Václav HAVEL
Dramaturge, écrivain, philosophe, homme
politique, dissident et président tchèque, Václav
Havel est né le 05/10/1936 à Prague dans une bonne
famille. Il passe son enfance avec son frère Ivan (de 2
ans son cadet) à Havlov, une ferme appartenant à
la famille, près de Tinov en Moravie. Durant sa jeunesse,
il se révolte contre les avantages qui se présentent
à lui non pour son talent ou ses capacités mais
pour ses origines bourgeoises. Il lutte contre cette facilité
qui prédétermine le destin sans prendre en compte
les vraies valeurs humaines.
Dans les années 60, il étudie la dramaturgie à
la DAMU (Conservatoire national de musique, de danse et d'art
dramatique). Il épouse en 1964 Olga plíchalová,
de 3 ans son aînée, issue d'un milieu ouvrier du
quartier pragois de ikov. Puis il travaille à
la rédaction de la revue " Tvár ", de
1965 jusqu'à son interdiction en 1969. Entre 1960 et 1968,
il devient dramaturge et assistant metteur en scène au
théâtre Na Zábradlí. Dans son discours
au IVème Congrès des Ecrivains, en 1967, il critique
la discrimination des libertés culturelles et civiques
tchèques et slovaques par le régime communiste.
En 1968, il devient Président de " Kruh nezávislých
spisovatelu " (Cercle des écrivains indépendants).
Après 1968, Havel fut contraint de quitter le théâtre
; il travaille alors comme ouvrier,tout en se consacrant à
la production littéraire et aux activités civiques.
Il collabore aux éditions du samizdat tchécoslovaque,
avec notamment " Lidové noviny " et quelques
autres journaux. Il est cofondateur, porte-parole et l'un des
premiers signataires de la Charte 77. Dans les années 70
et 80, il est emprisonné plusieurs fois pour son action
politique (1979-1983), et pour la dernière fois en 1989,
pour avoir préparé et participé à
la " semaine de Palach ". A partir de 1971, ses oeuvres
sont officiellement interdites. En été 1989 il est
l'initiateur de la pétition " Nekolik vet " (Quelques
phrases). En novembre 1989, il se trouve à la tête
de l'opposition en négociations avec les représentants
du régime communiste, et il est cofondateur de " l'Obcanské
Fórum " (Forum Civique).
Après l'abdication de Gustav Husák, il est élu
Président de la République Tchècoslovaque
Socialiste, en décembre 1989, et réélu Président
de la République Tchècoslovaque Fédérative,
en 1990. Il quitte cependant ses fonctions en juillet 1992, à
cause de la dislocation de l'Etat. Il est de nouveau élu
Président de la République Tchèque en février
1993 . Václav Havel jouit d'une grande autorité
parmi ses concitoyens,ainsi que sur le plan international. Il
est titulaire de nombreux prix internationaux.
Oeuvres dramatiques:
Dans ses débuts de dramaturge, il puise
son inspiration et son style chez ses auteurs préférés.
Parmi ceux qui ont le plus marqué ses oeuvres, on trouve
Franz Kafka, Eugène Ionesco et Samuel Beckett ( source
du caractère absurde de ses pièces).
· Pièce en un acte : l'Audience
(1975), Vernissage (1975), Protestation (1978)
· Pièce en quatre tableaux : Fête en plein
air (1963)
· Pièce en cinq tableaux : l'Hotel des Cimes
(1976), Assainissement (1987)
· Pièce en sept tableaux : Largo desolato
(1984)
· Pièce en dix tableaux : Tentations (1985)
,
· Autres pièces : l'Opéra de quat'sous
(1972), etc.
Largo desolato
Léopold Kopriva, philosophe et universitaire,
vit cloîtré chez lui, à guetter le moment
où " ils " viendront, pour l'emmener " là-bas
". Il boit, se bourre de médicaments, se sent malade,
n'arrive pas à écrire. Sa compagne Zuzana le rabroue,
son ami Olbram lui reproche d'avoir changé, deux ouvriers
viennent le voir pour l'exhorter à " agir ",
Lucy se jette à sa tête en lui promettant de le sauver
par l'amour.
C'est alors qu' " ils " arrivent, chargés d'une
proposition : le livre de Léopold, qui n'a pas plu aux
autorités, il lui suffira de déclarer qu'il a été
écrit par un autre, pour bénéficier d'un
non-lieu. Léopold demande à réfléchir
: peut-il, pour sauver sa peau, prétendre qu'il n'est pas
lui ? Mais n'est-il pas déjà devenu un autre, puisqu'il
reprend à son compte les reproches qu'on lui fait ? Et
c'est au moment où il décide de sortir de son angoisse,
en jouant les héros pour retrouver enfin une identité,
que le piège diabolique se referme : pour cette fois, les
autorités ont décidé de le laisser libre,
tout en laissant suspendue au-dessus de sa tête l'épée
de Damoclès.
C'est avec un sens affiné des ressort dramatiques que Václav
Havel a construit sa machine infernale, où la satire vise
non seulement le système, mais le fondement même
de la communication entre les êtres.
Largo desolato est probablement l'oeuvre la plus aboutie de Havel,
mais également la plus autobiographique. C'est une pièce
sur la psychose post-carcérale et sur la crise d'identité,
qui témoigne aussi de la situation dans laquelle un homme
peut se trouver par la faute des autres. La pièce est située
dans l'époque du règne communiste mais sa portée
est universelle et intemporelle. C'est un vrai drame dans lequel
les personnages n'agissent pas comme ils voudraient mais comme
ils doivent réagir, manipulés par les autres et
par la force de la fatalité. Leur destin est la punition
pour des erreurs qu'ils ont commises et pour l'incompréhension
de leur propre situation.
Cette pièce va du concret vers l' humain en général.
Havel puise de sa propre expérience avec le monde où
il vit et aussi de sa propre expérience avec lui-même.
Il emploie un processus de témoignage où une expérience
concrète parvient à toucher une cause humaine dans
son objectivité. Le concret n'est qu'une voie et qu'une
façon de témoigner de l'existence humaine, d'apporter
un témoignage de l'homme dans le monde d'aujourd'hui et
de la crise de l'humanité actuelle.C'est un rapport sur
le monde, un rapport sur l'homme. Largo Desolato devrait être
perçu comme une réflexion musicale sur la pesanteur
de l'être ; sur la difficulté que homme doit investir
dans la lutte pour son identité face au pouvoir impersonnel
qui tente de le priver de cette identité ; sur la nature
du décalage entre les vraies possibilités et le
rôle qui est imposé à l'homme par son environment,
par son destin et par son propre travail ; sur le fait qui'il
est facile de connaître la théorie de la vie mais
qu'en réalité il est plus que difficile de vivre
ainsi ; sur l'incessante tristesse de la raison ; sur l'impossibilité
tragique de se comprendre même entre les gens qui ont de
bonnes intentions envers les autres ; sur la solitude humaine,
sur la peur, sur la lâcheté, etc. ; mais aussi, et
surtout, sur la dimension tragi-comique et absurde de tous ces
sujets.
La pièce est remplie de paradoxes et d'ambiguité
qui se reflètent sur tous les plans. Aucun protagoniste
n'est nettement positif ou négatif, chacun se découvre.
On y trouve des personnages paradoxaux - composantes, victimes
et créateurs d'un monde paradoxal. Un monde où tous
ont partiellement de bonnes intentions et où chacun a partiellement
raison - et pourtant tous sont à côté de la
plaque, ils gâchent et empirent tout. Ils sont tous tragiques
et en même temps comiques, toujours à leur façon.
Ils inspirent la pitié, le dégoût et le rire.
Léopold est une sorte de héros et en même
temps un lâche ; il est franc tout au long de la pièce
mais il triche toujours un peu ; c'est un homme qui défend
désespérément son identité mais il
la perd aussi sans espoir ; il connaît mieux que tous les
autres sa situation mais il est le moins capable de tous de faire
quelque chose pour soi-même ; c'est une victime de son environment
et de son destin mais c'est aussi leur créateur ; c'est
un misérable traqué par son environment, par son
rôle, par le pouvoir de la société, par le
climat de l'époque mais c'est à la fois un homme
qui fait parfois preuve d'un manque de caractère ; il devrait
inspirer la pitié mais en même temps le dégoût.
Les deux Láda sont répugnants, importuns, antipathiques,
ils manquent de tact (au début, ils suscitent la question
de savoir s'il ne sont que de simples provocateurs), ils dérangent
et ils retiennent Léopold, ils échappent à
leur responsabilité de citoyens par le fait de déléguer
Léopold , etc. mais à la fois on peut dire qu'ils
ont presques de bonnes intentions. On ne peut pas s'étonner,
il faut les comprendre puisqu'ils font tout ce qu'ils peuvent
et dont ils sont capables. De même, il faut même avoir
de la compassion envers eux : qu'est-ce qu'ils peuvent et qu'est-ce
qu'ils devraient faire sinon déranger Léopold ?
Les deux Individus sont les messagers du pouvoir impersonnel qui
ôtent aux gens leur identité, par conséquent,
ce sont en quelque sorte des ambassadeurs du Diable, tout en étant
au fond plutôt corrects, peu agressifs. Ce sont des gens
polis et normaux qui font leur devoir et qui ont à la fin
peut-être aussi - qui sait - de bonnes intentions!
Olbram est celui qui dérange le plus Léopold - avec
ses sermons, plein de soins incessants et soporifiques sur son
état psychique, mais c'est justement Olbram qui n'est même
pas capable de voir les choses aussi basiques comme le fait qu'il
est arrivé à un moment inopportun, qu'il dérange
ou que Léopold a froid. Il veut sans doute du bien à
Léopold (et même à toute la nation), c'est
probablement même l'une des personnes les plus honnêtes
qui entourent Léopold. Il pourrait incarner le meilleur
du caractère de Léopold, c'est-à-dire qu'il
peut être vu comme la personification de sa conscience.
Lucy a probablement raison en tout et pourtant elle ne comprend
rien.
Zuzana a également très probablement raison en tout
mais elle ne comprend rien non plus.
Markéta est l'archetyp même de la bonne fée
qui est venue sauver Léopold - et qui se saoûle sans
le vouloir avec du rhum. Nous ne sommes pas tout à fait
sûrs qu'elle lui aurait proposé de le sauver, s'il
n'y avait pas eu l'effet du rhum. Léopold est sincérement
ensorcelé par Markéta et peut-être croit-il
vraiment pour une part de son être que le salut est à
l'horizon - mais en même temps il ne cesse pas de verser
du rhum à cet ange de la philosophie, sans doute pas tout
à fait sans penser qu'ainsi il parviendra plus vite à
l'avoir dans son lit.
Largo Desolato est une sorte de description historique - un peu
comme jadis l'étaient les mythes dont la fonction était
de susciter de la provocation, des réflexions et des expériences
diverses et qui devaient servir de source aux nombreuses explications,
dont on ne pouvait pas connaître ni programmer le caractère
ou le nombre. Cette description ne prétend rien, elle ne
tente que de troubler dans une certaine mesure l'âme du
spectateur. Elle comprend et en même temps nous rend tous
responsables.
Essais : Parole, Puissance des impuissants,
Sur l'Identité humaine, Les Réflexions
d'été.
Correspondance de prison : Les
Lettres à Olga.
Mirka Kostelková