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Les vieilles femmes

František HALAS

 

tristes après-midi de dimanche
tristes des vieilles dames
qui se traînent vers leur fenêtre
par ce vieux chemin tracé dans le tapis
par ce vieux chemin
entre la table et le lit
entre le miroir et les photographies
entre la chaise et le faux palmier

puis appuyées contre le rebord de la fenêtre
elles regardent en bas dans les rues
d’où cette désolation
des dimanches après-midi

yeux des vieilles femmes
vidés de vos larmes et craintifs
nostalgiques et doux
ô yeux tournés vers le déclin

petites noix sans noyaux
écuelles sans offrandes
antichambres des évanouissements
fragments d’une ancienne musique
fontaines ensevelies
cieux couverts
nuits sans aube
portes closes
fonts baptismaux à sec
eaux sans miroitement

vous, yeux des vieilles femmes
le monde ne vous est rien
la beauté ne vous est rien
la laideur ne vous est rien
vous, yeux des vieilles femmes
qui ne suivent pas l’horloge
ne se retournent pas au passage des jours
vous, yeux des vieilles femmes

vieilles dames qui s’en vont boitillant vers la mort
et les quelques stations
sur ce chemin usé bien connu
ne sont que grain de poussière sur la petite broderie
que coin retroussé de la housse
que miette tombée
ces stations ne représentent rien de plus

mains des vieilles femmes
plus jaunes que l’argile sous le cercueil
ouvertes et vides
ô mains raguées et usées à l’ouvrage

voiles du Styx
jumelles de la prière
sceptres détraqués
nids de crispations
brizes de l’abandon
parterres de veines
intercesseurs devenus muets
drapeaux devenus flasques
aide-de-camps du renvoi
prodigues appauvries
presse-papiers de l’insomnie

ô mains des vieilles femmes
feuilles bruissantes
retournées par l’impatience de l’aube
retournées par la souffrance
retournées par la prière
ô mains des vieilles femmes
si enclines à oublier
les nuques des hommes
les cheveux des enfants
ô mains des vieilles femmes
tout juste assez fortes
pour tenir le mouchoir qui essuie les larmes
por tenir l’image sainte dans le cercueil
pour tenir la croix lorsqu’on refermera les paupières
ô mains des vieilles femmes

vieilles dames dans votre coin
courbées et oubliées du monde
vieilles dames dont les enfants sont partis et morts
que seule la faiblesse des yeux fait pleurer

cheveux des vieilles femmes
en nattes timides
parfumées de gris
ô cheveux de vieilles femmes

maigre fumée de têtes qui finissent de brûler
casques enfoncés
cendre après les fêtes
franges des étendards
argent impossible à fondre
linceul éployé
dot de la mort
tristesse des peignes
dentelles moisies
blanche pudeur de la mortalité

ô cheveux des vieilles femmes
qui ne craquellent plus sous les caresses
personne n’y cachera sa tête
personne ne baignera ses lèvres dans votre fonte
voile de nudité pour personne
attrait du désir pour personne
ô cheveux des vieilles femmes
le vent ne les décoiffera pas
l’amour ne les dénouera pas
bons tout juste au maigre archet
d’une mélodie funèbre
ô cheveux des vieilles femmes

vieilles dames pleines de ténèbres et de départs
mains retombées dans le giron de choses mortes croisées
dans le giron dans le palais de la vie passée
ô maison de la vie maison délabrée
la toiture s’est effondrée tout autour le délaissement seul y niche
mes vieilles femmes somnolant en-dessous du monde

girons des vieilles femmes
réceptacle des plaintes et des pleurs des enfants
sourdines des sanglots des hommes
ô girons des vieilles femmes

berceaux vides
pageots refroidis
tombeaux des moments d’amour
enchantements désenchantés
enveloppes des os de chagrin
cachettes des gestes oubliés
tentes renversées
brûlis éventés
refuges du rosaire
arrières abandonnés de ceux qui seront

ô girons des vieilles femmes
la tête de personne ne les allègera
les peines gisent là entassées
plaisir changé en néant par les années
seule la main du trépas y sème sa semence
ô girons des vieilles femmes
trop faibles désormais pour porter le fardeau de l’amour
le mourant ne pourrait expirer là
et le nourrisson s’y metterait à pleurer
car un squelette y répand son froid
ô girons des vieilles femmes
bonheur dédoublé de jambes qui serrent à peine
et célèbre couveuse de vie désormais sans chaleur
ô girons des vieilles femmes

morts après-midi de dimanche
tristes des visages des vieilles femmes
où plus rien ne se reflète
seul l’alanguissement seule la maladie
il n’est pas de souvenir il n’est pas de rêverie
il n’est pas de désir ni d’espoir
seule la vieillesse seul le ver encore endormi

ô visages des vieilles femmes
au voile du passé pendant si lourdement
arrachez seulement la peau et c’est la mort
ô visages des vieilles femmes

trembles sans feuilles
ostensoires que nul n’élève
mosaïques des maux
deltas des larmes
masques décalés
nécropole des sourires
héraldique sans explication
pommes ratatinées de la connaissance
rayons vidés de leur miel
inscriptions de l’éphémère

ô visages des vieilles femmes
l’ombre des anciens attouchements les a assombris
ombre des baisers perdus
la contrée de la résignation est rongées par le sel des larmes
ô visages des vieilles femmes

les yeux des vieilles femmes
les mains des vieilles femmes
les cheveux des vieilles femmes
les girons des vieilles femmes
les visages des vieilles femmes

ô tristes après-midi de dimanche
sur la croix des vieilles femmes

(1935)

Traduction Jean-Gaspard Páleníček

 

 

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