Karel Jaromír Erben (1811-1870)
Portrait
Folkloriste, historien, linguiste, mais aussi traducteur,
éditeur de chansons populaires, prosateur et poète, Karel Jaromír
Erben est né en 1811 à Miletín, près de la ville de Jičín,
au pied des Monts des Géants (Bohême du nord). Il fréquenta le
lycée de Hradec Králové puis l'Université de Prague où il fit
des études de lettres (1831-33) et de droit (jusqu'à 1837) qui
lui permettront d'être d'abord employé dans diverses institutions
judiciaires et administratives. Il se lia alors au milieu intellectuel
tchèque (l'historien František Palacký, le poète K.H. Mácha, le
dramaturge J.K. Tyl, K.V. Zap, K.B. Storch) et allemand (V. Horn)
et prit sa place au sein de cette génération qui assurait une
première maturité à un mouvement de « Renouveau national »
initié dès la fin du XVIIIe siècle. Avec ses amis A.
Rybička et V. Havlík, Erben s’associa lors de vacances à
Žebrák à une troupe de théâtre amateur où il rencontra Betyna
Mečířová (1818 - 1857), sa future femme, dont il aura
quatre enfants (après la mort de cette dernière, il se remariera
avec Žofie Mastná ; leurs deux enfants mourront en bas âge).
Dans les années 1830, Erben se lança dans la collecte de contes,
chansons, coutumes et croyances populaires, ce qui lui valut d'être
employé à partir de 1840 en tant qu'archiviste, dans quelques
villes et châteaux de Bohême et, à partir de 1846, au département
d’archéologie et d’histoire et à la section des manuscrits du
Musée de Bohême.
A partir de cette époque, l’engagement d’Erben
dans la vie institutionnelle est important : en 1835, il
est membre de la commission linguistique de la Matice et
cofondateur de la Meštánská beseda ; durant l'intermède
révolutionnaire, il suit naturellement la ligne prônée par Palacký
et, en 1848, devient membre du Conseil national, Contrôleur des
archives et de la bibliothèque de Prague, puis membre de la députation
tchèque à l’assemblée de Zagreb. Il voit ses fonctions de traducteur
officiel confirmées par sa nomination à la direction de la traduction
collective du Code civil en tchèque ; en 1849, il est nommé
membre de la commission pour la terminologie slave et participera
aux travaux de cette dernière à Vienne. Ce n'est pourtant qu'en
1851 – au seuil d’une époque marquée par la répression parfois
féroce contre les mouvements d’émancipation nationale – qu'il
obtient, avec une place d'archiviste de la ville de Prague, le
premier poste scientifique à lui assurer sa subsistance (il sera
à partir de 1864 directeur des services auxiliaires de la ville
de Prague) ; il refusera par la suite, malgré le climat de
détente politique des années 1860, de poser sa candidature aux
élections législatives.
Mais c’est surtout aux entreprises proprement culturelles
qu’Erben semble avoir été le plus attaché : il est membre
d’associations culturelles tchèques comme Hlahol (dont
il est le cofondateur), Historický spolek, Umelecká
beseda et se trouve au centre d’un important réseau de relations
avec d’éminents folkloristes, notamment polonais et russes. Il
met en place la sélection des traductions des œuvres de Shakespeare,
rédige plus de cent notices pour la grande encyclopédie de l’époque
(le dictionnaire de Rieger), sur des sujets de slavistique, de
grammaire, d’histoire et de mythologie slave et allemande. La
deuxième moitié du XIXe siècle voit en Bohême la crise
de la russophilie et de la slavophilie en général, dont la vogue
s’était répandue au cours de l’explosion romantique des années
1830-1840 : Erben, l’un de ses représentants fervents, prendra
part à l’une de ses dernières grandes manifestations en tant que
membre de la délégation tchèque – placée sous une attentive surveillance
de la part de la police autrichienne – à l’exposition ethnographique
de Moscou de 1867, pour laquelle il élabore un échantillon du
costume des régions de Bohême du Sud. Erben meurt à Prague en
1870.
A part le Bouquet, l’œuvre qu’Erben a signée
de son nom est pour ainsi dire négligeable : ses essais de
lycéen, des poèmes encore écrits en allemand, n’ont pas été conservés
et sa comédie, Sládci (Les Brasseurs), de 1837, écrite
pour les besoins du théâtre amateur, ne sera publiée qu’en
1890. Erben écrira encore, l’année de sa mort, un livret d’opéra,
Štestí a neštesti (Heurs et malheurs). C’est son activité
savante d’ethnographe et d’éditeur qui retient tous ses soins.
Rêvant de composer un ouvrage synthétique sur les coutumes tchèques,
Erben multiplie les recueils qui permettent de fixer textes et
témoignages sur la culture populaire : édité en trois volumes
durant les années 1840, le recueil des Písne národní v Čechách
(Chansons populaires de Bohême), comprend 550 compositions,
comprises comme des textes chantés (le recueil inclut des transcriptions
musicales, dans une harmonisation de J.P. Martinovský) ;
l’ouvrage sera complété pour aboutir dans les années 1860 à l’édition
de 2200 compositions – chansons mais aussi comptines (říkadla),
devinettes (hádanky), jeux (hry), cantiques liturgiques
et funèbres (písne obřadní a pohřební), chansons
de Noël (koledy), dictons (pořekadla) et invocations
destinées à conjurer les maladies (zaříkadla nemocí).
L’ambition d’Erben ne se situe pourtant pas seulement dans le
recollement ethnographique, mais vise à situer ces pièces dans
le contexte de la culture et de la mythologie européennes (voir
Vídy čili Sudice – sur les Parques -, 1847 ;
O dvojici a trojici v bájesloví slovanském, - Sur les
figures de doubles et de triples dans la mythologie slave ;
ainsi que de nombreuses rubriques du dictionnaire de Rieger, comme
Slovanské bájesloví – Mythologie slave -, Svátky slovánské
– Fêtes slaves – etc.). A partir des années 1840, Erben s’employa
à fixer par écrit des contes ; il en éditera en revues (dans
Zlaté klasy, Perly české, Máj) quelques centaines,
dont il reprendra certains dans l’anthologie Sto prostonárodních
pohádek a povestí slovanských (Cent Contes et légendes
folkloriques slaves, 1865), où les textes sont imprimés dans
les langues originales. Erben est l’auteur de traductions en tchèque
ou en allemand de textes qui sont le plus souvent d’intérêt purement
historique. Quelques feuillets de notes personnelles écrites sous
forme de récits de rêves, où le lecteur retrouve certains aspects
du fantastique noir du Bouquet, ont été publiés tardivement
(en 1970), sous le titre Sny (Songes), à l’initiative
de Bohumil Hrabal.
(inspiré de la rubrique Erben, par Mojmír
Otruba, Lexikon české literatury, Academia, 1985).