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 L’Ondin

Karel Jaromír Erben

I

Dans un peuplier au-dessus du lac
au crépuscule un ondin disait :
   « Luis, lune, luis,
   vole mon aiguille.

Je couds, je couds mes bottes
pour le sec et pour l’eau :
   luis, lune, luis,
   vole mon aiguille.

Aujourd’hui jeudi, demain vendredi -
je couds, je couds ma redingote :
   luis, lune, luis,
   vole mon aiguille.

Un habit vert et bottes rouges,
demain, c’est le jour de mes noces :
   luis, lune, luis,
   vole mon aiguille. »

II

Matin, de bon matin une jeune fille s’est levée,
a fait du linge un baluchon :
   « Je vais, ma mère, au lac,
   laver mes fichus. »

« Oh, n’y va pas, ne va pas au lac,
aujourd’hui reste ici ma fille !
   J’ai fait cette nuit un mauvais rêve :
   ne va pas, ma fille, au bord de l’eau.

Je te choisissais des perles,
je t’habillais de blanc,
   d’une jupe comme d’écume : 
   ne va pas, ma fille, au bord de l’eau.

Vêtements blancs cachent chagrin,
perles veulent dire larmes,
   et vendredi est jour funeste,
   ne va pas, ma fille, au bord de l’eau. » -

La fille ne tient pas en place,
toujours vers le lac quelque chose la pousse,
   toujours vers le lac quelque chose la force,
   rien à la maison, rien n’est à son goût. -

Elle a trempé un premier fichu -
alors sous son poids le ponton s’est brisé,
   sur la jeunette
   l’eau tourbillonna dans le fond.

Des vagues en remontèrent,
s’épandirent en larges ronds ;
   et dans le peuplier près du rocher
   l’homme vert applaudit.

III

Tristes, sinistres
   sont les contrées lacustres,
où dans l’herbe sous le nénuphar
   les poissons folâtrent.

Ici le soleil ne chauffe pas,
   point de brise :
froid, silencieux - comme le tourment
   d’un cœur sans espoir.

Tristes, sinistres
   sont les contrées lacustres,
mi-ombre, mi-lumière,
   les jours se suivent.

Le domaine de l’ondin est vaste,
   il recèle bien des richesses :
mais les visiteurs ne s’y arrêtent
   que contre leur gré.

Et qui une fois passe
   par la porte de cristal,
à grand-peine reverra
   les yeux de ses proches. -

L’ondin est assis à sa porte,
   reprisant ses filets
et sa jeune femme
   berce un petit enfant.

« Dodo, l’enfant do,
   mon enfant malgré moi !
tu me souris,
   je meurs de peine.

Tu me tends joyeusement
   tes menottes :
et je me préférerais
   là-bas sur terre au tombeau.

Là-bas sur terre derrière l’église,
   près de la croix noire,
pour que ma mère adorée
   soit près de moi.

Dodo, l’enfant do, mon fils,
   mon petit ondin !
Comment, m’empêcher de me souvenir,
   triste que je suis, de ma mère ?

Elle s’inquiétait, la malheureuse,
   de celui à qui me donner.
Mais sans même le soupçonner,
   elle me vit partir de la maison !

Mariée, me voici mariée,
   mais contre la règle :
pour témoins - des poissons,
   pour demoiselles d’honneur - des écrevisses noires.

Et mon mari - Dieu le prenne en pitié !
   il pose un pied humide sur le sol sec,
et dans l’eau dans des petits pots
   garde les âmes humaines.

Dodo, l’enfant do, mon enfant
   aux cheveux verts !
Ta mère ne s’est pas mariée
   par excès d’amour.

Abusée, prise
   au filet trompeur,
elle n’a céans d’autre plaisir,
   que toi, mon enfant ! » -

« Que chantes-tu, femme ?
   Je ne veux pas de ces chansons !
Ton chant maudit
   me remplit de colère.

Ne chante pas, femme,
   la bile me monte dans le corps :
ou je te change en poisson
   comme tant d’autres ! » -

« Ne te fâche, ne te fâche pas,
   Ondin, mon époux !
Ne prends pas mal la rose
   broyée et jetée à terre.

La pousse printanière de ma jeunesse,
   tu l’as cassée en deux :
et tout ce temps tu n’as rien fait
   selon ma volonté.

Cent fois je t’ai prié,
   imploré gentiment,
de me laisser aller voir ma mère
   un instant, rien qu’un instant.

Cent fois je t’ai prié
   versant bien des larmes,
de pouvoir une dernière fois
   lui dire adieu !

Cent fois je t’ai prié,
   me suis mise à genoux :
mais l’écorce de ton cœur,
   rien ne l’a adoucie !

Ne te fâche, ne te fâche pas,
   Ondin, mon seigneur !
ou plutôt mets-toi en colère,
   qu’advienne ce que tu dis.

Tant qu’à me vouloir poisson
   afin que je sois muette,
change-moi plutôt en pierre
   qui est sans mémoire.

Change-moi en pierre
   sans pensée ni sentiment, 
que je ne regrette sans cesse
   la lumière du soleil ! » -

« J’aimerais, femme, j’aimerais,
   croire tes paroles :
mais le petit poisson dans la mer immense -
   qui peut le repêcher ?

Je ne t’empêcherais pas
   d’aller voir ta mère :
mais c’est la perfidie féminine
   que je redoute tant !

Allons - je t’autorise
   à remonter :
cependant je t’ordonne de fidèlement
   accomplir ma volonté.

N’embrasse pas ta mère,
   ni aucune autre âme 
sinon ton amour terrestre
   s’opposerait à l’autre.

N’embrasse personne
   du matin au soir :
avant l’angélus,
   sois de retour dans le lac.

De l’angélus à l’angélus,
   voilà le délai que je te donne 
mais par précaution,
   tu me laisses l’enfant. »

IV

Quel été se passerait
   de soleil ?
Quelles retrouvailles se passeraient
   d’étreinte ardente ?
Et si une fille après longtemps
embrasse sa mère,
ah, qui peut en vouloir
   à cette aimable enfant ?

Tout le jour la femme du lac
   avec sa mère en pleurs, s’est réjouie :
« Adieu, mère adorée,
   ah, j’ai peur du soir ! » -
«  N’aie pas peur, ma chère âme,
n’aie pas peur de cet assassin ;
je ne permettrai pas qu’un monstre des eaux
   t’ait en son pouvoir ! » -

Le soir tomba. - L’homme vert
   arpente la cour ;
la porte est calée par un coin,
   la mère est avec sa fille dans la salle.
« N’aie pas peur, ma chère âme,
il ne peut te nuire en lieu sec,
l’assassin du lac n’a contre toi
   aucun pouvoir hors de l’eau. » -

Lorsque l’angélus eut sonné,
   pan ! on tape à la porte :
« Il est temps de rentrer, femme,
   mon dîner n’est pas prêt. » -
« Ouste, loin de ma porte,
va-t’en, assassin rusé,
et ce dont tu dînais,
   dîne-z-en encore au fond de ton lac ! » -

A minuit de nouveau, pan !
   on tape à la porte vermoulue :
« Il est temps de rentrer, femme,
   mon lit n’est pas fait. » -
« Ouste, loin de ma porte,
va-t’en, assassin rusé,
et celui qui te faisait ton lit jadis,
   qu’il te le fasse à nouveau ! » -

Et une troisième fois pan ! il frappe
   quand le jour point :
« Il est temps de rentrer, femme,
   l’enfant pleure, donne-lui à boire ! » -
« Ah, petite mère, quel supplice -
pour l’enfant mon cœur se fend !
Ma mère, mère adorée,
   laisse-moi, laisse-moi y aller ! » -

« N’y va pas, ma fille !
   l’assassin du lac prépare son piège ;
si tu crains pour ton enfant,
   je crains pour toi davantage.
Ouste, assassin, retourne au lac !
Ma fille n’ira nulle part ;
et si ton enfant pleure,
   dépose-le à notre seuil. » -

Sur le lac la tempête mugit,
   dans la tempête l’enfant gémit :
sa plainte fend l’âme,
   et soudain s’éteint.
« Ah, ma mère, hélas, hélas,
ces pleurs glacent mon sang :
ma mère, mère adorée,
   je redoute l’ondin ! » -

Quelque chose est tombé. -  Sous la porte
   une flaque se répand - du sang ;
et lorsque la vieille a ouvert la porte,
   quel ne fut pas son effroi !
Là dans le sang gisent deux choses -
dans le dos passe un frisson d’horreur :
une tête d’enfant sans corps
   et un petit corps sans tête.

 

Traduction collective

 

 

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