon à son sujet, dans le n° 2 de février
1965, p. 24-25. Hejda publie ses traductions dans le n° 1 de janvier
1969, p. 28-31.
[107] Par exemple, le choix de
poèmes traduit par Hejda et l’étude de Vladimír Kafka dans le
n° 6 de juin 1965, p. 1-10.
[108] Par exemple : « The
Dry Salvages », traduit par Rio Preisner, Tvář,
n° 4, avril 1965, p. 1-4.
[109] Par exemple : « Pensées
sur l’écriture » [« Úvahy o psaní »] (extrait du
livre The Wisdom of the Heart), Tvář, n° 6,
juin 1965, p. 17-20.
[110] Par exemple : « Chants
épiques, II et VII » [« Epické zpěvy, II, a VII »],
traduits par Ivan Slavík et Aloys Skoumal Tvář, n°
7, septembre 1965, p. 1-4.
[111] Par exemple : « Le
doute – principe de la philosophie » [« Pochybnost –
princip filosofie »], traduit par Josef Forbelský et Jiří
Němec, Tvář, n° 8, octobre 1965, p. 6-9.
[112] Par exemple : « Patmos »,
traduit par Rio Preisner, Tvář, n° 8, octobre 1965,
p. 10-12.
[113] Par exemple : « Paroles
et musique » [« Slovo a hudba »], Tvář,
n° 1, novembre 1968, p. 12-15.
[114] Par exemple : « Un
certain Plume » [« Jistý Plume »], Tvář,
n° 1, janvier 1969, p. 43-48.
[115] Par exemple, le choix de
poèmes traduit par Věra Linhartová publié dans le n° 2 de
février 1969, p. 16-17.
[116] Par exemple : « Nouveau
roman – nouvel homme » [« Nový román – nový člověk »],
Tvář, n° 4, avril 1965, p. 31-33.
[117] On trouve un choix de ses
textes dans le n° 5 de mai 1965, p. 10-11, on trouve également
un extrait de « L’art Concret » dans le n° 5 de mai
1965, p. 37-38.
[118] Par exemple : « Comment
comprendre et utiliser l’Art dans la ligne de l’Énergie humaine »
[« Jak pochopit a využít umění vzhledem k zaměření
lidské energie »], traduit par Jiří Němec, Tvář,
n° 5, mai 1965, p. 15-16.
[119] Par exemple : « Hölderlin
et la substance de la poésie » [« Hölderlin a podstata
poesie »], traduit par V. Böhmová-Linhartová et J. Patočka,
Tvář, n° 1, janvier 1965, p. 18-23 ; ou encore
« Qu’est-ce que l’homme ? » [« Co je člověk? »],
traduit par Jiří Němec, Tvář, n° 6, juin
1965, p. 28-29.
[120] Par exemple, divers extraits
de son livre La vie secrète de Salvador Dalí [Skrytý
život Salvadora Dalího], Tvář, n° 2, décembre, décembre
1968, p. 15-22 ; Tvář, n° 2, février 1969, p.
1-5.
[121] Par exemple, le choix d’extraits
de ses journaux intimes, dans le n° 10 de décembre 1965, p. 14-19.
[122] Par exemple : « Eric
Satie », Tvář, n° 9-10, décembre 1964, p. 61-63.
[123] Tvář, n° 8, octobre
1965.
[124] Václav Havel (*1936), dramaturge,
dissident, puis, président de la république. Dès 1956, il publie
articles et études sur la poésie et le théâtre. En 1960, il entre
au théâtre Na zábradlí où il fait plusieurs métiers (machiniste,
assistant), avant de devenir dramaturge. « La conjoncture, apparemment
désavantageuse, d’une naissance bourgeoise au sein d’une société
communiste m’a fait voir d’emblée le monde pour ainsi dire « d’en
bas », c’est-à-dire tel qu’il est, ce qui m’a prémuni contre
les illusions et les mythes. (...) Ma vision « d’en bas »,
l’expérience de Kafka et du théâtre français de l’absurde (surtout
lonesco), un penchant à pousser le raisonnement ad absurdum
m’ont révélé dans cette situation sans précédent un milieu propre
à féconder mon écriture. » (Préface à l’édition de ses trois pièces
en un acte, 1980.) Il fait partie de la rédaction de la revue
culturelle Tvář, de 1965 jusqu’à son interdiction
en 1969. Après l’invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968,
il se voit interdire toute activité artistique et travaille comme
ouvrier, tout en se consacrant à l’écriture et aux activités civiques.
Il fonde plusieurs collections en samizdat et participe à la création
clandestine du théâtre Divadlo na tahu. Président du Cercle des
écrivains indépendants, actif au Club des sans-parti engagés,
auteur d’une retentissante « Lettre ouverte au président
Husák » (1975), co-fondateur de la Charte 77, dont il est
l’un des trois premiers porte-parole, puis du Comité pour la défense
des personnes injustement poursuivies – ce qui est la cause de
son procès –, auteur d’essais, il refuse de quitter son pays et
passe cinq ans en prison entre 1977 et 1989. Leader incontesté
de l’opposition, à la suite de la « révolution de velours », il
est élu, en décembre 1989, président de la République tchécoslovaque.
[125] Ivan Wernisch (*1942). Reconnu
dès ses débuts en 1961 comme un poète important, il publie cinq
recueils jusqu’en 1970. Dissident actif pendant les années de
normalisation, il est interdit de publication et privé de son
travail de journaliste. Il gagne sa vie en exerçant des professions
très différentes, traduit des poètes latins, allemands et russes
et sous le pseudonyme de Václav Rozehnal publie six volumes en
samizdat. Après 1989, il collabore au journal Literárni noviny
et fait paraître des poèmes, des aphorismes, des proses burlesques,
des pièces en un acte et une anthologie où figurent près de huit
cents poètes tchèques de 1850 à 1940 « oubliés, négligés
ou méprisés ».
[126] « (…) což vyjádřil
v nějakém úvodníku v « Literárkách » obrazem,
že oni táhnou klavír do třetího poschodí a nezodpovědní
kluci jim házejí klacky pod nohy », in Petr Placák, « Lecteur
du Mladý hlasatel, fiche d’orientation politique de Zbyněk
Hejda » [« Čtenář Mladého hlasatele, Kádrový
profil Zbyňka Hejdy »], Babylon - Literární a výtvarná
příloha, n° 2, 1999, p.1-2, repris in Petr Placák, Interrogatoire
d’orientation politique [Kádrový dotazník], Babylon,
2001, p. 112.
[127] « Za redakci mi posílal
zprávy/Honza Nedvěd zrovna/se ústřední výbor spisovatelů/usnášel
zrušit Tvář (…) », in « Séjour au sanatorium »
[« Pobyt v sanatoriu »], Zbyněk Hejda, Poèmes
[Básně], Prague, Torst, 1996, p. 242.
[128] Bohumil Doležal (ed.), Podoby
(Literární sborník), Praha, Československý spisovatel,
1967, 228 p., 1600 exemplaires ; Václav Havel (ed.), Podoby
II (Literární sborník), Praha, Československý
spisovatel, 1969, 192 p., 1500 exemplaires. Hejda y publie deux
choix de poèmes et l’article « Au sujet de l’avant-garde
et de l’idéologie » [« K tématu avantgarda a ideologie »]
(Podoby II, ČS, 1969, p. 137-143).
[129] Václav Havel, Jan Nedvěd
(ed.), Sešity pro mladou literaturu, année 3, n° 21, 1968,
p. 3-39 (sur 64 pages en tout). Hejda y publie l’article « Le
retour de Zahradníček ? » [« Zahradníčkův
návrat? »] (p.13-14).
[130] Zbyněk Hejda, « Tiré
des vieilles chroniques » [« Ze starých kronik »]
(choix d’extraits de la chronique de Cosmas et des Staré letopisy
české et introduction, signé « zh »), Tvář,
année 3, n° 2, décembre 1968, p. 26-30.
[131] Zbyněk Hejda, « Missions »
[« Misijní cesty »] (choix de textes baroques et introduction,
signé « zh »), Tvář, n° 5, mai 1969, p.
49-54.
[132] Josef Václav
Frič, (1829-1890). Poète, dramaturge, journaliste et révolutionnaire.
Après l’échec de l’insurrection praguoise de 1848, il passe de
nombreuses années en prison ou en exil (Londres, Paris, Rome).
Avec Louis Léger et sous son nom francisé en Joseph Fricz, il
a publié à Paris La Bohême historique, pittoresque et littéraire,
Librairie internationale, 1867. Zbyněk Hejda, « Tiré
des mémoires d’un révolutionnaire » [« Z pamětí
revolucionáře »] (choix d’extraits des Mémoires
de Josef Václav Frič et introduction, signé « zh »],
Tvář, n° 1, janvier 1969, p. 15-19.
[133] « Tabous de l’historiographie tchèque » [« Tabu
v české historiografii »] (première partie), Tvář,
n° 4, avril 1969, p. 5-8 ; « Tabous de l’historiographie
tchèque » [« Tabu v české historiografii »]
(seconde partie), Tvář, n° 5, mai 1969, p. 1-5. Cf.
la note 71.
[134] Ladislav Dvořák (1920-1983),
poète, prosateur et journaliste. Tour à tour ouvrier, rédacteur
(notamment de la revue Tvář), serrurier et bibliothécaire,
il est interdit de publication après sa signature de la Charte,
en 1977. Auteur de textes sombres, aux accents existentiels (La
Fuite de Caïn [Kainův útěk], 1958, Sabres
épées [Šavle meče], 1986).
[135] Milan Churaň (*1931),
hitorien et journaliste.
[136] Josef Vyleťal (1940-1989),
peintre, graphiste, illustrateur.
[137] Rudé právo, journal officiel du Comité central du PCT.
[138] Le Foie de Prométhée
[Prometheova játra], écrit en 1950, a une histoire éditoriale
particulièrement mouvementée : sachant qu’il ne pourrait
faire paraître son recueil dans les années 50, Kolář en fait
circuler le manuscrit parmi ses amis. En 1952, la police le découvre
lors d’une fouille dans l’appartement de Václav Černý et
n’a pas trop de mal à en identifier l’auteur – dans la troisième
partie du poème L’Âge de religion, on peut lire : « je/m’appelle
Kolář, je peux vous en persuader ! » Kolář
est emprisonné sur le champ. Après la mort de Staline, il aura
droit a un procès le condamnant rétroactivement à la période de
temps qu’il a passé en prison. Il est relâché en 1953. En 1968,
Československý spisovatel envisage de publier Le Foie
de Prométhée dans sa collection Tangens, dirigée par Josef
Vohryzek. Après l’invasion du pays, Kolář effectue quelques
coupes dans son texte dans l’espoir que sera publiée au moins
cette version « édulcorée ». En 1970, le livre, prêt
à paraître, est mis au rebut. Il sera enfin publié par Sixty-Eight
Publishers Corporations en 1985, à Toronto, à partir de la version
de 1970. C’est aussi cette version qui paraît chez Československý
spisovatel en 1990. En 1985, Erika Abrams en publie une traduction
française aux éditions de La Différence. La texte original paraît
enfin en 2000 chez Paseka, dans le cadre des Œuvres complètes
de Jiří Kolář.
[139] « Báseň, jejíž
začátek se ztratil », Valse mélancolique [Valse
mélancolique], in Zbyněk Hejda, Poèmes [Básně],
Prague, Torst, 1996, p. 267-270 Cf. la traduction de ce poème
en annexe.
[140] « Šéf antikvariátu pan
doktor Manžel mi vyložil, že se všichni dohodli na tom před
komisí říkat, že sice mám ještě citové problémy se vyrovnat
se vstupem vojsk, ale z rozumového hlediska to chápu. »,
in Petr Placák, « Lecteur du Mladý hlasatel, fiche d’orientation
politique de Zbyněk Hejda » [« Čtenář
Mladého hlasatele, Kádrový profil Zbyňka Hejdy »], Babylon
- Literární a výtvarná příloha, n° 2, 1999, p. 1-2, repris
in Petr Placák, Interrogatoire d’orientation politique
[Kádrový dotazník], Babylon, 2001, p. 96-119.
[141] Andrej Stankovič (1940-2001,
communément surnommé Nikolaj), poète et critique de cinéma. Tour
à tour ouvrier, bibliothécaire, gardien de nuit, rédacteur et
concierge. Il collabore à la revue Tvář. En 1977,
il signe la Charte, puis travaille au sein du Comité pour la défense
des personnes injustement poursuivies. Avec Václav Malý, il est
le rédacteur des Infoch. Après 1989, il devient bibliothécaire
du Secrétariat du président de la république. Le ton prédominant
dans sa poésie pleine de d’invention espiègle est le sarcasme
et l’ironie. Il est également l’auteur de l’important ouvrage
sur Josef Florian : On a dérobé le pauvre [Okradli
chudého], Olomouc, Votobia, 1998.
[142] Ferdinand Peroutka (1898-1978),
journaliste, écrivain, éditeur. Une des grandes figures de la
première République tchécoslovaque, il commence sa carrière de
journaliste lors de son premier exil en Allemagne, où il s’enfuit
à cause du service militaire dans l’armée austro-hongroise. De
retour en République tchécoslovaque, il publie notamment dans
le journal Tribuna. En 1923, il est remarqué par le président
de la république, Tomáš Garrigue Masaryk, qui lui offre un million
de couronnes pour promouvoir la parution d’un hebdomadaire indépendant.
Celui-ci va s’appeler Přítomnost. Peroutka
en sera le rédacteur en chef jusqu’en 1939, date à laquelle il
est arrêté par la Gestapo et interné pour toute la durée de la
guerre à Buchenwald, puis à Dachau. Après la guerre, il critique
fortement l’expulsion des Allemands des Sudètes et le pillage
des villages frontaliers, ainsi que la montée progressive au pouvoir
des communistes. Après février 1948, il s’exile en Allemagne,
puis en France, et enfin, aux Etats-Unis. Il y participe à la
fondation la radio Europe libre et devient le premier directeur
de ses émissions en langues tchèque et slovaque. Le régime tentera
tentera de le faire assassiner à plusieurs reprises.
[143] « (...) já jsem knihy
u pultu nikdy nekupoval. Zpočátku jsem maximálně kupoval
celé knihovny – to se koupilo prostě všechno. A ten postup
byl takový, že když se koupila velká knihovna, kde byly knihy
hodné vyřazení, záleželo na vedení antikvariátu, co z toho
vyřadí, protože jenom vedení bylo seznámeno se seznamem knih,
které se nesmějí prodávat. Ten systém byl ovšem dost důmyslný,
protože vedoucí byl s knihami a autory, které se nesmí prodávat,
seznámen tak, že mu to bylo jen přečteno. Čímž
se spoléhalo na to, že antikvář, který si nebude úplně
jist svou pamětí, bude spíše vyřazovat více méně.
Výběr těch zakázaných knih, to byla trochu záhada, protože
třeba Durych se prodával vždycky volně, i v sedmdesátých
letech, k dispozici byl i Deml, celá produkce staroříšská.
Ale jak už jsem říkal, třeba detektivka, kam napsal
doslov Josef Škvorecký, se měla vyřadit – čili
ten výběr byl samozřejmě nesmyslný, a díky tomu
se v antikvariátech daly získat skvělé věci.¶Ještě
k tomu nákupu u pultu. Byl jsem třeba svědkem toho,
jak můj spolupracovník, pan Svoboda, říkal člověku,
který mu nabízel knihu, o které pan Svoboda věděl, že
ji bude muset vyřadit, že to je škoda prodávat do antikvariátu
(byly to kompletní ročníky Peroutkovy Přítomnosti).
Prostě je nekoupil, protože by je býval byl povinen dát do
zakázaných knih, kde by se dočkaly sešrotování. A tomu zákazníkovi
slíbil, že se zkusí zeptat, jestli by měl někdo zájem,
a vzal si od něj adresu. Já jsem pak zájemce rychle sehnal
a Přítomnosti byly zachráněny.¶My jsme v místnosti,
kde byly zakázané knihy uloženy, sice neměli šmejdit, ale
když nebylo přítomno vedení, tak se tam člověk
vloudil a vždycky si buď pro sebe nebo pro přátele nějakou
z těch knih – i když jich tam nebývalo mnoho – prostě
osvojil. Ale jednou za čas přicházel pracovník ředitelství
a ty knihy odvážel k sešrotování. », in Zuzana Děťáková,
« Un emploi de remplacement : bouquiniste » [« Náhradní
povolání antikvář »], Revolver Revue, n° 33,
1997, p. 189.
[144] Association pour la défense
des droits de l’homme fondée en 1977 (d’où son nom) en réaction
à l’arrestation arbitraire, en 1976, des membres du groupe de
rock « underground » Plastic People of the Universe.
Le texte de la Charte stipule que cette arrestation est en opposition
avec les termes du « Pacte international sur les droits des
citoyens et les droits politiques » rédigé en 1975 à Helsinki
et également signé par la Tchécoslovaquie. Le premier document
de l’association est signé par 242 personnes, dont, entre autres,
le poète Jaroslav Seifert, le critique littéraire Václav Černý,
le philosophe Jan Patočka, les écrivains Václav Havel, Ivan
Klíma, Pavel Kohout, etc. Le nombre de signatures ne cessera de
croitre : à la fin de 1977, ils sont déjà plus de 800, et
ce malgré les dures persécutions des signataires. Nombre d’entre
eux (300 à 400 personnes) sera forcé d’émigrer, quelques-uns,
face à la tournure drastique que prenaient les choses, finirent
par renier leur signature. Le but de la Charte était de mener
un dialogue constructif avec l’état : elle signalait les
cas d’infraction aux droits de l’homme, tenait leur documentation
et proposait leur solution. La Charte était officiellement représentée
par trois porte-paroles (un intellectuel, un représentant de la
communauté chrétienne et un ancien membre du PCT), nommés pour
la durée d’un an. Chaque année, la Charte publie une série de
documents portant sur divers problèmes d’importance, traitant
de discriminations dans les écoles ou au travail, de la liberté
de religion, de la liberté de voyage, de problèmes écologiques,
économiques, scientifiques ou culturels. A plusieurs reprises,
la Charte demande l’amnistie pour certains prisonniers politiques.
A partir de 1978, un groupe indépendant de signataires commence
à publier le journal Informations sur la Charte 77 [Informace
o Chartě 77] (communément appellé Infoch)
dans lequel se trouvent les différents documents de la Charte,
les annonces du Comité pour la défense des personnes injustement
poursuivies et des informations au sujet des nouvelles publications
samizdat. Malgré toutes les persécutions, son isolation et son
rayon d’action limité, la Charte 77 est devenu le principal pilier
de l’opposition contre le régime totalitaire. Elle a cessé ses
activités en 1992.
[145] « Když jsem podepsal
Chartu, tak jsem přišel večer domů a večer
jsem se Suzettě svěřoval, že už bohužel nikdy nepojedu
do Francie, že jí musím sdělit, že jsem podepsal takovej
dokument, kterej pravděpodobně nezpůsobí, že mě
zavřou, ale určitě způsobí, že mě vyhoděj
ze zaměstnání (…) a že už nikdy nepojedu do Francie. »
Entretien enregistré le 22. 8. 2003.
[146] « (…) když se vyptávali,
o co se zajímám a čím se zabývám, a ta otázka byla evidentně
mířena k nějakému politickému tématu, říkal jsem,
že se zabývám výhradně poesií. Neby když se ptali, o čem
třeba mluvíme se Sergejem Machoninem, moje stereotypní odpověď
byla, že o dětech, protože máme děti asi tak stejně
staré, to že je náš hlavní zájem, a pak někdy taky trochu
mluvíme o poesii. », in « Je ne pense pas que le lecteur
puisse ne pas se passer de mes vers » [« Nemyslím, že
čtenář by se bez mých veršů neobešel »], Revolver
Revue, n° 35, 1997, p. 111.
[147] « (...) [jednou byl]
dotázán i na spisovatelku Evu Kantůrkovou, se kterou se v
té době sice již znal, ale velmi málo, a tak odpověděl,
že ji osobně nezná. Příslušníci StB proto doprotokolu
zapsali, že « Kantůrkovou nezná ». Na to se však
Zbyněk Hejda ohradil, že jeho výpověď špatně
zaznamenali, neboť on hovořil o « paní Kantůrkové ».
Začal proto vyžadovat opravu protokolu, aby si o něm
paní Kantůrková nemyslela, že je nějaký nezdvořák,
pokud by si někdy protokol četla. Po krátkém dohadování
mu nakonec příslušníci skutečně dovolili, aby si
slůvko « paní » do protokolu dopsal. », in
Kateřina Čamrová, La vie et l’œuvre de Zbyněk
Hejda [Život a dílo Zbyňka Hejdy], Jihlava, 2003,
p. 31.
[148] Proximités de la mort
[Blízkosti smrti], Prague, KDM [Kde domov můj], 1978
(samizdat). Le titre du recueil fait ouvertement référence au
poème « Proximité de la mort » [« Nähe des Todes »]
des Chants du rosaire [Rozenkranzlieder] de Georg
Trakl (1913).
[149] Lady Feltham [Lady
Felthamová], Prague, KDM, 1979 (samizdat).
[150] Séjour au sanatorium
[Pobyt v sanatoriu], Prague, KDM, Kruh, Revolver Revue,
1993.
[151] « Seules, les canalisations/vibrent
encore, elles,/car, heureusement, il y a, paraît-il/assez de souris. »
[« Jen kanály,/ty že se ještě chvějí,/neb myší
prý/je bohudíky dost. »], in « La Ruée des souris »
[« Myší horečka »], Et tout ici est plein de
musique [A tady všude muziky je plno], in Zbyněk
Hejda, Poèmes [Básně], Prague, Torst, 1996,
p. 104.
[152] Zbyněk Hejda, Et
tout ici est plein de musique [A tady všude muziky je plno],
Prague, Alois Chvála, 1963.
[153] Ludvík Vaculík (*1926). Ouvrier
dans les usines Baťa pendant la guerre, il étudie ensuite
les sciences politiques et le journalisme. En 1953, il entre à
Rudé právo, quotidien du parti communiste, travaille de
1958 à 1965 à la Radio tchécoslovaque, avant de rejoindre l’hebdomadaire
culturel Literární noviny. En juillet 1968, à la veille
de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de
Varsovie, il publie le manifeste « Deux mille mots » qui connaît
un grand retentissement. Dans les années 70 et 80, Vaculík est
un pilier de la dissidence tchèque, participant très activement
à la diffusion de la culture non-officielle : il lance notamment
(à partir de 1972) la collection de samizdat Petlice, publiant
près de 400 livres. Cette période lui a inspiré des feuilletons
et des chroniques ainsi que son « roman-carnet intime » La
Clef des songes [Český snář] (Toronto, 68
Publishers, 1983).
[154] Ivan Martin Jirous (*1944).
Connu sous le nom de Magor [Dingo/toqué]. Poète, théoricien et
critique d’art, leader du groupe de rock Plastic People of the
Univers et figure légendaire de l’underground tchèque des années
de normalisation. Signataire de la Charte 77, plusieurs fois arrêté,
il a passé presque neuf ans en prison de 1972 à 1989. « Provocateur,
ivrogne, hurleur, Jirous est tout autant un homme intègre (voire
un moraliste), un amoureux de l’art et de la vie et un poète inspiré. »
(Petr Král). Il apparaît dans le poème « Poème dont le début
s’est perdu » [« Báseň, jejíž začátek se ztratil »],
Valse mélancolique [Valse mélancolique], in Zbyněk
Hejda, Poèmes [Básně], Prague, Torst, 1996,
p.269-270. Cf. sa traduction française en annexe.
[155] Le but du VONS (créé le 27
avril 1978) était de suivre les destins des personnes emprisonnées
ou poursuivies pour leur croyance ou qui ont été les victimes
d’injustices policiaires ou judiciaires et d’en informer l’opinion
publique. Ses membres fondateurs sont : Rudolf Battěk,
Otta Bednářová, Jarmila Bělíková, Václav Benda, Jiří
Dienstbier, Václav Havel, Přemysl Janýr, Elzbieta Ledererová,
Václav Malý, Ivan Medek, Dana Němcová, Ludvík Pacovský, Jiří
Ruml, Gertruda Sekaninová-Čakrtová, Anna Šabatová, Jan tesař
et Petr Uhl. En décembre 1979, le VONS est devenu membre de la
Fédération Internationale des Droits de l’Homme. Au sujet de la
date de l’entrée de Hejda au VONS, cf., par exemple, Informace
o Chartě 77, année 2, n° 10, 1979, p. 4.
[156] Le 29 mai 1979, la StB met
en marche l’opération Kmen [le tronc] : à cinq heures du
matin sont arrêtés, pour activités subversives contre la république,
Rudolf Battěk, Otta bednářová, Jarmila Bělíková,
Václav Benda, Jiří Dienstbier, Václav Havel, Ladislav Lis,
Václav Malý, Dana Němcová, Jiří Němec, Luděk
Pacovský, Jiří Ruml, Gertruda Sekaninová-Čákrtová, Jan
Tesař et Petr Uhl, c’est-à-dire la majeure partie des membres
du VONS (sous la pression de la police, P. Janýr et I. Medek avaient
déjà émigré en 1978). N’osant plus s’attaquer directement à la
Charte 77 à cause de sa renommée internationale croissante, la
police d’état a choisi de la frapper par le biais du VONS (V.
Benda et J. Dienstbier, par exemple, étaient alors les porte-parole
de la Charte 77). R. Battěk, L. Pacovský, J. Ruml, G. Sekaninová-Čakrtová
et J. Tesař seront relachés après deux jours. J. Bělík,
V. Lis, V. Malý et Jiří Němec seront relâchés à la fin
de 1979 mais resteront sous procès jusqu’en 1990. P. Uhl est condamné
à cinq ans, V. Havel à quatre ans et demi, V. Benda à quatre ans,
J. Dienstbier à trois ans, O. Bednářová à trois ans et Dana
Němcová à deux ans de prison. O. Bednářová a été relâchée
dès 1980 à cause de l’état critique de sa santé (signalé par les
médecins de la prison de Ruzyně dès son arrestation), V.
Havel a été remis en liberté en 1983, tous les autres sont restés
derrière les barreaux le plein temps de leurs sentences. Jiří
Němec avait déjà été accusé à partir du printemps 1978, avait
été arrêté le 1er octobre 1978 à l’occasion de la rencontre
prévue entre le VONS et le KOR (Komitet Obrony Robotników) et
en mars 1979 à l’occasion d’un vernissage de dessins d’Eugen Brikcius
organisé dans l’appartement de Pavel Brunhofer.
[157] Václav Malý (*1950), prêtre
catholique, signataire de la Charte 77 (il en sera le porte-parole
en 1981 et 1982) et un des fondateurs du VONS. En 1979, interdit
de remplir ses fonctions de prêtre, il est obligé à travailler
comme ouvrier, chauffeur et lampiste. Il prend part aux publications
religieuses du samizdat, organise des conférences et séminaires
« d’appartements ». En 1989, il est un des fondateurs
de Občanské fórum. En 1997, il est sacré évêque.
[158] Jan Ruml (*1953), journaliste
et politicien. Dans l’impossibilté d’étudier, il devient ouvrier.
En 1977, il signe la Charte et, en 1979, devient membre du VONS.
Ses activités en son sein lui vaudront d’être emprisonné pendant
un an (1981-1982). En 1990, il devient l’un des dernier porte-paroles
de la Charte 77. Après 1989, il s’engage dans la politique.
[159] Petruška Šustrová (*1947),
journaliste. Emprisonnée pendant deux en 1969-1971 pour son activité
dans le mouvement Hnutí revoluční mládeže. A sa sortie de
prison, il lui est interdit d‘achever ses études de philosophie,
elle travaille alors dans un bureau de poste. Signataire de la
Charte 77 et membre du VONS, porte-parole de la Charte 77 en 1986-1987.
[160] Ivan Medek (*1925) journaliste
et critique de musique, fils du légionnaire écrivain Rudolf Medek,
frère du peintre Mikuláš Medek. Cofondateur de l’Orchestre tchèque
de chambre (Český komorní orchestr), de l’association de
la Jeunesse musicale (Hudební mládež), il travaille à la Radio
tchèque, puis dans la maison d’édition de Supraphon. Signataire
de la Charte 77 et membre du VONS, il émigre en 1978. Jusqu’en
1993, il collabore de Vienne avec la radio Voice of America. Il
crée l’Agence de presse d’Ivan Medek à Vienne (Tisková služba
Ivan Medek, Vídeň) qui distribue des informations et des
documents au sujet de la situation en Tchécoslovaquie à plus de
soixante-dix institutions, archives et universités. Après 1989,
il devient conseiller de la Philharmonie tchèque et du ministre
de la culture, puis directeur du Secrétariat du président de la
république.
[161] « Lorsque je suis rentré
de la première réunion du VONS, je découvris que j’avais un herpès.
Il n’était pas apparu là juste comme cela. Sans même que je m’en
rende compte, j’avais peur. » [« Když jsem přišel
z první schůzky VONSu, zjistil jsem, že na rtu mám opar.
Nevyskočil tam jen tak pro nic za nic. Aniž jsem si to uvědomoval,
měl jsem strach. »] Antonín Petruželka, « Je ne
pense pas que le lecteur puisse ne pas se passer de mes vers »
[« Nemyslím, že čtenář by se bez mých veršů
neobešel »], Revolver Revue, n° 35, 1997, p. 110.
[162] « Ó tyto malé ostrovy
naděje,/zelené jakoby s prominutím/mezi zelenými ostrůvky
naděje,/v převlečníku,/o kterém musím přemýšlet,/stojí-li
ještě za čistírnu,/ale duši, mí přátelé blázni,/duši
tak dát do čistírny,/na pár týdnů jí odložit,/aby se
vrátila čistá./Tak jdu/pozpůsobu dobytčat,/jakoby
v očekávání,/že dojdu/řezníka spravedlivého,/jenž nade
mnou vykoná soud. », in « A la manière du bétail »
[« Po způsobu dobytčat »], Ibid., p.
58-59. Cf. le commentaire de ce motif en 3.3.8.
[163] Ivan Blatný (1919-1990),
poète. Fils de l’auteur dramatique Lev Blatný (1894-1930). Bilingue
tchèque-allemand, connaissant parfaitement le français et l’anglais.
Après des débuts de poète prodige sous le signe d’Apollinaire
et de Jaroslav Seifert, stoppés par l’occupation nazie, il rejoint
les peintres et les théoriciens du Groupe 42. Parti en Angleterre
grâce à une bourse, il choisit l’exil après la prise du pouvoir
par les communistes en 1948. En 1954, il entre dans un asile psychiatrique
à Ipswich où il restera jusqu’à sa mort. « L’écriture qu’il
y pratique en abondance montre pourtant la constance de son inspiration,
nourissant par-dessus les textes isolés un seul flux poétique
libre où d’autres langues s’entrecroisent fréquemment avec le
tchèque. » (Petr Král). Le bruit courut à Prague, dans les
années cinquante, qu’il était mort en Angleterre, dans la misère
et oublié de tous – nouvelle peut-être propagée par le régime.
Il fera aussi l’objet d’un interrogatoire subi par Hejda, peu
de temps après la diffusion de l’édition KDM des Cours Bixley
pour retardés : cf. aussi Antonín Petruželka, « Je
ne pense pas que le lecteur puisse ne pas se passer de mes vers »
[« Nemyslím, že čtenář by se bez mých veršů
neobešel »], Revolver Revue, n° 35, 1997, p. 111.
Hejda lui consacre un texte qui deviendra la préface du livre
Ivan Blatný, Le Passant, Paris, La Différence, 1992, éd.
bilingue, trad. Fr. Erika Abrams (p. 7-22 ; en tchèque in
Kritická příloha Revolver Revue, n° 6, sous le titre
Kolemjdoucí (nad knihami Ivana Blatného), Prague, 1996,
p. 59-68).
[164] Zbyněk Hejda, Proximités
de la mort [Blízkosti smrti], München, PmD, 1985.
[165] Il s’agit des poèmes « Lorsque
les morts se metteront à parler » [« Až mrtví promluví »],
« Enterrer » [« Pohřbívání »], « Une
ombre est projetée » [« Je vržen stín »] et « Comme
aux incendies » [« Jako na požárech »].
[166] Trois poèmes [Tři
básně], Prague, KDM, 1987 (samizdat).
[167] Séjour au sanatorium
[Pobyt v sanatoriu], Prague, KDM, Kruh, Revolver Revue,
1993.
[168] « C’est le désir de
retenir les souvenirs personnels, de les figer dans la sécurité
hors du temps du vers qui semble être à la base du cinquième recueil
de Hejda, pour lequel est charactéristique le revirement définitif
de l’auteur vers une expression prosaïsante, souvent proche des
notes de journal intime. » [« Touha zadržet osobní vzpomínku,
zastavit ji ve zdánlivém bezčasí-bezpečí veršů,
jako by stála za rozsáhlými útvary Hejdovy páté sbírky, pro něž
je charakteristický definitivní obrat k prozaizovanému vyjádření,
které se namnoze blíží deníkovým záznamům. »], in Zdeněk
Štipl, Le poète Zbyněk Hejda [Básník Zbyněk
Hejda], Prague, Univerzita Karlova, Pedagogická fakulta, 2001,
p. 45.
[169] Josef Mlejnek (*1946), poète,
traducteur du polonais et du français et journaliste. Il publie
dans Souvislosti, Proglas, Lidové noviny,
et, dernièrement, dans le magasine de Mladá fronta Dnes.
Il est également l’auteur d’importants essais sur l’œuvre de Bohuslav
Reynek.
[170] Isaac Bashevis Singer, Shosha [Šoša], Knihovna
Střední Evropy (samizdat).
[171] Isaac Bashevis Singer, La
couronne de plumes [Koruna z peří], Knihovna Střední
Evropy (samizdat).
[172] Šimon Wels, Chez les Bernát [U Bernátů],
Knihovna Střední Evropy (samizdat), volume 3, 1987. Cf. le
point 6.9. de la bibliographie.
[173] KDM, Kruh et Revolver créent
alors une collection intitulée « Les recueils de Zbyněk
Hejda » [« Sbírky Zbyňka Hejdy »] où paraissent
peu à peu tous ses recueils écrits avant Valse mélancolique
[Valse mélancolique]. Cf. le point 6.1. de la bibliographie.
[174] Trois poèmes [Tři
básně] (« Poème » [« Báseň »],
« Un soir » [« Jednou večer »] et « Pour
S. » [« Pour S. »], qui prendront place dans le
recueil Séjour au sanatorium [Pobyt v sanatoriu]),
samizdat, Prague, KDM, 1987.
[175] Ce prix a été fondé en 1983
par la Nadation de la Charte 77 à Stockholm. Il est dotée financièrement
par l’écrivain anglais d’origine tchèque Tom Stoppard et est décerné
chaque année au mois de mai à une importante œuvre en vers, en
prose ou à un essai publié au courant des deux années précédentes.
[176] Zbyněk Hejda, Poèmes
[Básně], éd. Vratislav Färber et Antonín Petruželka,
note éditoriale de Michael Špirit, Prague, Torst, 1996.
[177] Jiřina Hauková (*1919).
Membre du Groupe 42, avec son mari, le théoricien et critique
Jindřich Chalupecký. Poétesse (une dizaine de recueils, publiés,
pour la plupart, en samizdat entre 1968 et 1989) et traductrice
de la poésie modernisne anglo-saxonne.
[178] Ce prix a été fondé par la
Nadation de la Charte 77, peu de temps après la mort de Jaroslav
Seifert, en 1986. Parmi ses lauréats, nous trouvons aussi Bohumil
hrabal ou Ivan Diviš. Outre le prestige de la nomination, chaque
lauréat reçoit la somme de 25 000 couronnes.
[179] Zbyněk Hejda, Valse
mélancolique [Valse mélancolique], Brno, Petrov, 1995.
[180] Li Po (Li T’ai-po, 701-762),
le poète chinois le plus célèbre en Occident. Merveilleusement
doué, il mérita le surnom d’« Immortel banni sur terre ».
Il mena longtemps une vie de Bohème. Présenté à la cour (époque
de T’ang, 618-907), il jouit pendant quelques mois d’une faveur
inouïe ; mais ses audaces ou la jalousie de ses rivaux minèrent
bientôt son crédit. Compromis lors de la rébellion de Ngan Lou-chan
(755-756), il fut exilé dans le Yun-nan, puis gracié. Selon la
légende, il serait mort, une nuit d’ivresse, en essayant de saisir
le reflet de la lune dans les eaux du Fleuve Bleu.
[181] Karel Hlaváček (1874-1898).
Poète symboliste aux vers d’une étonnante musicalité, peintre
et dessinateur, collaborateur de la Moderní revue, l’organe
de la Décadence tchèque. Mort de tuberculose.
[182] Karel Hynek Mácha (1810-1836).
Considéré comme le plus grand poète romantique tchèque. Après
des premiers vers en allemand, il écrit en tchèque un admirable
poème romantique aux accents tragiques et métaphysiques (Mai,
1836). On lui doit aussi un roman, plusieurs ébauches de récits
historiques, quelques nouvelles réalistes, des carnets de voyage
en Italie et un journal intime. Il mourut au moment où il devait
épouser sa fiancée Lori (Eleonora) Šomková, objet d’un amour passionné
et orageux.
[183] Josef Šíma (1891-1971), un
des peintres les plus remarquables du 20e siècle. Il
étudie tout d’abord à l’Ecole d’Arts appliqués à Prague, puis,
à partir de 1910, à l’Académie des Beaux-Arts, où il est l’élève
de Jan Preisler. A partir de 1922, il s’installe à Paris. En 1923,
il prend part au Salon des Indépendants, puis à l’exposition du
Bazar de l’art moderne, organisée à Prague par le Devětsil.
Il obtient la nationalité française. Au courant des années 30,
il se rapproche du surréalisme. En 1945, il est nommé conseiller
à l’Ambassade de Tchécoslovaquie à Paris. Après une pause de dix
ans, il recommence à exposer un peu partout de par le monde.
[184] Créée en décembre 1989, l’Association
des écrivains tchèques [Obec spisovatelů] regroupe des auteurs,
critiques littéraires et chercheurs tchèques et moraves. Une des
raisons de sa création était le besion d’avoir un pendant à l’Union
des écrivains tchèques [Svaz spisovatelů] qui ne reposerait
sur aucune idéologie, critères de sélection ou école littéraire.
Son but était d'instaurer et de défendre la liberté de création
littéraire et de promouvoir sa place au sein de la société, de
protèger les intérêts de ses membres sur le plan artistique, professionnel,
social et matériel, notamment en les représentant devant les organismes
publics et sociaux. Elle organise des colloques et conférences,
dirige une Fondation d’aide à la publication de la littérature
tchèque non-commerciale et des traductions d’œuvres tchèques à
l’étranger, et publie la revue littéraire Dokořán.
[185] « Na pořad přišlo,
jestli nově vzniklá Obec má jednat se Svazem spisovatelů,
nebo nejednat. Byl jsem toho mínění, že se Svazem spisovatelů
není o čem jednat, neviděl jsem pro to důvody.
Shoda bylo v tom, že Obec bude něco jako odborová organizace
píšících lidí a že nebude ideovou organizací. Byl jsem přesvědčen,
že každý, kdo splní požadované nároky – mít vydanou jednu nebo
několik knížek –, se může do Obce přihlásit, být
jejím členem, a nebude nijakým způsobem kádrován. Proti
mému názoru vyvstal názor, že přece jen někteří
členové Svazu spisovatelů by neměli být připuštěni
do Obce, to se mi nelíbilo, a že se Svazem spisovatelů se
jednat má, a to například i o majetkových věcech. Byl
jsem toho mínění, že Svazu jsou majetky spíš jenom propůjčeny
nebo jsou v nájmu, že jde o majetek státu, čili nebylo
vlastně o čem s nimi jednat. Já jsem to považoval
za důležitou věc, protože jsem se obával, že dojde přece
jenom k jakémusi srůstu těch dvou organizací, a
to bych byl viděl jako věc neblahou. » Antonín
Petruželka, « Je ne pense pas que le lecteur puisse ne pas
se passer de mes vers » [« Nemyslím, že čtenář
by se bez mých veršů neobešel »], Revolver Revue,
n° 35, 1997, p. 110.
[186] Zbyněk Hejda, Lady
Feltham/Valse mélancolique (édition bilingue, traduction et
postface par Christa Rothmeier), Wien, Edition Korrespondenzen,
2002.
[187] « Et maintenant :
où et que sont tous ces miens qui étaient là./Rentrer de vacances
de près de Jihlava./En cette fin journée d’été/que Dieu daigne
me tendre l’éternité. » [« A teď: kde jsou a co,
mí všichni, co tu byli./Vracet se z prázdnin z blízka
Jihlavy./O tuto letní navečerní chvíli/kéž mi Bůh věčnost
nastaví. »], in « Variation sur Blatný » [« Variace
na Blatného »], Valse mélancolique [Valse mélancolique],
in Zbyněk Hejda, Poèmes [Básně], Prague,
Torst, 1996, p. 279.
[188] « Cesty zarostou a brody
svedou pod cesty a obklopí mě prázdnota, nebude šelestit
listí, nezakřičí pták, nikam nikdo nepůjde, nepotkám
na cestě k Horní Vsi už nikdy tam nikoho nepotkám. »,
Je n’y croiserai personne [Nikoho tam nepotkám],
in Zbyněk Hejda, Poèmes [Básně], Prague,
Torst, 1996, p. 27.